Prédication du 16 mars 2025

Bénédiction du couple de Roger et Estelle

de Dominique Imbert-Hernandez

Terre, semeur, semé

Lecture : Marc 4, 1-20

Lecture biblique

Marc 4, 1-20

1 Jésus se mit de nouveau à enseigner au bord de la mer. Il s’assembla auprès de lui une si grande foule qu’il monta s’asseoir dans une barque, sur la mer. Toute la foule était à terre près de la mer. 
2 Il les enseignait longuement en paraboles et leur disait dans son enseignement : 
3 Écoutez : Le semeur sortit pour semer. 
4 Comme il semait, une partie (de la semence) tomba le long du chemin : les oiseaux vinrent et la mangèrent. 
5 Une autre partie tomba dans un endroit pierreux, où elle n’avait pas beaucoup de terre ; elle leva aussitôt, parce qu’elle ne trouva pas une terre profonde ; 
6 mais quand le soleil se leva, elle fut brûlée et sécha faute de racines. 
7 Une autre partie tomba parmi les épines : les épines montèrent et l’étouffèrent, et elle ne donna point de fruit. 
8 Une autre partie tomba dans la bonne terre : elle donna du fruit qui montait et croissait : un grain en rapporta trente, un autre soixante et un autre cent. 
9 Puis il dit : Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.
10 Lorsqu’il fut en particulier, ceux qui l’entouraient avec les douze l’interrogèrent sur les paraboles. 
11 Il leur dit : C’est à vous qu’a été donné le mystère du royaume de Dieu, mais pour ceux du dehors, tout se passe en paraboles, 
12 afin que tout en regardant bien, ils ne voient pas et qu’en entendant bien, ils ne comprennent pas, de peur qu’ils ne se convertissent et qu’il ne leur soit pardonné. 
13 Il leur dit encore : Vous ne comprenez pas cette parabole ; comment donc comprendrez-vous toutes les (autres) paraboles ?
14 Le semeur sème la parole. 
15 Ceux qui sont le long du chemin où la parole est semée, ce sont ceux qui ne l’ont pas plutôt entendue que Satan arrive et enlève la parole qui a été semée en eux. 
16 Et de même, ceux qui ont reçu la semence dans les endroits pierreux, ce sont ceux qui entendent la parole et la reçoivent aussitôt avec joie, 
17 mais ils n’ont pas de racine en eux-mêmes ; ce sont les hommes d’un moment ; et dès que survient la tribulation ou la persécution à cause de la parole, ils y trouvent une occasion de chute. 
18 D’autres ont reçu la semence parmi les épines ; ce sont ceux qui entendent la parole, 
19 mais en qui les soucis du monde, la séduction des richesses et l’invasion des autres convoitises, étouffent la parole et la rendent infructueuse. 
20 D’autres ont reçu la semence dans la bonne terre ; ce sont ceux qui entendent la parole, l’acceptent, et portent du fruit : un grain en donne trente, un autre soixante, et un autre cent.

Prédication

Le cadre de ce récit de l’évangile de Marc, la mise en scène qu’il a dessinée est représentée ici, dans le grand tableau de la tribune. Vous pourrez aller le voir tout à l’heure. Jésus est assis dans une barque, la foule est à terre, et Jésus enseigne.
Il enseigne en paraboles, ces petites histoires étonnantes, étranges, grâce auxquelles Jésus raconte ce qui ne peut être précisément décrit : le Règne de Dieu.
Parce qu’une parabole est étrange, étonnante, surprenante, déroutante, les disciples interrogent Jésus. Ils n’ont pas compris, ils ne savent pas interpréter la parabole. Et c’est normal, Jésus le reconnaît, la parabole dessine un mystère : un semeur qui sème partout, nous pourrions dire aussi n’importe où, y compris dans des endroits où rien ne peut pousser. Jésus a bien précisé : celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! Et bien sûr il n’est pas question de sons mais de sens.
Les disciples interrogent parce qu’ils s’intéressent, parce qu’ils ont bien compris qu’il y a dans cette parabole quelque chose pour eux, pour croire, pour vivre. C’est quand même intriguant ce semeur qui sème sans se préoccuper de là où tombe le grain, sans choisir là où le grain peut pousser. Ce n’est pas très raisonnable dans le sens de nos logiques humaines : prévisions, plans, rendements, pertes et profits…
Mais est-ce que croire est raisonnable ? est-ce que vivre est raisonnable ? est-ce que Dieu est raisonnable ?
Alors Jésus explique à ses disciples : le semeur sème la parole, et chaque type de terrain représente une catégorie de personnes :

  • celles en qui la parole disparaît immédiatement au passage du satan, c’est-à-dire l’adversaire de la parole et de l’humain ;
  • celles en qui les épreuves prennent le dessus sur l’accueil de la parole ;
  • les personnes en proie aux soucis du monde qui étouffent la parole ;
  • et enfin les personnes dont la bonne terre permet des fruits jusqu’au centuple.

