Prédication du 15 septembre 2024

Confirmation de Jacob

de Dominique Imbert-Hernandez

La force est donnée

Lecture : Esaïe 40, 27-31

Lecture biblique

Esaïe 40, 27-31

27 Pourquoi dis-tu, Jacob,
pourquoi répètes-tu, Israël :
Ma destinée est cachée au Seigneur,
mon droit passe inaperçu de mon Dieu ?
28 Ne le sais-tu pas ?
Ne l’as-tu pas entendu ?
C’est le Seigneur, le Dieu de pérennité,
qui crée les extrémités de la terre ;
il ne s’épuise ni ne se fatigue ;
son intelligence est insondable.
29 Il donne de la force à celui qui est épuisé
et il augmente la vigueur de celui qui est à bout de ressources.
30 Les adolescents s’épuisent, ils se fatiguent,
les jeunes gens finissent par trébucher ;
31 mais ceux qui espèrent le Seigneur renouvellent leur force.
Ils prennent leur essor comme les aigles ;
ils courent et ne se fatiguent pas,
ils marchent et ne s’épuisent pas.

Prédication

Merci Jacob pour le choix de ce texte d’Esaïe aujourd’hui, jour de ta confirmation et jour du culte de rentrée au Foyer de l’Âme !
En ce jour, les paroles du prophète transmettent une interpellation, un pourquoi qui réveille, qui embraye sur une prise de conscience bénéfique pour chacun, chacune et pour tous et toutes : Pourquoi dis-tu : ma destinée (mon chemin) est cachée à l’Éternel, mon droit passe inaperçu de mon Dieu ?
Le premier destinataire de cette interpellation est le peuple d’Israël, aussi désigné par le nom de Jacob. Ce peuple est en exil après avoir été vaincu et déporté (en partie) à Babylone. Des dizaines d’années d’exil, de quoi être fatigué et découragé, de quoi se demander si Dieu ne s’est pas absenté, s’il n’a pas abandonné son peuple. La plainte du peuple en est l’expression et nous pourrions la traduire ainsi : mais que fait donc Dieu ? Une plainte, une lamentation, voire une récrimination dont l’écho se répète au long des siècles. C’est une plainte des temps d’incertitude, d’obscurité et de flou, de chaos et d’angoisse, lorsque les assurances ont été dissoutes, lorsque les garanties ont été effacées, lorsque les repères ont disparu.
A cette plainte, le prophète répond de trois manières liées les unes aux autres : il pose des questions, il confesse Dieu comme créateur, il prend acte d’une caractéristique humaine.

