Prédication du 9 mars 2025
de Sandrine Maurot
« Prière de ne pas lire en diagonale »
Lecture : Épître aux Romains 16, 1-20
Lecture biblique
Épître aux Romains 16, 1-20
(Traduction Nouvelle Bible Segond,
avec deux révisions)
1 Je vous recommande Phœbé, notre sœur, qui est aussi ministre de l’Eglise de Cenchrées,
2 afin que vous la receviez dans le Seigneur d’une manière digne des saints. Mettez-vous à sa disposition pour toute affaire où elle pourrait avoir besoin de vous, car elle a été une protectrice pour beaucoup, y compris pour moi-même.
3 Saluez Prisca et Aquilas, mes collaborateurs en Jésus-Christ,
4 qui ont risqué leur tête pour sauver ma vie ; ce n’est pas moi seul qui leur rends grâce, ce sont encore toutes les Eglises des non-Juifs ;
5 saluez aussi l’Eglise qui est dans leur maison. Saluez Epaïnète, mon bien-aimé, qui est les prémices de l’Asie pour le Christ.
6 Saluez Marie, qui s’est donné beaucoup de peine pour vous.
7 Saluez Andronicos et Junia, qui sont de ma parenté et qui sont aussi mes compagnons de captivité ; ils sont très estimés parmi les apôtres, ils étaient même dans le Christ avant moi.
8 Saluez Ampliatus, mon bien-aimé dans le Seigneur.
9 Saluez Urbain, notre collaborateur dans le Christ, et Stachys, mon bien-aimé.
10 Saluez Apellès, qui a fait ses preuves dans le Christ. Saluez ceux de la maison d’Aristobule.
11 Saluez Hérodion, qui est de ma parenté. Saluez ceux de la maison de Narcisse qui sont dans le Seigneur.
12 Saluez Tryphène et Tryphose, elles qui se sont donné de la peine dans le Seigneur. Saluez Perside, la bien-aimée, qui s’est donné beaucoup de peine dans le Seigneur.
13 Saluez Rufus, celui qui, dans le Seigneur, a été choisi, et sa mère, qui est aussi la mienne. 14 Saluez Asyncrite, Phlégon, Hermès, Patrobas, Hermas, et les frères qui sont avec eux.
15 Saluez Philologue et Julie, Nérée et sa sœur, ainsi qu’Olympas et tous les saints qui sont avec eux.
16 Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser. Toutes les Eglises du Christ vous saluent.
17 Je vous encourage, mes frères, à prendre garde à ceux qui causent des divisions et des chutes, contrairement à l’enseignement que vous avez reçu. Eloignez-vous d’eux.
18 Car de tels individus ne sont pas esclaves du Christ, notre Seigneur, mais de leur propre ventre ; par de bonnes paroles et par des éloges, ils trompent le cœur des gens sans malice.
19 Quant à vous, votre obéissance est connue de tous ; je me réjouis donc à votre sujet, mais je veux que vous soyez sages en ce qui concerne le bien comme vous êtes purs en ce qui concerne le mal.
20 Le Dieu de la paix écrasera bientôt le Satan sous vos pieds. Que la grâce de notre Seigneur Jésus soit avec vous !
Prédication
Pasteur Roland de Pury, Journal de cellule, samedi 10 juillet 1944.
« Un tel besoin d’affection m’emplit le cœur que la nourriture la plus bienfaisante de la Bible se trouve être les chapitres de salutations à la fin des épîtres, auxquels je ne prenais pas garde et qui maintenant me secouent comme le témoignage concret de la communion des saints et de l’amitié en Christ.
Oui, chacun de ces noms de Romains 16 était un ami, un préféré de l’apôtre.
L’Eglise était bien constituée par la joie des relations humaines dans le partage de l’espérance.
L’Eglise n’était point théorique, non plus que tous les amis auxquels je ne cesse d’envoyer le salut de mon cœur. »
Avez-vous eu l’impression à la lecture de cet extrait du chapitre 16 de l’Épître aux Romains qu’il y avait là pour vous « la nourriture la plus bienfaisante de la Bible » ?
Ce n’est pas évident…
Ce n’est pas évident pour plusieurs raisons.
D’abord parce que, comme Roland de Pury avant qu’il ne soit incarcéré au fort de Montluc par la Gestapo, souvent on ne « prend pas garde » aux chapitres de salutations à la fin des épîtres.
A la fin du chapitre précédent, Paul vient de dire : « Le Dieu de la paix soit avec vous tous, amen ! ».
On pense alors que l’essentiel est terminé ; que ce sont des salutations conventionnelles comme c’est l’usage dans l’Antiquité. Et comme ces salutations sont spécialement longues dans l’épître aux Romains, on les lit d’autant plus en diagonale…
Mais on lit en diagonale aussi ce qui suit, mais pour d’autres raisons : le ton est rude, voire agressif.
Le vocabulaire trop manichéen, pré-moderne, les « je veux » de Paul le rendent inaudible.
