Prédication du 3 mai 2020

Petit culte vidéo (enregistré pendant le confinement)

de Dominique Hernandez

Sauvetage

Lecture : Actes 27

Lecture biblique

Actes 27

1 Lorsqu’il a été décidé que nous embarquerions pour l’Italie, on a remis Paul et quelques autres prisonniers à un centurion nommé Julius, de la cohorte Auguste.
2 Montés sur un bateau d’Adramytte en partance pour les côtes de l’Asie, nous avons gagné le large ; avec nous se trouvait Aristarque, un Macédonien de Thessalonique.
3 Le jour suivant, nous avons abordé à Sidon ; Julius, qui traitait Paul avec humanité, lui a permis d’aller chez ses amis pour bénéficier de leurs soins.
4 Partis de là, nous avons longé la côte de Chypre, parce que les vents étaient contraires.
5 Après avoir traversé la mer qui baigne la Cilicie et la Pamphylie, nous avons débarqué à Myra, en Lycie.
6 Là, le centurion a trouvé un bateau d’Alexandrie à destination de l’Italie, et il nous y a fait monter.
7 Pendant bien des jours, nous avons navigué lentement. Nous avons atteint à grand-peine les parages de Cnide, et comme le vent ne nous permettait pas d’aborder, nous avons longé la Crète, en doublant Salmoné.
8 En la bordant à grand-peine, nous sommes arrivés à un lieu appelé Beaux-Ports, près de la ville de Lasée.

9 Comme beaucoup de temps s’était écoulé et que la navigation devenait dangereuse — le jeûne était déjà passé — Paul les avertissait :
10 Mes amis, je vois que la navigation ne se fera pas sans péril et sans beaucoup de dommage, non seulement pour la cargaison et pour le bateau, mais encore pour nous-mêmes.
11 Mais le centurion se fiait au timonier et au capitaine du navire plutôt qu’aux paroles de Paul.
12 Comme le port se prêtait mal à l’hivernage, la majorité décida de remettre la voile pour tâcher d’atteindre Phénix, un port de Crète tourné vers le sud-ouest et le nord-ouest, afin d’y passer l’hiver.

13 Un léger vent du sud s’était levé ; pensant être en mesure d’exécuter leur projet, ils ont levé l’ancre et se sont mis à longer de près la Crète.
14 Mais peu après, venant de l’île, un vent de tempête appelé euraquilon s’est déchaîné.
15 Le bateau a été entraîné, sans pouvoir tenir contre le vent, et nous nous sommes laissé porter à la dérive.
16 Tandis que nous passions au-dessous d’une petite île appelée Cauda, nous avons réussi, à grand-peine, à nous rendre maîtres de la chaloupe ;
17 après l’avoir hissée, ils se sont servis des moyens de secours pour ceinturer le bateau et, de crainte d’échouer sur la Syrte, ils ont descendu l’ancre flottante, continuant à la dérive
18 Comme nous étions fortement secoués par la tempête, ils se sont débarrassés le lendemain d’une partie de la cargaison.
19 Le troisième jour, ils ont jeté de leurs propres mains les agrès du bateau.
20 Ni le soleil, ni les étoiles n’avaient paru pendant plusieurs jours, et la tempête restait si forte que nous avions finalement perdu toute espérance d’être sauvés.

21 Ils n’avaient pas mangé depuis longtemps. Alors Paul, debout au milieu d’eux, leur a dit : Mes amis, vous auriez dû m’écouter et ne pas repartir de Crète ; vous auriez évité ce péril et ce dommage.
22 Mais maintenant, je vous exhorte à prendre courage ; car aucun de vous ne périra, mais seulement le bateau.
23 En effet, un ange du Dieu auquel j’appartiens et à qui je rends un culte s’est présenté à moi cette nuit
24 et m’a dit : N’aie pas peur, Paul ; il faut que tu comparaisses devant César, et Dieu t’accorde la grâce de tous ceux qui naviguent avec toi.
25 Prenez donc courage, mes amis, car j’ai cette foi en Dieu qu’il en sera comme il m’a été dit.
26 Nous devons échouer sur une certaine île.

27 C’était la quatorzième nuit que nous étions ainsi ballottés sur l’Adriatique, quand les matelots, vers le milieu de la nuit, ont soupçonné l’approche d’une terre.
28 Ils ont jeté la sonde et trouvé vingt brasses ; après avoir couvert une courte distance, ils l’ont jetée à nouveau et trouvé quinze brasses.
29 Craignant d’échouer sur des récifs, ils ont jeté quatre ancres de la poupe, en souhaitant que le jour se lève.
30 Mais, comme les matelots cherchaient à s’enfuir du bateau et faisaient descendre la chaloupe à la mer sous prétexte d’aller, depuis la proue, fixer plus loin des ancres,
31 Paul a dit au centurion et aux soldats : Si ces hommes ne demeurent pas dans le bateau, vous ne pouvez pas être sauvés !
32 Alors les soldats ont coupé les cordes de la chaloupe et l’ont laissée tomber.

