Prédication du 9 février 2025
de Dominique Imbert-Hernandez
Une question
Lecture : Marc 8, 27-33
Lecture biblique
Marc 8, 27-33
27 Jésus s’en alla, avec ses disciples dans les villages de Césarée de Philippe, et en chemin, il leur posa cette question : Les gens, qui disent-ils que je suis ?
28 Ils dirent : Jean-Baptiste ; d’autres, Élie ; d’autres, l’un des prophètes.
29 Mais vous, leur demanda-t-il, qui dites-vous que je suis ?
Pierre lui répondit : Tu es le Christ.
30 Jésus leur recommanda sévèrement de ne dire à personne ce qui le concernait.
31 Il commença alors à leur apprendre qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite trois jours après.
32 Il disait ces paroles ouvertement. Et Pierre le prit à part et se mit à lui faire des reproches.
33 Mais Jésus se retourna, regarda ses disciples, fit des reproches à Pierre et lui dit : Arrière de moi, Satan, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.
Prédication
Qui dites-vous que je suis ? La question que Jésus de Nazareth pose à ses disciples à ce moment de l’évangile de Marc – un moment qui est au milieu, au cœur de l’évangile -, cette question est tout à fait d’actualité pour Inès, Hector et Titouan. Tous les trois sont en effet dans la dernière année de leur parcours de catéchisme, celle où il leur est demandé s’ils souhaitent demander le baptême ou faire leur confirmation. C’est aussi la question posée à toute personne s’engageant dans une démarche de baptême ou de confirmation, puisqu’il s’agit de répondre publiquement et solennellement avec ses propres mots. Inès, Titouan et Hector réfléchissent au baptême ou à la confirmation pour eux-mêmes. Ce texte biblique vient donc les accompagner, comme il accompagne de toute manière chaque personne se demandant : Qui est-il ? Qui est donc ce Jésus au sujet duquel nous pouvons lire quatre évangiles ?
C’est à son propre sujet que Jésus interroge ses disciples, en chemin. Marc signale ainsi que poser ou recevoir une question, c’est ouvrir un chemin, se mettre en chemin, et que ce sont les questions qui nous font avancer, bien plus que les réponses déjà prêtes.
Jésus pose d’abord la question d’une manière générale : Les gens, qui disent-ils que je suis ? C’est la question la plus facile : il suffit d’avoir entendu parler, entendu dire… Les réputations et les assignations d’identité circulent très facilement, très rapidement, qu’elles soient fondées ou pas. Les opinions sont toujours largement partagées, même avant les réseaux sociaux. Les disciples n’ont qu’à répéter : pour les uns Jean-Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres, l’un des prophètes. Il n’y a jamais qu’une seule réponse pour dire qui est telle ou telle personne et Jésus n’y échappe pas : Jean le Baptiste, Élie, l’un des prophètes… de Jean le Baptiste, certains pensaient qu’il pouvait être Élie, le grand prophète dont la tradition attendait le retour parce qu’il n’était pas mort mais avait été enlevé au ciel. Donc les gens créditent Jésus d’une réputation de prophète, voire de très grand prophète, et même, l’identifient à un grand prophète. C’est toute l’histoire du peuple d’Israël et sa propre identité qui sont ainsi convoquées pour dire qui est Jésus, et c’est aussi une attente : Élie doit revenir, Jean rappelle le peuple à la fidélité et annonce la venue de celui qui baptisera dans l’Esprit.
Jésus ne commente pas ces réponses des gens. Mais nous, nous pouvons y réfléchir un peu et remarquer d’abord que Jésus est identifié à d’autres, et c’est comme une comparaison dans laquelle disparaît complètement qui il est c’est-à-dire sa singularité, le fait qu’il est unique, comme d’ailleurs l’est chacun, chacune d’entre nous. Une autre remarque, c’est que Jésus, à travers cette comparaison, est tourné vers le passé, il est rapporté au passé, un passé dont on peut faire mémoire avec intérêt, passion, respect, fidélité, mais c’est quand même du passé, ce qui fait passer à côté de la nouveauté que Jésus porte en lui et qu’il apporte pour autrui. Jésus n’est pas une répétition, ni même une amélioration du passé.
