Prédication du 18 février 2018

de Christophe Cousinié

Le rire de Sara

Dieu a-t-il de l’humour ?

A en croire le texte c’est un fait !

Annoncer à une vielle femme qu’elle aura un enfant, semble tout à fait impossible.

Et l’humour c’est justement ça. C’est tordre la réalité, décaler ce qui semble réel pour produire un rire.

Sara qui entend, cachée derrière la tente, cette promesse d’un enfant, a une réaction normale.

Elle rit !

Et quand l’humour est bien maitrisé, bien placé, qu’il rencontre le bon public, il fait rire.

Mais le rire peut aussi cacher bien des choses.

L’humour parfois peut avoir l’effet inverse de ce qu’il vise. S’il tord la réalité pour produire un rire, parfois il vient rendre la réalité, le principe du réel, encore plus visible, encore plus pesant et alors le rire peut être un rire jaune, un rire blessé, un rire qui est là pour cacher les larmes.

Et c’est peut-être le cas de Sara. Elle rit pour ne pas pleurer.

Le réel est accentué par cette promesse. On lui annonce qu’elle aura un enfant. Bien sûr il y a de quoi se réjouir, c’est la plus belle des choses surtout quand on attend cela depuis toute sa vie. Mais annoncer cela à cette vielle femme c’est mettre en évidence ce qui est sa souffrance : elle n’a plus l’âge d’avoir des enfants, son corps ne peut plus porter la vie, son corps ne peut même plus éprouver le plaisir de l’étreinte ni même le plaisir de la grossesse.

Alors cette promesse de Dieu vient comme pour accentuer, pour mettre en évidence ce qu’elle est, une vielle femme, et ce qu’elle ne pourra jamais être : une mère.

Sara rit, car comme le dit le proverbe : « mieux vaut rire que pleurer » parce que le rire vient sucrer les larmes.

Elle rit car elle est dans le réel, peut-être même enfermée dans le réel. Ce réel que nous connaissons tous et qui bien souvent nous domine, nous aveugle ou nous enferme. Ce réel auquel nous donnons tant de pouvoir.

Nous sommes alors des fatalistes, pensant que le cours du monde suit sa trajectoire inéluctable et que nous ne pouvons rien y faire, rien changer. Les choses sont ainsi et nous devons l’accepter. Et ce fatalisme peut parfois nous prêter à rire, comme Sara rit, nous aussi nous rions de ce destin qui nous rappelle le réel, et nous rions pour ne pas pleurer.

C’est un peu comme quand on se retrouve à trois pour un culte…. Nous rions pour cacher notre inquiétude, notre désespoir.

Nous rions de tout ce qui nous arrive et qui loin de nous rendre joyeux, ce rire nous montre toute la dureté de la vie. Eh oui tout ne va pas comme nous le voulons et nous avons bien souvent l’impression d’être en lutte avec ce réel qui nous rappelle, hélas, ce que nous sommes, le peut que nous sommes dans ce vaste monde.

Et pourtant face à ce fatalisme qui semble bien nous habiter, bien plus souvent que nous ne le pensons (et je vous invite à chaque jour, devant chaque situation, à vous poser la question de savoir si vous n’êtes pas dans une forme de fatalisme. A chaque fois que vous allez vous dire que ce n’est pas possible, à chaque fois que vous allez vous laisser dominer par ce qui se passe au lieu d’y résister). Face à ce fatalisme nous voyons bien souvent l’ironie de l’histoire.

Et c’est peut-être là l’humour de Dieu, un humour ironique.

Vous connaissez l’ironie de l’histoire, comme cette histoire du pasteur Paul Rabaut ? Pasteur du Désert, toute sa vie il sera poursuivi par l’Etat, par les soldats du roi. Et sur ces vieux jours, son fils, Rabaut Saint Etienne, devient président de l’Assemblée. Et l’ironie de l’histoire c’est que ce fils devenu un grand personnage de l’Etat retourne voir son père et dit à celui qui a été victime de l’Etat : « Père, l’Etat est à vos pieds ».

Il faut savoir laisser du temps au temps, le réel ne s’enferme pas dans le présent, il doit se concevoir comme une évolution, un progrès possible.

Et dans le texte biblique, la promesse d’enfant pour Sara n’est pas pour tout de suite.

« L’année prochaine, au temps fixé, je reviendrai vers toi, et Sara aura un fils. »

Oui Dieu à de l’humour !

Pas un humour ironique, sa parole vient tordre le réel et ce qui semble impossible peut alors devenir possible.

L’humour c’est aussi ça : ce qui est impossible devient possible.

Beaucoup d’histoires drôles sont basées là-dessus. Qui peut croire qu’il est possible qu’un imam, qu’un rabbin et un pasteur se retrouvent sur un bateau (seul, au milieu de nulle part) ? Dans une histoire drôle, il n’y a plus de réel, on raconte quelque chose d’impossible mais qui semble soudain réel et qui déclenche le rire.