Le prophète questionne : Pourquoi dis-tu :  mon chemin est caché devant l’Éternel ? Pourquoi pose la question de l’interprétation de l’épreuve. Pourquoi permet de prendre un peu de recul par rapport à l’expression de la plainte, sans la nier, sans la diminuer, sans la dévaloriser. Pourquoi est une question qui permet de réfléchir au sens, puisqu’en un et deux mots, pourquoi invoque la raison et la finalité. C’est aussi une question qui prend au sérieux qui est interrogé, ce qui est l’esprit des questions posées dans la Bible par les prophètes, par Dieu, par Jésus-Christ, posées à un peuple ou à une personne. A cette question, il ne s’agit pas forcément de répondre sur le champ, mais de réfléchir au malheur ou à l’épreuve, au sens qu’on lui donne. Est-ce Dieu qui m’a abandonné ? Dieu nous a-t-il oublié ? ou puni ? Mais aussi : sur quoi s’appuie cette interprétation ? De quelle image de Dieu dépend-elle ? Dieu est-il un interventionniste tout-puissant dans toutes les situations ? un dieu dont il faut mériter les bonnes grâce ? un dieu arbitraire et angoissant ? un distributeur de solutions prêtes à l’emploi ? Ce n’est pas secondaire d’être au clair avec la représentation, la compréhension que l’on a de l’Éternel. Pourquoi est une question qui fait confiance à celui qui elle est posée pour qu’il puisse répondre de lui-même, en toute responsabilité. Les Écritures posent ainsi aux lecteurs des questions devant lesquelles, grâce auxquelles chacun, chacune peut se tenir et parler, des questions qui nous interrogent encore, individuellement et communautairement, non pas une seule fois, mais tout au long des jours. Aujourd’hui Jacob a répondu, mais il n’est pas quitte de ces questions qui pointent le rapport à l’Éternel, à autrui, à soi-même.
Les deux autres questions accentuent la première : ne sais/connais-tu pas, n’as-tu pas entendu/écouté ? La plainte d’Israël traduit une représentation de Dieu : un Dieu qui se détourne de son peuple et une représentation du peuple : un peuple abandonné et sans espérance. La question de la connaissance et celle de l’écoute font appel à une expérience, à une histoire et à une parole. Plus que le savoir, la connaissance implique un engagement de qui connaît. Connaître, ce n’est pas superficiel. Un savoir peut rester à la surface de l’être (il y a des tas de chose que nous savons et qui n’ont aucune conséquence sur nos existences), mais la connaissance signifie une appropriation : de ce que nous savons, qu’avons-nous intégré, que voulons-nous conserver comme participant à nos vies ? Il y a un effet produit par ce qui a été appris et qui constitue ou qui transforme l’être, par exemple dans le livre de la Genèse lorsqu’il est question de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. L’intériorité et l’intimité sont en jeu dans la connaissance, comme elles le sont dans une relation où l’on connaît l’autre. Dans la Bible hébraïque, le verbe connaître peut ainsi désigner la relation sexuelle, par exemple lorsqu’il est écrit que Adam connut sa femme qui donne ensuite naissance à un fils.
De même que l’écoute engage l’attention, elle convoque, elle réquisitionne celui ou celle qui écoute, et l’entendement est plus que l’audition. Il s’agit de comprendre, de prendre en soi ce qui est écouté et entendu. Écoute Israël ! Cette exclamation sonne, résonne non pas dans l’instant mais dans la foi, dans l’être, dans l’existence entières. C’est qu’il y a une parole, une parole première, une parole primordiale, fondatrice, dont rendent compte à leur manière le premier chapitre de la Genèse, le premier chapitre de l’évangile de Jean, le récit de la conversion de Paul dans le livre des Actes, ceux de bien des rencontres de Jésus, avec la samaritaine, avec l’homme paralysé à la piscine, avec Zachée… Il y a une parole dont témoignent bien des hommes et des femmes et dont la mémoire est vive en celui qui l’a déjà entendu, vive, c’est-à-dire au présent, pour le présent. Une parole qui suscite la personne, la présence, la vie vivante, une parole dont le média et la forme varient. L’interpellation d’Esaïe rappelle également que cette écoute n’est pas seulement individuelle, elle est aussi communautaire, avec toutes les différences composant l’assemblée qui écoute. Toutes les diversités qui écoutent et comprennent constituent ainsi un ensemble uni non par un critère prédéfini mais par la parole écoutée.

C’est sur cette parole que le prophète appuie la confession de foi en Dieu créateur qu’il offre à Israël comme un approfondissement, une mise en perspective, une possibilité de se tenir dans ce monde éprouvant. Confesser Dieu comme créateur a au moins deux conséquences :