C’est dans ce même attachement à la foi et à l’espérance du peuple d’Israël que Pierre répond lorsque Jésus pose la question directement aux disciples : Et vous, qui dites-vous que je suis ?
Cela ne suffit pas de répéter ce que disent les autres, il s’agit de répondre pour soi-même, de s’engager avec une réponse personnelle, de peser ce qu’on a entendu et ce que l’on pense et ce que l’on croit. Répondre à la question, c’est non seulement avoir écouté ce que disent les gens mais pour les disciples qui accompagnent Jésus, qui sont en proximité avec lui, avoir aussi reconnu dans les paroles et actes de Jésus et dans la relation qu’il a avec eux et eux avec lui ce qui les touchent, les transforment, les orientent, les tient debout et les entraîne à marcher avec lui.
Pierre répond : Tu es le Christ.
Chic, en voilà une bonne réponse ! Alors pourquoi Inès, Hector et Titouan et tous celles et ceux qui demandent le baptême ou font leur confirmation et tous celles et ceux qui cherchent une réponse ne pourraient pas s’en contenter ? Parce qu’il ne s’agit toujours pas répéter, de réciter ce que d’autres avant nous ont prononcé. Tu es le Christ, oui, mais qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que cela produit pour moi, dans ma vie ? « Jésus est le Christ », « Jésus-Christ » avec un trait d’union, c’est une réponse trop courte. C’est une réponse de manuel de catéchisme du temps où le catéchisme était à apprendre par cœur pour pouvoir redire mot pour mot ce qui était écrit dans le manuel. C’est dire alors que c’est une réponse insuffisante car c’est une réponse compréhensible seulement par ceux qui le croient, mais pas par ceux qui demanderaient avec intérêt : Qui est Jésus ? Leur dire que Jésus est le Christ ne va pas beaucoup les renseigner.
C’est aussi une réponse pour initiés qui courent le risque de ne plus se poser la question de savoir qui est Jésus puisqu’ils ont la réponse : ils ne seraient plus en chemin, mais confortablement installés dans la réponse puisqu’elle est exacte selon la foi de l’Église exprimée dans nombre de confessions de foi.
D’ailleurs Jésus recommande aux disciples de ne pas en parler, de ne pas le dire, certainement pour ces raisons, et peut-être aussi parce qu’il importe, justement de comprendre ce que signifie le mot « Christ » et ce que cela implique de reconnaître, de confesser Jésus comme le Christ.
Cela est justement l’objet de la suite du récit, ce que Jésus enseigne à ce moment et qui provoque une opposition sévère entre Pierre et Jésus, un désaccord profond qui porte sur le Christ que Jésus est.
Jésus le dit clairement et délibérément : il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu’il soit mis à mort et qu’il ressuscite trois jours après. Jésus ne veut pas que les disciples se fassent des idées à son sujet, qu’ils aient une fausse image de lui. Il faut que les disciples aient bien conscience, qu’ils comprennent bien quel est le Christ qu’ils suivent.
D’abord Jésus parle de lui-même comme du Fils de l’homme. L’expression signifie premièrement un être humain et donc la totale humanité de Jésus. Jésus, Christ et fils d’homme, va être en butte à l’hostilité de plus puissants que lui : les religieux du peuple, les religieux du Temple, gardiens et conservateurs des traditions, et d’une certaine idée de Dieu, et d’une certaine manière de croire en Dieu, et d’une certaine attente pour l’avenir, et du pouvoir que ce système leur confère.