Cette fois ci le rire ne cache pas les larmes. Et si le rire n’exprime pas la joie, en tout cas il rend joyeux.

Et c’est ce qui va se passer avec Sara.

Et quand l’année est passée voici ce que nous dit le texte biblique (Genèse 21, 1-7) :

« Le SEIGNEUR intervint en faveur de Sara, comme il l’avait dit ; le SEIGNEUR agit envers Sara selon sa parole.

Sara fut enceinte et donna un fils à Abraham dans sa vieillesse, au temps fixé dont Dieu lui avait parlé.

Abraham appela du nom d’Isaac (« Rire ») le fils qui était né de lui, celui que Sara lui avait donné.

Abraham circoncit son fils Isaac à l’âge de huit jours, comme Dieu le lui avait ordonné.

Abraham avait cent ans à la naissance de son fils Isaac.

Alors Sara dit : Dieu m’a suscité du rire ; quiconque l’apprendra rira à mon sujet.

Elle ajouta : Qui aurait dit à Abraham que Sara allaiterait des enfants ? Pourtant je lui ai donné un fils dans sa vieillesse ! »

La promesse de Dieu se réalise. Ce qui était impossible est devenu possible, ce qui était impossible est devenu réel.

Sara et Abraham ont un fils et ce fils porte le nom de « rire ».

Dieu a suscité du rire et suscite toujours du rire.

Mais ce rire n’est pas celui qui cache les larmes, il est celui qui est le signe de la joie et du bonheur.

Cette histoire, qui pourrait être une histoire drôle (d’ailleurs Sara dit que ce qui l’entendrons rirons), viens simplement nous dire que nous ne devons pas rester enfermé dans un réel qui nous montre l’impossible mais qu’au contraire, Dieu, est la force qui permet à tous les possibles d’être réels.

Et c’est pour nous une source d’espérance.

Chaque jour de notre vie, quand nous avons envie de baisser les bras, quand nous pensons que les choses sont ainsi et qu’il n’y a rien à faire, quand nous nous laissons abîmer par ce qui se passe autour de nous et qui nous plonge dans l’angoisse, la tristesse ou la peur. Il nous faut nous rappeler cette histoire.

Il nous faut nous rappeler que Dieu suscite du rire, qu’il nous appelle au rire, au vrai rire, celui de la joie car rien n’est impossible.

Rabelais a dit que « le rire est le propre de l’homme ».

Et c’est justement à cela que Dieu nous appelle, être des humains dont le propre est de rire.

Une femme de lettre britannique a écrit : « le rire plus que tout nous aide à voir les choses à leurs justes proportions ; il n’a de cesse de nous rappeler que nous sommes de simples humains, que personne n’est jamais un parfait héros ni un fieffé coquin. Dès que nous oublions de rire, nous perdons le sens des proportions et, avec lui, le sens de la réalité. »

Dieu en suscitant le rire, nous permet de prendre pleinement conscience de la réalité, du réel. Mais en même temps il vient nous en délivrer. Nous n’en sommes plus prisonniers, mais nous avons l’assurance qu’il est dominé et surtout qu’il reste ouvert et qu’il nous appelle à la joie.

Dieu veut nous voir joyeux dans ce monde. Pour cela il nous demande d’avoir de l’humour comme lui-même à de l’humour, il nous invite à voir les choses autrement que comme elles nous apparaissent et de croire toujours en l’impossible du réel.

Il ne s’agit pas bien sûr de prendre tout à la légère et de penser que rien n’a d’importance, mais c’est peut-être justement redonner l’importance qu’on les choses sans leur en donner plus qu’elles en ont. C’est replacer les évènements de notre vie à leur juste place pour pouvoir en rire au lieu d’en pleurer.

Victor Hugo a dit : « Faire rire, c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre, qu’un distributeur d’oubli ».

Dieu est ce bienfaiteur qui ne nous fait pas oublier le réel, mais qui nous permet d’oublier l’impossible pour nous ouvrir pleinement au possible de chaque jour.

Aujourd’hui deux enfants ont reçu le baptême.

En les baptisant aujourd’hui, nous voulons pour eux ce demain ouvert, cette force de croire contre toute espérance, cette joie si humaine et pourtant si divine.

Que ses enfants soient pour nous le signe de ce rire que suscite Dieu, de cette espérance et de cette promesse qu’il nous adresse chaque jour.

Elles sont le signe de cette vie qui est appelée à grandir dans la joie et le bonheur et nous leur souhaitons beaucoup de rire dans leurs vies.

Frères et sœur, comme le dit le poème, « prenez le temps de rire c’est une gorgée d’eau fraiche ».

Prenez le temps d’être joyeux et quand viendra l’épreuve, rappelez-vous cette promesse que Dieu a faite à une vielle femme qui rit pour cacher ses larmes, mais comprend que Dieu veut lui offre le rire à travers un enfant pour que sa vie entière soit dans la joie.

« Le rire, comme les essuie-glaces, permet d’avancer même s’ils n’arrêtent pas la pluie ».

Amen