33 En attendant que le jour se lève, Paul a invité tout le monde à prendre de la nourriture, en disant : C’est aujourd’hui le quatorzième jour que vous êtes dans l’attente et que vous restez à jeun, sans rien prendre.
34 Je vous invite donc à prendre de la nourriture, car il y va de votre salut : aucun d’entre vous ne perdra un seul cheveu de sa tête !
35 Après avoir dit cela, il a pris du pain, il a rendu grâce à Dieu devant tous, puis il l’a rompu et s’est mis à manger.
36 Alors, reprenant courage, tous ont pris de la nourriture.
37 Nous étions, dans le bateau, deux cent soixante-seize personnes en tout.
38 Quand tous ont eu assez mangé, ils ont allégé le bateau en jetant le blé à la mer.

39 Lorsque le jour s’est levé, ils n’ont pas reconnu la terre, mais ils ont aperçu un golfe et ils ont décidé de pousser le bateau, si possible, jusqu’au rivage.
40 Ils ont détaché les ancres pour les laisser aller à la mer et ils ont relâché en même temps les attaches des gouvernails ; puis ils ont mis au vent la voile d’artimon et se sont dirigés vers le rivage.
41 Mais ils sont tombés sur un banc de sable entre deux courants, et ils y ont échoué le navire. La proue, bien engagée, demeurait immobile, tandis que la poupe se disloquait sous la violence des vagues.
42 Les soldats avaient décidé de tuer les prisonniers, de peur que l’un d’eux ne s’échappe à la nage.
43 Mais le centurion, qui était décidé à sauver Paul, les a empêchés de mettre leur décision à exécution. Il a donné l’ordre à ceux qui savaient nager de se jeter les premiers à l’eau pour gagner la terre.
44 Les autres les rejoindraient sur des planches ou sur des débris du bateau. Ainsi tous sont parvenus à terre sains et saufs.

Prédication

Il y a toujours eu des récits de tempête et de naufrage, déjà dans l’Antiquité : Homère et l’Odyssée. Comme il y en a aussi plusieurs dans la Bible avec Jonas par exemple ou le récit de la tempête apaisée dans les évangiles synoptiques.
La tempête est un phénomène naturel qui prend dans les textes bibliques une valeur symbolique car l’humain, confronté à la violence des éléments, se trouve ainsi aux prises avec sa fragilité d’humain face au danger, à un risque mortel, à la peur. Dans le Nouveau Testament, jamais les disciples de Jésus, ni Paul, qui écrit-il a fait plusieurs fois naufrage, ne pensent que la tempête est l’effet de la colère de Dieu. Depuis Jésus de Nazareth, il n’y a pas moyen de rendre Dieu responsable d’un phénomène ou d’une catastrophe naturelle.
Ce qui est certain, c’est que la tempête n’est pas le destin de l’être humain, mais elle figure un moment du temps chargé d’une symbolique de l’existence. Elle n’est pas le fond de l’histoire, elle ne représente pas le fond des choses. Elle est l’occasion d’un discernement sur soi, sur l’humanité, sur Dieu. Il s’agit en quelque sorte d’un temps de révélation parce que la tempête oblige à une expérience d’humanité et de foi.

Le récit d’Actes 27 est remarquable par la précision des descriptions, du vocabulaire maritime et technique, des coutumes de navigation de l’Antiquité. Et aussi par sa composition, l’enchaînement de tous les épisodes depuis l’embarquement à Césarée jusqu’au naufrage sur une côte inconnue.
Ainsi le lecteur sait que l’époque de la navigation n’est pas propice car après le jeûne de Kippour, environ octobre, les vents peuvent y être très violents. Effectivement cette tempête va pousser le bateau sur plus de 1000 km, jusqu’aux confins du monde connu. Les naufragés découvrent une terre inconnue, une plage vague dont ils ne savent s’il y surgira un monstre, des habitants hostiles ou non, et cette incertitude est génératrice d’angoisse, comme la tempête l’a été.
A bord du bateau, 276 personnes sont embarquées constituant plusieurs groupes : l’équipage, Paul et les personnes qui l’accompagnent, d’autres prisonniers, les soldats chargés de les garder, et des passagers. Toute une société rassemblée mais tous ne partageant pas forcément les mêmes buts ni les mêmes compétences, ni le même dieu, ni la même spiritualité. Mais tous vont être confrontés à la même expérience effrayante.
Nous qui sommes lecteurs de ce récit, nous sommes aussi divers et rassemblée dans une société aux prises avec une crise sans commune mesure avec ce que nous connaissons, une épreuve d’humanité et de foi. Mais nous y sommes plongés avec un bagage de récits et d’expériences, ressources disponibles, comme ce texte d’Actes 27.