Parmi les phrases qui nous prennent à rebrousse-poil, essayons d’entrer par la porte de celle-ci:
« Quant à vous, dit Paul aux Romains, votre obéissance est connue de tous ».
Isolé, ce verset pourrait être celui d’un fondateur de secte.
Pourtant, en cherchant un peu, on peut observer qu’aussi bien à la toute fin de l’épitre comme à son tout début, Paul précise bien qu’il parle d’obéissance de la foi.
Alors, on peut commencer à comprendre : il n’y a qu’à Dieu que les membres de la communauté de Rome ont à obéir, ce qui les libère de toute autre puissance.
Pour Paul, pétri de culture hébraïque, obéir, c’est d’abord écouter.
Seulement ce n’est pas écouter distraitement.
C’est écouter pour mettre en pratique.
Paul se réjouit donc que ces tous premiers chrétiens de Rome cherchent à écouter l’enseignement du Christ pour le mettre en oeuvre dans leur vie quotidienne, parce que c’est ce qui peut garder leur coeur.
Mais le garder de quoi ?
De la prédation.
Et donc du risque de se laisser remettre en esclavage.
On ne sait pas qui sont ces personnes dont il faut se protéger… mais ce que Paul leur reproche, c’est d’être « esclave de leur ventre ».
Il ne faudrait pas prendre Paul pour un idiot, il ne leur reproche pas bien sûr leur gourmandise excessive, mais c’est bien plus large.
Il dit que ces gens agissent « par de bonnes paroles et des éloges et trompent le coeur des gens simples ».
Il s’agit de s’éloigner de manipulateurs, de bons communicants dont l’appétit est insatiable, de prédateurs ou de prédatrices, pour protéger les gens vulnérables de leur communauté.
À ces gens, Paul reproche aussi de causer des « divisions et des chutes » au sein de l’Eglise, contrairement à l’enseignement qu’ils ont reçu.
Ce n’est pas une question de morale.
Paul le dit très clairement : il reproche à ces gens qui se donnent des airs pieux d’être en fait infidèles à l’enseignement reçu.
Nous savons bien quel est l’enseignement du Christ, qui n’a cessé de montrer à ses disciples comment intégrer sans cesse les exclus de toute sorte.
Les divisions que Paul redoute, c’est donc ce qui défait ce qu’est le Christianisme naissant dans son essence.
Un universalisme mis en pratique, vécu.
Ce qu’il défend par exemple avec passion dans l’Épître aux Galates, en disant qu’il n’y a plus de différence sexuelle, de classe, de race ou de culture qui tienne, puisque chaque baptisé est uni aux autres et co-héritier de Dieu à égalité, selon sa promesse.
Cette égalité est au fondement du Christianisme.
Elle n’est pas uniformité mais égalité de dignité.
Et voyez, en résonance avec notre actualité, on comprend mieux pourquoi la virulence de Paul est salutaire. Car nous sommes depuis quelques années heureusement plus sensibles aux ravages de la prédation sur les personnes.
Sur le plan international, nous voyons plus encore ces dernières semaines que rien n’est jamais acquis : le ventre insatiable des puissants de ce monde les entraine non seulement à être prédateurs de toujours davantage de peuples, mais aussi à rompre l’égalité fondamentale en estimant que certaines vies valent moins que d’autres.
Et ils le font, comme en avait averti Paul, par des discours mensongers qui ont l’apparence du bien.
Mais au fait, Paul lui-même parle de paix… Son discours n’est-il pas aussi suspect ?
Il ne suffit pas de parler de paix pour que ce soit une paix à la manière du Christ, fondée sur le respect de l’autre et la justice.
Le pasteur Roland de Pury – que je citais au début de cette prédication – avait lui-même entendu le ministre des cultes de Hitler dénoncer les chrétiens qui lui résistaient : l’Eglise confessante, Barth, Bonhoeffer…
Ce ministre les dénonçait comme des diviseurs, lui-même n’ayant que les mots d’unité et de paix à la bouche…
C’est grâce au lien entre les Eglises, qui dialoguent et s’avertissent les unes les autres, comme ici Paul pour les chrétiens de Rome, que l’esprit critique avait pu naître précocement.
On a la trace dans la presse régionale protestante du milieu des années 30 des échanges entre des théologiens allemands et français, qui dès lors n’ont pas eu la naïveté de croire justes ces paroles de paix.
Cela résonne beaucoup là encore avec notre actualité internationale récente.
Alors comment croire les paroles de paix de Paul ?
Comment savoir qu’il n’est pas un beau parleur de plus, un manipulateur de plus ?
Je crois que c’est, comme le Christ avant lui, parce que ses actes et ses paroles sont cohérents.
Et c’est la manière dont il fait cette longue liste de salutations qui nous le montre.
Les recherches en onomastique – la science des noms – nous apprennent qu’il y a dans cette longue liste des noms juifs et des noms païens, et parmi eux des noms de personnes qui ne sont pas nées à Rome.
Il y des noms d’esclaves ou d’affranchis et des noms de personnes libres, et parmi ces dernières, il y a des personnes très aisées qui ont une maison suffisamment grande pour accueillir une Église naissante.