  • L’une, c’est de situer justement Israël par rapport à l’Éternel. Le Dieu d’Israël est le Dieu qui crée tout, jusqu’aux extrémités de la terre, et cela englobe la durée du temps. L’universalité est la dimension divine : ce Dieu n’appartient pas à un seul peuple, ni à une seule Église, sa parole ne relève pas d’une seule langue ni même d’un seul langage. Ce Dieu est toujours un Dieu débordant les limites humaines. Les théologiens d’Israël ont commencé à le comprendre justement pendant l’exil : si Dieu est Dieu, il l’est partout, en tout temps, pour tous et toutes, nul ne peut se l’approprier ni réclamer un traitement privilégié. Confesser Dieu comme créateur, c’est se reconnaître parmi d’autres et donc élargir son regard et se trouver relié aux autres non pour les obliger mais pour se tenir avec eux.
  • L’autre conséquence, c’est la compréhension que la création est au présent, elle n’est pas cantonnée dans le passé. Et comme ce qui est créé est toujours nouveau, il ne s’agit pas non plus d’en figer une ou quelques formes déjà établies et d’en cultiver la nostalgie. Par exemple, la libération de l’exil ne va pas passer par la reprise de la figure de Moïse qui a conduit le peuple hors d’Égypte. Ce n’est pas un fils d’Israël qui ramènera les exilés à Jérusalem. C’est un étranger, Cyrus roi de Perse qui leur permettra d’y retourner, Cyrus qualifié de messie, ce qui est quand même nouveau et surprenant. Son intelligence est insondable affirme Esaïe, il ne s’agit pas de dire à Dieu ce qu’il doit créer et comment il doit le faire, mais de reconnaître cette puissance créatrice à l’œuvre, reconnaître la germination du nouveau vivifiant comme œuvre de Dieu. Car la création est encore à venir. C’est que l’Éternel ne se fatigue pas de créer confesse Ésaïe, l’Éternel ne se fatigue pas de sauver tant il est vrai que création et salut se superposent. Ainsi Pâques : nouvelle création et salut offerts inconditionnellement par ce Dieu infatigable.

C’est par la fatigue qu’Esaïe décrit le peuple et l’humain, la fatigue et l’épuisement. La fatigabilité comme caractéristique de l’humain, ce qui est une limite, une fragilité. Cependant cette compréhension de l’humain n’est pas une fatalité ni une condamnation parce que justement, le Dieu créateur donne de la force, de l’énergie.
Nous savons bien comme il est fatigant de vivre dans une société épuisante à cause du manque de reconnaissance, de la fragmentation des tâches, du temps et des liens, à cause de la prédominance de l’utilitaire et des contradictions intérieures. C’est la fatigue de devoir toujours être meilleur dans un régime de performance et de compétition. Même les adolescents se fatiguent quand à la quête de soi s’ajoute l’exigence de se trouver vite et de se conformer aux attentes. La force qui manque n’est pas la force physique, ce n’est pas non plus la force qui rend plus fort que d’autres. Ce n’est pas la force de s’en sortir tout seul ni la résilience. La vision de l’humain par Esaïe et par la Bible est sans complaisance et sans illusion mais avec un avenir. C’est l’humain selon la Bible : il a un avenir. Cela ne signifie pas que ce sera facile, tranquille avec un happy end. Cela signifie qu’il y a toujours une manière d’être qui répond à la vocation adressée à l’humain par le Dieu Créateur, vocation que Jésus-Christ a pleinement incarnée, vocation à laquelle l’Esprit nous rend capables de donner chair. C’est cette force, cette énergie que Dieu donne à ceux qui ne comptent plus sur eux, mais qui l’espèrent affirme Esaïe. Il y a un avenir, une destinée, un chemin, c’est-à-dire une espérance. Dieu donne la force, l’énergie c’est-à-dire une dynamique de transformation pour un autre présent créé, pour une autre manière d’être humain, pas héros ni surhumain ni humain augmenté, mais humain relié et vivifié. Ce n’est pas la force du plus fort que donne l’Éternel, mais la force d’aimer et de vivre, une intensité d’amour et de vie. C’est la force qui vient de l’écoute de ce OUI posé sur chaque humain fragile, fatigable, fatigué.

Nous pouvons sortir alors de l’impasse où conduit l’alternative être fort/être fragile, cette terrible injonction qui favorise les forts, les vainqueurs, les puissants. Nous en sommes libérés, sauvés par la parole créatrice qui fait entendre que Dieu se lie aux fragiles, aux fatigués, à celles et ceux qui entrent dans sa logique du don et du recevoir. Et nous pouvons alors regarder et écouter, dans le réel tel qu’il est, les signes de vie, les éclosions d’amour, les éclats de fraternité, les trouées de liberté, les fulgurances de joie.
Écoute Jacob, la force t’est donnée !