Dans ce récit, je vous invite à nous arrêter sur cinq points particuliers, cinq moments importants qui représentent des moments de choix pour l’un ou l’autre des personnages mis en scène. Car même au cœur d’une tempête déchaînée, même dans une situation de crise comme celle que nous affrontons, il y a des choix à faire. C’est qu’il ne s’agit pas d’en appeler à Dieu pour qu’il apaise la tempête et fasse que le navire arrive au port ; il ne s’agit pas de laisser Dieu s’occuper de tout. D’ailleurs dans ce récit, Dieu ne calme pas la tempête et n’empêche pas le bateau d’être détruit.
Luc rappelle que même quand on se sent peu de chose et impuissant, il y a des choix à faire, des choix qui engagent, non seulement pour préserver la vie des vivants, mais pour rester humain et pour rester accordé à ce qu’on croit.

Le premier point, c’est la première prise de parole de Paul.
Paul, grand voyageur qui s’y connaît en navigation et en naufrage, avait prévenu du danger de quitter l’escale crétoise. L’apôtre ne manque pas de le rappeler lorsqu’il prend la parole après plusieurs jours d’une tempête qui a épuisé les passagers et leur espoir d’être sauvés. Il avait eu raison contre la majorité.
Un tel rappel peut facilement devenir un argument d’autorité, pour autant qu’il soit justifié. La frontière est mince et peu signalée entre l’appel à la confiance qu’un tel argument suppose et la pression d’un rapport de force instauré sur le remord ou la culpabilité.
Paul n’en rajoute pas. Il ne se répand pas en reproches ou en amertume. Il prend acte du présent et de l’espoir qui est le sien selon la vision qu’il a eu la nuit précédente. Paul parle de salut, ce qui rappelle à juste titre combien le salut s’apparente à un sauvetage. Dans ce double sens théologique et pratique/circonstanciel, le vocabulaire du salut court dans tout le chapitre.
L’expression et le témoignage de la confiance, la foi en ce salut, ce sont des paroles de réconfort et d’encouragement. Pas un discours pour alimenter la peur et l’angoisse. Une parole de confiance, qui peut rendre confiance, au moins assez pour endurer encore un peu, même si un peu c’est parfois long.
Paul prend appui sur la parole qui lui a été dite, une voix au milieu du fracas des éléments. C’est que tant de voix résonnent en temps de crise, voix de conseils, d’avertissements, de condamnations, de prédictions. Se mettre à l’écoute d’une voix intérieure, la voix de confiance, c’est déjà pouvoir faire silence en soi. Afin que ses propres paroles soient inspirées par la voix intérieure, inspirées et non imposées.
La voix intérieure de confiance, la voix qui parle de salut n’est pas une voix tonitruante, et elle parle de salut pour tous. Tous seront sauvés. Tous, sans distinction entre juifs et grecs chrétiens et païens, croyants et non-croyants, bon et méchants, compétents et incompétents.

Le deuxième temps, c’est la deuxième prise de parole de Paul, motivée par la réaction de membres d’équipage qui cherchent à fuir dans la chaloupe, abandonnant les passagers, soucieux de leur propre salut avant tout. Ce que Paul indique au centurion comme étant un danger pour tous, pour ceux qui veulent fuir comme pour ceux qui n’y songent pas. Pas de « sauve qui peut », pas de « chacun pour soi », même pas « les femmes et les enfants d’abord ». Tous, c’est tous. La chaloupe est trop petite pour les 276 passagers, elle ne convient donc pas comme instrument du salut. Il n’y a pas de salut qui opèrerait une rupture, une division au sein des passagers du bateau.
C’est dire alors que l’autre ne peut être considéré comme un danger : l’autre ne peut pas, par sa simple présence, faire que j’aurais moins de chance. Regarder l’autre comme une menace, regarder l’autre avec la peur au ventre, c’est là le véritable danger et ce qui menace le salut car cela conduit inexorablement à la déshumanisation d’autrui.
Il n’y a pas de salut au détriment de qui que ce soit.