Enfin, il y a des noms d’hommes aussi bien que de femmes.
Et tous ces noms sont cités pèle-mêle, sans protocole.
On peut le voir sans y prendre garde… mais souvenons-nous que l’Épitre aux Romains est une lettre officielle, destinée à être lue et commentée par la porteuse de la lettre, c’est l’usage puisque l’immense majorité de la population est analphabète.
C’est donc un discours et tout le monde attend de voir qui Paul va saluer ; qui il va distinguer.
Et là, surprise, c’est plus égalitaire que notre république du XXIè siècle.
En France aujourd’hui, les salutations sont au début des discours officiels.
On cite les gens par ordre protocolaire honorifique, c’est une pyramide.
Cela donne, par exemple :
« Monsieur le premier ministre
Messieurs les ministres d’Etat
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les chefs de mission diplomatiques
Mesdames et messieurs. »
Ici pas du tout.
Il y a pourtant bien déjà des fonctions dans l’Église naissante : des anciens, les ancêtres de nos conseillers presbytéraux ou bien des apôtres, mais Paul choisit librement de citer pêle-mêle tous ces noms.
Il salue l’esclave Ampliatus, puis quelqu’un de sa parenté, un citoyen romain, des citoyennes romaines et puis de nouveau une esclave, sa « Perside bien-aimée».
Lorsqu’il salue des couples, Paul cite parfois selon l’usage romain la femme après l’homme, mais parfois il fait le contraire : « Prisca et Aquilas ».
Il confie à une femme ministre, c’est à dire responsable au service d’une Eglise locale comme lui, Phoebe, le soin de le représenter.
Paul fait les louanges d’Andronicos et Junia, en disant qu’ils « sont très estimés parmi les apôtres ».
Il reconnait ainsi à une femme le titre d’apôtre.
Cela n’a pas posé de problème pendant toute l’Antiquité et le Moyen-âge, puisque les copistes ont gardé ce nom de Junia. C’est par la suite que cela a gêné et des théologiens ont estimé qu’il y avait une erreur puisqu’une femme ne pouvait pas être apôtre. Ils ont voulu lire « Junias », mais on sait maintenant que ce prénom masculin n’existe pas à Rome au 1er siècle.
Notre Nouvelle Bible Segond date un peu sur ce point, c’est pourquoi j’ai rectifié à la lecture, comme le font les Bibles les plus récentes.
En citant tous ces noms pèle-mêle, Paul met en pratique l’enseignement du Christ et c’est en cela qu’il est crédible.
Son langage est performatif : il fait ainsi exister l’égalité homme-femme, riche-pauvres, esclave-personnes libres…
Et c’est non seulement une égalité nouvelle mais une fraternité/sororité nouvelle entre personnes qui n’auraient jamais dû se rencontrer.
Voyez le nombre de fois qu’est répété le mot « bien-aimé ».
En grec, c’est « agapètos », le mot qui est employé au baptême de Jésus, quand les cieux se déchirent et que la voix divine dit : « Celui-ci est mon fils bien-aimé » .
Le modèle de lien fraternel que Paul veut entretenir avec les autres est inspiré de l’amour entre le Père et le fils, qui a bouleversé sa propre vie.
Il y a entre eux un lien d’amitié fraternel fort qui n’est pas non plus du langage creux.
En effet, Paul n’est pas un théologien en chambre : il rappelle qu’ils se sont entraidés en prison.
Il est reconnaissant à Prisca et Aquilas, celle et celui qui ont, comme il dit, « risqué leur tête pour sauver sa vie ».
Les unes et les autres ne sont pas ses « paroissiens », mais ses collaborateurs, littéralement ils sont ensemble « co-ouvriers » au service de l’évangile.
Il ne faudrait pas croire pour autant que Paul est un rêveur.
Il respecte le ministère des uns et des autres.
On sait par toutes ses lettres qu’il n’ignore pas non plus les échecs, les séparations amiables ou les pardons nécessaires… et les recommencements.
C’est aussi cela se « donner de la peine », comme il le répète ; se donner de la peine à mettre en oeuvre concrètement l’enseignement reçu.
Cela résonne avec le mot « labeur » qui est inscrit sur le mur de ce temple.
Mettre en oeuvre concrètement l’Evangile, ce n’est pas « travailler » – qui étymologiquement veut dire torturer ! – mais « labourer », c’est-à-dire permettre à la semence de trouver un terrain favorable pour qu’elle porte du fruit.
Si cette page de la fin de l’Épître aux Romains, au premier abord aride et désagréable, peut être pour nous aussi bienfaisante et nourrissante, c’est parce qu’elle nous permet de sortir de l’impuissance face aux nouvelles du monde.
Elle nous indique un chemin de joyeuse résistance aux discours prédateurs et mensongers.
Oui, tout humblement, à l’échelle de nos Églises locales, nous trouverons notre joie, malgré les épreuves, à continuer de mettre en oeuvre cette joyeuse égalité dans la diversité.
Et dans une fraternité heureuse et ouverte.