De ces idées bien arrêtées, de la tradition qui le précède, Pierre est aussi l’héritier, il en est porteur. S’il reconnaît que Jésus est le Christ, il sait très bien, mieux que Jésus lui-même, comment doit être le Christ : le Christ, le Messie en hébreu, celui qui est envoyé par Dieu et qui est au plus proche de Dieu sera glorieux, important, plus puissant que les vainqueurs d’Israël, l’empire romain à cette époque. Le Christ sera le libérateur qui rétablira la pleine souveraineté d’Israël et lui redonnera tout son éclat de peuple missionné par Dieu pour éclairer les nations et les conduire à l’Éternel. L’expression « fils d’homme » recèle un autre sens que « humain » : le fils de l’homme désigne celui qui viendra dans la fin des temps pour manifester et révéler Dieu et la destinée des humains. C’est ce qu’on appelle une apocalypse, mot grec qui signifie « révélation ». Et quand tout cela sera accompli, Pierre sera très heureux, très fier certainement d’avoir été un des premiers à avoir été appelé à suivre ce Christ : c’est valorisant d’être disciple du Christ vainqueur.
Finalement, pour Pierre, le Christ est autre qu’un être humain, il ne peut pas « souffrir beaucoup », c’est-à-dire justement être pleinement humain avec tout ce que cela comporte d’épreuves, d’endurance, de présence au monde tel qu’il est. Le Christ de Pierre ne peut pas être rejeté par les chefs religieux, ni être mis à mort : il va convaincre tout le monde et prouver indiscutablement qu’il est bien qui il dit qu’il est ! C’est pourquoi Pierre veut marcher devant pour montrer à Jésus la voie à prendre quand on est le Christ.
C’est pourquoi Jésus lui tourne le dos et remet Pierre derrière lui.
Jésus n’est pas le Christ que Pierre veut qu’il soit ; il n’est pas non plus le Christ dont l’Église a parfois transmis l’image glorieuse et grandiose d’un tout-puissant surplombant l’humanité pour séparer les élus et les réprouvés, pour récompenser les uns et punir les autres, après sa résurrection.
Il est le Christ entièrement plongé dans l’humanité,
appelant sans contraindre,
aimant sans se faire payer en retour,
accueillant sans condition,
vivant sans restriction.
Il est, il est toujours, le Christ révélant Dieu qui se passe d’holocauste et de sacrifices,
Dieu attentif à toute l’humanité,
Dieu dont le Royaume n’a rien à voir avec les empires politiques armés et économiques,
Dieu généreux de grâce et d’Esprit, de pardon et de vie,
Dieu à la croix pour que personne ne soit considéré indigne de lui,
Dieu à l’aube de Pâques pour que s’ouvrent tous les tombeaux qui enferment les vivants.
Il est toujours, et aujourd’hui, le Christ semé dans l’humanité de chaque humain et qui n’attend que d’y grandir pour que l’humanité de chacun entre dans la vie éternelle, cette vie qui n’est pas confondue avec les circonstances quotidiennes ni avec les caractéristiques de chacun ou chacune, mais qui est la vie ancrée et nourrie dans l’amour et la confiance.
Ainsi Jésus le Christ est véritablement nouveau, toujours nouveau,
face à la tentation de l’esprit de clan ou du nationalisme qui sont toujours repliement sur soi et fantasme de puissance,
face à la tentation de la conformité aux humaines attentes manifestée par Pierre pourtant de si bonne volonté,
face à la tentation du conservatisme et du retour en arrière,
face à la tentation répéter des formules vaines et tristes,
ces tentations humaines toujours les mêmes même si leurs manifestations prennent différentes formes.
Qui disons-nous qu’il est ? C’est une question qui met en chemin, une question de chemin, c’est-à-dire d’existence. Une question et pas un ordre auquel il faudrait se soumettre. Une question pour que chacun, chacune puisse répondre en son nom propre, quelle que soit la réponse. Répondre en son nom propre, c’est ne pas se cacher derrière une réponse déjà là, mais c’est répondre comme un sujet singulier et précieux. Alors recevoir cette question, la prendre au sérieux, chercher comment y répondre, c’est d’une certaine manière déjà être autorisé à être et à devenir sans critère préalable de légitimité, c’est être appelé à la parole, c’est être suscité ou ressuscité.