Prédication du 16 mai 2021

de Dominique Hernandez

Temps de prière

Lecture : Jean 17, 11-19

Lecture biblique

Jean 17, 11-19

11 Je ne suis plus dans le monde ; eux sont dans le monde, et moi, je viens à toi. Père saint, garde-les en ton nom, ce nom que tu m’as donné, pour qu’ils soient un comme nous. 
12 Lorsque j’étais avec eux, moi, je les gardais en ton nom, ce nom que tu m’as donné. Je les ai préservés, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon celui qui est voué à la perdition, pour que l’Ecriture soit accomplie. 
13 Maintenant, je viens à toi, et je parle ainsi dans le monde pour qu’ils aient en eux ma joie, complète. 
14 Moi, je leur ai donné ta parole, et le monde les a détestés, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. 
15 Je ne te demande pas de les enlever du monde, mais de les garder du Mauvais. 
16 Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. 
17 Consacre-les par la vérité : c’est ta parole qui est la vérité. 
18 Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. 
19 Et moi, je me consacre moi-même pour eux, pour qu’eux aussi soient consacrés par la vérité.

Prédication

Nous venons de lire une partie du chapitre 17 de l’évangile de Jean, chapitre qui correspond à la prière de Jésus avant qu’il ne sorte pour aller dans le jardin où il sera arrêté avant d’être jugé, condamné, crucifié. Cette prière clôt ce que les exégètes appelle le discours d’adieu, qui commence dès le chapitre 13 de l’évangile et l’épisode du lavement des pieds.
La prière de Jésus comporte trois partie, une première partie Jésus reprend son parcours dans le monde où le Père l’a envoyé et sa mission auprès des disciples dont il va être séparé. Puis dans la seconde partie, que nous venons de lire, Jésus prie pour ses disciples, il intercède pour eux. La troisième partie élargit la prière aux futurs disciples, ceux qui croiront plus tard.
Le mot de prière évoque certainement des choses très différentes pour chacun de nous.
Des différences de postures : 

  • assis sur une chaise ou un banc comme pendant le culte, 
  • debout aussi lors de la louange pendant le culte par exemple, 
  • à genoux sur le sol ou sur un petit banc de prière, 
  • les mains jointes, les mains ouvertes, ou posées sur les genoux
  • les yeux fermés ou levés au ciel. 

Des différences d’expression : 

  • prier avec ses propres mots, parfois juste un balbutiement, 
  • prier comme cela a été appris ou reçu d’une famille, d’une communauté, d’une tradition, 
  • prier avec les mots d’autres qui les ont priés avant, avec des psaumes, avec des textes de prières rassemblés comme autant de ressources dans des recueils ou sur internet
  • prier en faisant silence, à l’écoute, disponible.

Des circonstances différentes :

  • prière du matin et/ou du soir et/avant un repas, 
  • prière lors du culte, 
  • prière spontanée surgissant en raison d’un événement, d’un spectacle, reconnaissance, gratitude, ou appel à l’aide, 
  • prière née d’une lecture biblique, une méditation, un partage, 
  • prière solitaire ou prière commune.

Tous les évangiles mettent en scène Jésus priant : action de grâce avant un repas, ou prière solitaire dont le contenu n’est pas explicité, ou un cri sur la croix.
Dans ce chapitre de l’évangile de Jean, c’est une longue prière, prière avant le départ de Jésus, une prière qui exprime ses derniers mots, en quelque sorte, un testament, un testament déposé dans une prière.
Cette prière en paroles est remplie de présences : 

  • la présence de celui qui prie, entièrement là, concentré, rassemblé ainsi que l’indique le rappel de sa mission, 
  • la présence de Celui à qui s’adresse la prière dans une relation de proximité signalé par l’appellation : Père et Père saint car la proximité n’annule pas la différence, 
  • la présence de ceux pour qui Jésus prie : les disciples, avec cette relation de sollicitude de Jésus, le bon berger, envers les disciples, disciples qu’il ne laisse pas abandonnés ni démunis. Puisqu’il s’en va, il les confie aux Père.