Le troisième point, c’est la prise de nourriture à laquelle Paul exhorte les passagers et l’équipage. La parole de réconfort n’est pas seulement parole, elle devient, elle implique le soin des personnes. Chacun peut reprendre des forces, chacun même doit reprendre des forces, pour participer aux tâches à venir, parce qu’il ne s’agit pas de démissionner, de laisser tomber. Car chacun sur le bateau aura quelque chose à faire. Si personne ne peut se sauver, être sauvé tout seul, personne n’a à sauver les autres tout seul. Paul encourage et prend soin, il peut faire cela, mais ce n’est pas lui tout seul qui va mettre en œuvre ce qui permettra de sauver les 275 autres.
Si Paul est présenté quasiment comme un héros dans ce récit, ce qui est à la portée quotidienne de chacun, grâce à une nourriture de confiance, de foi, d’espérance, c’est d’être porteur d’une parole de confiance, de réconfort et d’encouragement, et de mettre ces paroles en actes, en simplicité et sincérité de cœur. Paul mange comme il mange toujours, en rendant grâce pour le pain qu’il rompt pour le manger. Cette simplicité et cette sincérité de parole et d’acte est encouragement, c’est-à-dire bénédiction pour autrui.
Chacun peut être à la tâche, participer à l’effort de l’ensemble. Le salut ne passera pas par un seul d’entre eux, ni même par un seul petit groupe. Car les différents groupes présents sur le bateau se retrouvent communauté dans cette circonstance éprouvante de la tempête. Et cela dit quelque chose du salut.
Pourtant, c’est la quatrième étape, les soldats veulent tuer les prisonniers. Projet sensé du point de vue de subordonnés appelé à rendre des comptes à une hiérarchie intransigeante : plutôt que de prendre le risque de voir les prisonniers s’échapper, mieux vaut les tuer. Les soldats veulent sacrifier les prisonniers à leur propre sauvetage… vis-à-vis de ceux qui les ont envoyés en mission.
Mais d’une part, d’un point de vue théologique, le salut n’est la mission de personne. Le salut est don de Dieu. L’Église s’est bien trop souvent discréditée en sacrifiant des vivants au nom du salut.
Et d’autre part, d’un point de vue d’humanité, le salut en tant que sauvetage d’un ensemble pris dans une crise implique que personne ne peut être privé de salut. Même pas ceux dont certains pensent qu’ils pourraient être un poids, une charge, un souci supplémentaire au moment où il y a déjà tant des soucis. Le souci de ceux-là, considérés non comme des charges mais comme des humains, leur préservation dans la crise et après la crise relève de la juste compréhension du salut, du sauvetage. En matière de salut, de sauvetage, le sacrifice de personne n’est requis ni nécessaire.

Enfin, cinquième point : la cargaison et le navire sont abandonnés. Petit à petit, le navire a dû être allégé de toute charge, puis après le dernier repas, la cargaison de blé est jetée à la mer, et finalement, le navire échoué et en cours de dislocation est abandonné.
Il est raconté là toute une série de renoncements, y compris à ce qui est précieux : chargement, navire, ce qui représente une somme d’argent considérable. Un voyage commercial, c’est la marque de tout un système d’échange, de relations entre les différentes contrées et les différents peuples.
Dans ce récit, tout ce qui est matériel est abandonné, parce qu’il ne s’agit que de moyens bien moins importants que la vie des personnes et que le salut porte sur la vie. Rester vivant et vivre encore, ensuite, ne prend pas forcément sens dans ce qui est connu, habituel, dans ce au sujet de quoi on ne se pose plus de question.
Tous les passagers et membres d’équipage se jettent à l’eau pour rejoindre la terre inconnue. La métaphore serait-elle significative pour la crise actuelle ? Savons-nous à quoi ressemble une terre de bien-veillance et de solidarité ? Pour aborder sur cette terre, de quoi faut-il se débarrasser ?

Ce récit donne sens à la tempête, à la crise comme moment de révélation, de discernement, de lucidité. Dans ce récit, la figure de Paul indique la foi comme appui du discernement et de la lucidité face aux tentations et aux illusions signalées par le comportement des marins, des soldats et des autres passagers.
Le récit raconte que le salut est pour tous, 

qu’il prend forme de soins et d’encouragement en ceux qui y croient, sans que personne ne soit abandonné ni sacrifié,
et qu’il engage à un discernement sur ce qui est véritablement force pour la vie vivante. 

Un récit comme un bon bagage pour aujourd’hui et pour demain, pour penser aujourd’hui et demain.

Amen