Faut-il alors arrêter de poser des questions ? Puisque Jésus donne l’interprétation de la parabole, pourquoi chercher encore autre chose, un autre sens ? Chacun n’a plus qu’à se demander de quel terrain il est constitué :

  • Un terrain piétiné, rendu impropre à recevoir, c’est à dire une existence écrasée, méprisée, dont l’espace propre, l’espace intérieur est envahi, restreint jusqu’à être réduit à rien par une adversité qui peut prendre bien des formes
  • Ou un terrain de cailloux comme un désert où rien ne pousse durablement, un espace intérieur comme un désespoir
  • Ou un terrain plein d’épines, une existence étouffée d’inquiétudes qui n’ont rien à voir avec ce qui fait vivre vraiment
  • Ou un terrain de bonne terre capable de donner du fruit, du bon et même le meilleur.

Chacun pourrait aussi regarder son voisin, sa voisine en se demandant de quel terrain il ou elle est constituée. Ou peut-être chacun pourrait demander à son voisin ou à sa voisine de quel terrain il ou elle pense qu’il est fait, au risque de la réponse…
Ce qui est certain, c’est que le semeur, semeur de parole, c’est-à-dire vraisemblablement le Christ, le semeur ne trie pas, il sème en tous et toutes. Personne n’en est privé. Pas de préférence, pas d’exclusion. Pas de sélection, de répartition, de partialité, pas de délaissement, d’abandon, de condamnation. Le Dieu que révèle Jésus-Christ envoyé dans le champ du monde ne désespère de personne, il espère toujours, inlassablement, obstinément, déraisonnablement selon les logiques humaines, et heureusement ! C’est déjà essentiel pour vivre : croire que l’on n’est pas rejeté mais que l’on est reconnu, que ma vie, que chaque vie compte.

L’explication de la parabole du semeur telle que Jésus la donne à ses disciples dans l’évangile de Marc, (aussi dans celui de Matthieu et dans celui de Luc), met-elle un point final à l’interprétation de cette parabole ? Ce serait étrange de la part du Jésus de Marc qui insiste sur la nécessité de questionner et qui pourfend les réponses toutes faites surtout quand elles sont assénées par la religion. Un disciple de Jésus est un questionneur, un chercheur de sens. Marc n’a pas écrit son évangile pour que nous cessions de questionner et de chercher. Le dernier mot sur qui nous sommes n’est pas déposé dans les pages des livres de la Bible mais en Dieu, le Dieu révélé par Jésus-Christ.

Alors cherchons encore, et à partir de l’interprétation donnée par Jésus, un peu de lucidité conduit à reconnaître que dans chaque existence, il y a de tous ces terrains. Chacun, chacune est constituée d’une diversité que nous n’avons pas voulue, avec à la fois une part comme un chemin piétiné par l’adversité cruelle, un autre comme un tas de cailloux d’une superficialité aride où manquent énergie, désir et persévérance, une autre comme un buisson d’épines d’illusions ou d’idoles trompeuses et envahissantes, une part aussi de bonne terre, parce que chacun, chacune est capable de porter les fruits de la parole qui fait vivre et d’abord l’amour, commandement premier, voie par excellence pour la vie de soi et d’autrui. Le semeur sème partout, tout ce que nous sommes, notre être entier est digne d’intérêt. La générosité du semeur est l’image de celle du Christ envers nous et à travers lui de celle de Dieu dont le Règne se présente comme une réalité qui nourrit notre présent, notre présence dans toutes ses dimensions, dans toute sa diversité, et alors l’adversité, les soucis trompeurs des richesses, le désert stérile et sans espoir ne sont pas les seules puissances agissantes en nous. Et alors la parole, Parole de Dieu

qui n’est pas des mots ni des phrases ni des formules ni des dogmes,
mais qui est puissance vivifiante, acte créateur, restaurateur et libérateur, grâce d’acquiescement à notre personne,
cette Parole oeuvre en nous, en notre faveur, pour notre fécondité d’être et de vie. Cette Parole n’exige pas de conditions pour être semée, déposée en nous, devenir une part de nous-mêmes, une part profondément et véritablement vivante.