Cette prière est remplie d’amour, même lorsqu’elle évoque la haine du monde. Car l’amour n’est pas aveugle et n’aveugle pas.

Présences et relations, voici bien ce qui peut remplir aussi nos prières, brèves ou longues. Présence de celui ou celle qui prie, la prière commence toujours avec un « Me voici » ainsi que  l’exprime la prière du jeune Samuel que nous avons chantée tout à l’heure : Parle Seigneur ton serviteur écoute ; je suis là, me voici.
Relation avec celui à qui s’adresse la prière, sinon il n’y aurait pas de prière quelle que soit sa forme.
Relations avec autrui particulièrement dans l’intercession, mais aussi dans la prière dite du Notre Père, puisque notre Père fait entrer dans la prière tous les autres enfants de notre Père, même lorsqu’on la prie de manière solitaire.

Prière avant le départ, la prière de Jésus s’inscrit dans un long terme pour les disciples pour lesquels il prie. C’est tout le temps de son absence qui est embrassé et c’est pourquoi cette prière nous concerne, c’est pourquoi nous pouvons en comprendre quelque chose pour aujourd’hui. Il y est question de la présence des disciples dans l’avenir de son absence, ce qui est notre présent. Il y est question de la présence des disciples dans le monde, c’est pourquoi nous sommes interpellés en ce XXI°s, dans notre monde tel qu’il est.
L’intercession de Jésus est articulée par quelques verbes bien particuliers, c’est-à-dire que la présence des disciples dans le monde est structurée par ces verbes. Mais ces verbes ne sont pas des exhortations adressées aux disciples, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas pour eux de s’efforcer à ceci ou à cela, il ne s’agit pas pour eux de se comporter comme ceci ou comme cela. Dans ce monde que Jésus reconnaît comme étant hostile aux disciples, dans ce monde que nous éprouvons comme extrêmement complexe, plein d’ambiguïtés de dangers et d’incertitudes, les dernières paroles du Jésus dans l’évangile de Jean, son testament, ne consiste pas en une éthique mais dans une prière d’intercession. C’est-à-dire une confiance au Père, confiance qu’il continuera à être Père, notre Père, confiance qu’il poursuivra son œuvre de Père. Cette œuvre est dite en deux dimensions : garder et sanctifier. C’est le Père qui le fait, pas les disciples. En l’absence du Fils, les disciples sont toujours au bénéfice de l’œuvre du Père.
Ce n’est pas tout. Car en l’absence du Fils, les disciples sont toujours au bénéfice de ce que Jésus a fait pour eux et que la prière rappelle au cœur de la partie que nous avons lue : je leur ai donné ta parole.

Nous avons trois verbes : donner, garder, sanctifier. Nous bénéficions d’un don, d’une garde, d’une sanctification. Ainsi nous pouvons vivre dans le monde, puisqu’il s’agit de cela, puisque c’est cela qu’envisage Jésus dans sa prière.

