Prédication du 26 avril 2020
de Dominique Hernandez
Méditation pour l’émission de France 2 Présence Protestante
Lecture : Luc 24, 13-35
Luc 24, 13-18
Et voici que, ce même jour, deux d’entre eux se rendaient à un village du nom d’Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem. Ils parlaient entre eux de tous ces événements.
Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même les rejoignit et fit route avec eux ; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
Il leur dit : « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? » Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre.
L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit : « Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci ! »
Sait-on toujours où l’on va ?
Dans un temps d’épreuve, de drames, de crise,
quand l’espérance est en berne, la confiance en déroute, l’avenir incertain,
quand le présent est pesant et rempli d’absences,
quand on est ni fort ni héroïque,
sait-on toujours où l’on va ?
Ces deux-là marchent sur la route d’Emmaüs, mais Emmaüs, personne ne sait où c’est : il y a au moins cinq hypothèses mais aucune certitude…Emmaüs, c’est peut-être n’importe où, c’est peut-être nulle part, même à deux heures de marche de Jérusalem.
Alors est-ce une marche, ou une dérive, ou une morne retraite ?
Ne sommes-nous pas engagés, nous aussi, depuis quelques semaines, sur un chemin dont nous ne savons où il mène, avançant d’un pas plus ou moins lourd?
Ce qui peut changer le chemin, que ce soit un chemin de terre, un chemin de vie ou un chemin intérieur, c’est d’être rejoint, même par un inconnu, inattendu, qui se fait simplement compagnon.
Luc 24, 19-24
« Quoi donc ? » leur dit-il. Ils lui répondirent : « Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple : comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié ; et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus de tout cela, voici le troisième jour que ces faits se sont passés.
Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont bouleversés : s’étant rendues de grand matin au tombeau et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui le déclarent vivant.
Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ce qu’ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
Les deux marcheurs racontent leur espérance crucifiée, leur confiance brisée, ce Jésus qui n’était pas celui qu’ils attendaient. Ce qu’ils racontent est juste, les faits qu’il rapportent sont exacts, mais ils n’en ont pas compris le sens.
C’est que cela peut prendre du temps, de découvrir un sens. Souvent, le sens ne vient pas de soi, de soi-même, mais d’un autre, d’une autre parole, d’une parole autre.
Toutes ces fois où l’on avoue : je croyais que… nous espérions que… et puis la déception, l’incompréhension. Ce peut être au sujet d’un ami, d’un projet, d’une association, ou de soi-même. Ce peut être au sujet de Dieu, au sujet du Christ. Je croyais que… nous espérions que… Il faut bien pouvoir le dire et oser le dire. Lorsqu’on se trouve envahi par le chagrin, ou la déception, ou la peur, ou la colère, il n’y a plus de place pour prendre en soi autre chose, pour comprendre.
Et ce n’est pas si simple de se décaler de ce qui est perdu.
Mais à nous qui lisons, le récit rappelle obstinément, que lorsque l’humain n’y croit plus, Dieu croit toujours en lui et n’abandonne pas.
Luc 24, 25-27
Et lui leur dit : « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? »
Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait.
Le chemin vers nulle part devient un chemin de sens, un chemin de compréhension. Pour faire brèche dans ce qui pétrifie leur intelligence et ralentit leur cœur, le compagnon de route, le Christ, ouvre les Écritures. Ouvrir non pas seulement un livre, mais les Écritures ; non pour chercher une citation comme preuve, mais pour déployer un sens.
Le compagnon de route interprète la trajectoire du Christ dans la révélation déjà portée par les prophètes : appel à vivre dans la confiance de Dieu et en confiance avec Dieu, appel à vivre avec autrui. Cette interprétation des Écritures est comme l’existence : c’est un chemin, un cheminement.
Cette interprétation des Écritures devient écriture de vie pour nous, interprétation de nos histoires, de nos expériences, de nos existences,
afin que chacun puisse y voir un peu plus clair, un peu plus loin que les faits et les ressentis,
afin que chacun puisse y trouver place et y reconnaître ce que Dieu crée, recrée, sauve.
Il n’y a plus seulement des personnes qui cheminent sur une route, elles cheminent dans les Écritures et les paroles, et les Écritures et les paroles circulent entre les personnes, et dans tous ces cheminements, nous allons le voir, quelque chose de bon advient.
Luc 24, 28-32
Ils approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d’aller plus loin. Ils le pressèrent en disant : « Reste avec nous car le soir vient et la journée déjà est avancée. » Et il entra pour rester avec eux.
Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent, puis il leur devint invisible.
Et ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures ? »
Après avoir relu, c’est le temps de relier. Relire et relier, deux verbes si proches.
Relier le chemin au présent : reste avec nous…
Relier aussi le compagnon de route et le Christ qui partage le pain : le Christ est ressuscité ! Ils l’ont reconnu à la fraction du pain, non pas le Jésus qu’ils avaient suivi, mais le Christ vivant qui appelle à nouveau sur les chemins de la vie.
Relier enfin la brûlure du cœur et la fraction du pain : la Parole vivante est pain partagé, elle est nourrissante, vivifiante. Cette compréhension rend le regard superflu : il leur devint invisible, car il est délié de toute contrainte et de toute nécessité.
Mais il est désormais présent à chaque partage de pain, de vie, d’humanité.
Luc 24, 33-35
A l’instant même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem ; ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui leur dirent : « C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon. »
Et eux racontèrent ce qui s’était passé sur la route et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain.
Ils sont ressuscités, eux aussi !
A chaque fois que se relèvent, que se réveillent en un être humain le frémissement de la vie et le désir d’être avec autrui, c’est l’œuvre du Dieu qui ressuscite.
Cette résurrection advient de manière différente pour les uns ou les autres et les écrits du Nouveau Testament rendent témoignage de cette diversité avec les femmes, avec Pierre, avec Marie de Magdala, avec Paul, avec ces deux qui allait sur la route d’Emmaüs.
Et ce n’est pas terminé : le récit des chemins de résurrection se poursuit, en chaque résurrection d’homme et de femmes passant de la tristesse et de la peur à la joie et à la responsabilité, passant de la survie à la dynamique de la vitalité, passant de la déception et du désespoir à l’espérance et à la libre communion fraternelle en Christ, notre frère.
C’est la grâce et l’œuvre de Dieu que ces passages soient ouverts, pour chacun de nous, aujourd’hui et chaque jour qui vient.
Amen