La Parole/Agir de Dieu ne se manifeste pas par des coups d’éclats. Un grain, c’est modeste, il n’impose rien. La présence de la transcendance, c’est comme un appel, une proposition, une insistance sans contrainte. Les quatre évangiles témoignent du Christ comme prenant soin des personnes, les rejoignant dans leur désespoir, leur abandon, leurs soucis de vivre mal placés, leurs blessures et leurs manques pour les relever, les réveiller, les ressusciter en vivants de vie vivante. C’est ce que le Christ fait, généreusement, donner la vie en abondance dit-il dans un autre évangile, lui qui est Parole vivante, semée en notre humanité.
C’est cela le règne de Dieu, ni ailleurs ni pour plus tard, mais le maintenant de celles et ceux qui reçoivent la grâce de vivre en étant reliés à Dieu et aux autres.
Alors terrains nous sommes, oui, mais ne sommes-nous que cela ? L’interrogation, la quête se poursuit. Ne sommes-nous que les récepteurs de cette Parole vivifiante ? Car la parabole ouvre une autre piste : le grain semé en nous et qui pousse dans la bonne terre qui est en nous produit du grain. Cette fécondité qui advient en nous nous est-elle seulement destinée ? Qu’allons-nous faire du grain qui a mûri en nous ?

Et bien, nous pouvons le semer, nous pouvons devenir semeurs à notre tour. Nous pouvons donner corps à la générosité semée en nous, la divine générosité. Nous pouvons sortir pour semer. Sortir, un verbe seulement au début de la parabole, mais un verbe important pour les croyants. Sortir, vouloir et décider de sortir, pour semer ce grain produit en nous. Sortir non pour bêcher ni faucher ni arracher, ni même récolter : sortir pour semer, c’est-à-dire s’engager, aller vers d’autres, donner de ce que nous avons reçu, donner de nous-mêmes qui nous vient de la grâce divine. Nous pouvons sortir des habitudes et de l’entre-soi, des répétitions et des fatalités, sortir des raisonnements de rendements et de justification, des logiques raisonnables de nos sociétés.
Nous pouvons nous aussi semer des grains, des paroles et des actes de confiance, de gratuité, d’amour qui pourront être recueillis, accueillis et aider des personnes à ne pas céder au désespoir, aux idoles. Un petit geste, un regard, un mot pour signifier que les puissances de la négativité ne sont pas seules à travailler les humains et le monde, malgré leur éclat et leur violence.
Jésus de Nazareth, le Christ de Dieu l’a fait avant nous pour nous indiquer cette orientation, lui qui a semé la Parole qui fait vivre, lui qui parlait et mangeait avec n’importe qui, lui qui n’a jamais posé de condition pour se faire le prochain de quiconque avait besoin d’aide, lui qui a remis la Loi à sa place et la religion aussi. Ce qui motive le semeur, ce n’est pas la quantité de la récolte, ce n’est pas l’attente d’un rendement important. Il y a des pierres, des épines, des oiseaux rapaces, c’est vrai, et de la bonne terre aussi. Nous le savons. Ce qui motive le semeur, c’est le geste de semer, l’ampleur, la gratuité, la générosité des semailles.
Semeurs par la grâce que nous avons reçue, semeurs de confiance par la confiance du divin semeur, semeurs d’espérance par celle dont nous avons bénéficié, la parabole nous invite à le devenir, elle nous y engage par son dynamisme, la mise en mouvement qu’elle impulse en celles et ceux qui entendent, qui questionnent, qui cherchent. Et nous sommes là bien loin de la trop courte morale qui affirmerait qu’il faut faire de bonnes œuvres. La parabole désigne le Royaume, qui advient là et quand la parole de vie s’enracine et s’incarne et c’est une manière d’être, une forme d’être, un scintillement d’être qui signale le règne de Dieu. Il est question de notre vocation, individuelle, ou à deux, ou ensemble.

Ce n’est pas fini, nous ne sommes pas seulement semeurs, nous sommes aussi semés, semés dans le monde, dans le champ de l’humanité, comme le Christ l’a été et l’est encore, à travers nous, à travers d’autres. Nous sommes semés sur tous les terrains de l’humanité, non pas dans l’espace mais dans les différentes qualités de sols relevés par la parabole et qui sont tous là où nous vivons, là où des hommes et des femmes sont piétinés, étouffés, désespérés. Nous sommes semés comme des vivants vivant déraisonnablement, comme des grains produits par la Parole divine, la Parole Christ. Nous sommes semés gratuitement et sans savoir à l’avance où quand et pour qui nous pourrons porter du fruit. Nous sommes semés comme signes de grâce, semences d’amour, de pardon, de fraternité. Individuellement, à deux, à plusieurs, ensemble. Nous sommes semés comme signes de vie.