Je leur ai donné ta parole : au cœur de ce passage, le rappel de ce que Jésus a fait, sa mission, ce pour quoi il a été envoyé selon l’expression familière du quatrième évangile. Ce verbe donner est l’un des principaux verbes de l’évangile de Jean, il résume quasiment à lui tout seul une compréhension de Jésus et à travers lui de Dieu puisque ce que fait le Fils, c’est de révéler le Père. Qui donne. Un Dieu qui donne. C’est une autre image que celle d’un Dieu qui s’impose, ou qui tient des comptes ou d’un Dieu qui juge ! Un Dieu qui donne, pas un échange, pas une récompense : un don.
En un mot ce qui est donné, c’est sa Parole, la Parole de Dieu. En un mot, mais quel mot ! Vous connaissez l’expression « donner sa parole », c’est un gage de confiance, une attestation de fidélité, une parole qui a du poids, de la densité, une parole fiable. Vous connaissez aussi l’expression « donner la parole », une autorisation afin qu’autrui parle et que sa parole soit écoutée, entendue pour être comprise. Jésus le Fils, le Christ, lui, a donné la parole de Dieu, parce que telle était sa mission. Et ce don de parole est fiable, et il autorise les disciples à parler à leur tour.
La Parole de Dieu, cela parle d’un Dieu qui est Dieu de relation, qui appelle à la relation, qui espère la relation. Et cela parle aussi d’un écart, et même d’une parole qui opère une coupure en celui qui l’écoute, une coupure entre soi et le soi appelé, entre soi et le monde, afin de dénouer les confusions. Car la Parole donnée est aussi don de sens et d’existence, naître à nouveau, naître d’en haut, devenir enfant de Dieu, être de Dieu selon les expressions johanniques. C’est-à-dire ne pas recevoir son identité de son propre fait ni d’instances mondaines basées sur les compétences, qualités ou échecs, tout ce qui structure le monde dans ses exigences de réussites, de classements, de compétitions. La parole donnée ouvre pour l’existence une orientation décalée du monde qui prétend naître seul, de lui-même, sans parole, sans altérité, un monde absorbé par lui-même et qui prétend absorber tout ce qui est.
C’est pourquoi le monde est hostile à ce qui lui échappe, aux horizons dégagés de ses obsessions, aux cabanes bricolées en dehors de ses plans, aux expressions libérées de ses cadres, et aux disciples affranchis de ses codes et les contestant.
Car la Parole est révélation, c’est-à-dire éclairage portée sur le monde à partir d’une altérité qui ne lui appartient pas, qui ne lui est pas soumise. La révélation est double, portant à la fois sur ce qui anime le monde replié sur lui-même et sur sa structure, et en même temps, elle est révélation d’une autre structure, d’une autre animation, d’une autre orientation, poétisées par le prologue, résumée dans ce verset de Jn 3,16 : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle. Un monde créé, basé, animé, orienté, par l’amour et le don, qui est le monde pour les enfants de Dieu, des enfants du Père révélé par Jésus le Fils.

Jésus prie pour ceux-là, ses disciples, il demande à Dieu de les garder dans son Nom et de les garder du mauvais.
Dans les Écritures, le nom représente une manière de dire la personne. Le Nom est une manière de parler de Dieu, ou de parler à Dieu sans utiliser de nom car pour Israël, le tétragramme ne se prononce pas, et Dieu n’est pas le nom de Dieu. Jésus prie Dieu de garder les disciples dans lui et c’est vraiment un dans locatif. Deux choses :
Si Dieu nous garde dans lui, c’est que nous y sommes déjà dans lui. Nous y sommes déjà dans cette dynamique de don, d’amour et de vie, nous y sommes déjà dans cette relation, dans la vie éternelle puisque c’est ainsi que l’évangile de Jean nomme la relation de foi, croire que Jésus révèle Dieu, que le Fils révèle le Père.
Nous y sommes déjà et nous le resterons, c’est ce que nous pouvons comprendre de cette prière où Jésus demande à son Père de rester son Père et le nôtre, de nous garder non pas comme enfermés, mais comme vivifiés. La prière de Jésus, c’est aussi une manière d’assurer les disciples que le départ du Fils n’est pas une perte, que ce qui leur a été donné ne leur sera pas retiré, ce que nous rappellera également la fête de Pentecôte dimanche prochain.
La Parole a été donnée et n’est pas reprise. Il arrive parfois que nous l’entendions un peu moins. Les voix du monde sont assez tonitruantes, adeptes du rapport de force, ou assez séduisantes tant elles sont empreintes de cosmétiques. Cosmétique est un mot de la famille de cosmos, le monde en grec. Le cosmétique, c’est ce qui maquille la réalité pour lui donner une meilleure apparence en dissimulant ce qui n’est pas avenant, en inventant des artifices pour produire une illusion.
Illusions, dissimulations, rapports de force, autant de manifestations, et il en est d’autres, de ce mauvais, ce mal contre lequel Jésus prie son Père de garder les disciples. Nous l’en prions aussi : délivre-nous du mal. Car c’est être humain que d’être exposé, que d’être en proie à ces tentations de domination, de convoitise, d’indifférence ou de jalousie, capables de détruire l’humanité de l’humain. Cette garde divine n’est pas celle d’une forteresse qui mettrait à l’abri mais celle d’un dévoilement et d’une résistance dont nous serions incapables par nous-mêmes mais qui sont donnés par le moyen de la foi et de la communion.
C’est pourquoi Jésus exprime la finalité de la garde divine en disant : afin qu’ils soient un comme nous. Un qui parle non d’uniformité mais d’unité, de communion, de relation d’amour c’est-à-dire de reconnaissance inconditionnelle et fraternelle. Cela est offert au monde, dans le monde où les disciples vivent et où ils sont envoyés en disciples vivant de Dieu. Un qui parle aussi de cohérence de l’existence à la Parole, d’intégrité de l’être, là où le monde replié sur lui-même pousse aux divisions entre les êtres et aux divisions intérieures jusqu’à l’éclatement de la personne à coup d’injonctions, d’allégeances multiples et de distractions. Un, dans ces deux dimensions d’unité et d’intégrité, est un chiffre d’existence non pas secrète, mais clairement exposée dans le monde et pour lui.

Enfin, Jésus prie le Père de sanctifier les disciples. La sanctification ne consiste pas en un rite particulier qui rétablirait ou assurerait un état de pureté. Elle ne consiste pas non plus en un effort de perfectionnement moral à mener dans la durée pour accéder à la sainteté. La sanctification est un don de Dieu. Puisque Dieu est Dieu qui donne, Dieu qui aime. La sanctification se produit dans l’accueil de la Parole donnée, la Parole qui est la vérité, que personne ne possède. Parfois, nous en comprenons un fragment, une petite part de cette Parole, de cette vérité. Et quand nous la comprenons, c’est-à-dire quand nous la prenons en nous, quand nous l’intégrons à notre être, nous en sommes transformés. La sanctification, c’est cette transformation intérieure qui est l’effet de la Parole écoutée en nous. C’est tout au long de notre existence que cette transformation intérieure se produit, c’est un devenir et qui n’a pas d’autre but que ce devenir dans la divine dynamique créatrice. Il n’y a pas d’objectif prédéterminé à atteindre. La sanctification c’est le chemin intérieur de la foi. 

Parole donnée, garde divine, sanctification, tout cela est déposé dans une prière de Jésus pour ses disciples, prière au Dieu qui donne, prière au Père donateur de sens et de vie. Ce qui est dessiné pour les disciples, c’est la proximité du Dieu Père à leur égard, pour leur bénéfice, une proximité qui ne réduit pas l’altérité, une proximité telle qu’elle révèle aux disciples Dieu comme fondement de l’être humain, sans que l’humain ne puisse se prendre pour Dieu. Parce que les dernières paroles, le testament de Jésus est déposé dans une prière, la prière est offerte comme un lieu de réponse des disciples, un « Me voici » appelé par le don de Dieu, la reconnaissance de ce que l’infini de la transcendance rejoint et saisit notre existence toute limitée.
L’évangile de Jean trace une voie qui relève de la mystique, une dimension de la foi qui n’est pas réservée à quelques croyants exceptionnels, qui ne néglige pas les Écritures, qui ne dévalue pas la grâce, qui ne dévalorise pas l’éthique, qui ne se satisfait pas de doctrine ni de dogme, et qui ne s’oppose pas à la raison. Une manière de s’exposer à Dieu, à son énergie, à son amour, à sa Parole, à son Souffle, pour mieux bénéficier de l’élan de vie, de la lumière et de l’espérance donnée ; s’exposer à la présence, à la compagnie de Dieu, comme au sortir de l’hiver on s’expose à la lumière et à la chaleur du soleil comme le dit judicieusement André Gounelle.
S’exposer à Dieu pour être envoyé, exposé dans le monde, vivant et en signe de vie, aimant et en signe d’amour.