Prédication du 5 mai 2019

de Didier You

La foi et les dogmes : et vous, qui dites-vous que je suis ?

Lectures :   Mt 16, 13-21 ; Dt 16, 21 à 17, 7 (texte du jour) ; Rm 8, 1-11

Introduction

Jésus donc demande à ses disciples quelle idée ils se font de lui. Il obtient une réponse, celle de Pierre, qui apparemment est la bonne réponse. Jésus félicite l’apôtre. Nous sommes là au coeur du christianisme : qui est Jésus, ou qu’est Jésus? Le christianisme est fondé sur cette affirmation que Jésus de Nazareth est le Christ. La réponse de Pierre est forte : Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ! C’est la première affirmation d’une telle certitude qui apparaisse dans les Evangiles, chronologiquenent, me semble-t-il.

Si j’étais professeur de français, j’écrirais dans la marge : Développez !

Car bien sûr, 2000 ans plus tard, Jésus nous pose toujours à nous, individuellement, la même question. Elle n’est pas résolue. La phrase de Pierre est un peu trop sommaire. Le théologien luthérien Dietrich Bonhoeffer, avant de mourir dans un camp nazi avait dit : « La question n’est pas Qui est le Christ, mais plutôt qui est le Christ pour nous aujourd’hui ? » J’y reviendrai.

Mais, je voudrais à partir de ces versets, réfléchir avec vous sur la foi et sur les dogmes. Pour ceux qui ne sont pas habitués de ce lieu, je précise tout de suite qu’ici, chez les « protestants libéraux », dogme est un gros mot. Nous n’aimons pas cela. Mais nous en avons peut-être …

La foi

La foi dans ces versets apparaît non comme une affirmation, mais comme une interrogation, et une question qui s’adresse à la subjectivité : Non pas « qui suis-je ? », mais « Qui dites-vous que je suis ? » « 

Elle est de l’ordre de l’intime, de l’individuel. Ce n’est absolument pas un dogme.

Pierre ne s’exprime d’ailleurs pas ici comme porte-parole des Douze. Visiblement, ils ne se sont pas concertés. C’est un cri du coeur, une épiphanie. Et Jésus de proclamer Simon « heureux », comme dans les Béatitudes (c’est le même mot grec « makarios »), « Heureux sont qui ont faim et soif de justice… »

Comme on le sait, la foi va s’exprimer de façon individuelle aussi, chacun à sa façon. Ce peut être la prière, la retraite, la participation au culte, l’étude des Ecritures, et bien sûr, mais j’y reviendrai, dans l’action pour autrui, dans l’amour du prochain.

Et cette révélation ne vient pas « de la chair et du sang », dit Jésus, c’est à dire de l’humain, de l’intellect, elle vient du « Père ».

La foi est une grâce, elle est donnée par Dieu. Elle viendra d’elle-même ou elle ne viendra pas, chantait Brassens.

Au début du passage, les apôtres citent les interprétations populaires : Jésus serait Jean-Baptiste, Elie, Jérémie ou un autre prophète. Ils inscrivent le Nazaréen dans la lignée de la tradition juive. Mais la déclaration de Simon-Pierre crée une rupture : « Tu es LE Christ », et non pas un prophète. Jésus est aussi un prophète, mais cela nous entraînerait trop loin …

Les Juifs attendaient UN Messie, un de plus. Je vous rappelle que Christ ou Messie désigne l’Oint, celui qui a reçu l’onction. David et les Rois qui lui ont succédé étaient « oints » (les Rois de France aussi …), les grands prêtres étaient oints. Le malentendu entre les Juifs et les Chrétiens vient de là : ils ne donnent pas le même sens au mot « Messie ». Le Messie chrétien est unique, il est pour toute l’humanité. Il est définitif. Le Messie juif qu’ils espéraient au 1er siècle devait être lui un nouveau David qui allait rendre à Israël sa grandeur. Au début de la semaine Sainte, lors de l’entrée à Jérusalem, les Juifs ont crié « Salut à toi, Jésus, fils de David ». C’est une toute autre conception du Messie. Fils de Dieu, ce n’est pas fils de David.

Cela dit et rappelé, revenons à notre sujet : Il faut bien voir que le croyant ne s’affranchit pas, une fois la révélation accomplie, de la réflexion théorique. C’est ce que je disais, il faut développer.

Il faut bien élaborer une doctrine, des doctrines, au pluriel, c’est à dire un ensemble de concepts conduisant à une construction théologique, permettant à chacun de préciser la phrase de Simon-Pierre. Cela, ces doctrines, c’est le travail de l’Eglise, des Eglises.

La phrase de Jésus, avec le jeu de mots (en grec comme en français) : « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je construirai mon église » est célèbre. Cela doit s’entendre comme le fait que l’Eglise émane de la foi, et ne la crée pas. La foi est première, l’Eglise est seconde, construite dessus.

Les catholiques et les protestants divergent sur l’interprétation de cette promesse de Jésus. Pour nos frères catholiques, elle fait de Pierre le « Grand Saint Pierre », le « prince des apôtres », le seul qui détiendra les « clefs du Royaume », et donc elle fait de ses successeurs supposés, les évêques de Rome, les Papes, chefs sacrés de la chrétienté. Et voici un « dogme » : l’infaillibilté pontificale.

Pour nous, elle signifie que tous ceux qui, comme Pierre ont la foi en Jésus Christ, fils du Dieu vivant, sont la pierre sur laquelle l’Eglise sera bâtie. Et nous avons tous les « clés du Royaume » pour nous-mêmes. Quelle lourde responsabilité. Comme disait Bossuet dans une perspective évidemment critique : « Chaque protestant est Pape, sa Bible à la main ».

Donc, c’est sur la foi, cette grâce, cette révélation intime, enrichie par les doctrines, qu’est construite l’Eglise.

Mais il arrive que les oeuvres humaines échappent à leurs créateurs et détournent l’objectif qui est le leur. Et l’Eglise a parfois élaboré des dogmes. On connaît la suite, les bûchers, les guerres de religion, les conversions forcées à la pointe de l’épée, le terrorisme. C’est pourtant contre quoi Jésus, déjà il y a 2000 ans, a mis en garde ses disciples dans les versets suivants. Il les a mis en garde contre les dogmes.

Les dogmes

J’ai regardé dans le Larousse, sur Wikipédia, ce qu’est un dogme. C’est « un point fondamental, considéré comme incontournable », ou « une opinion donnée comme certaine et imposée comme vérité indiscutable ». En mathématiques, on dirait un axiome, quelque chose qu’il n’est pas utile de démontrer. En droit, une présomption irréfragable, une hypothèse qui n’admet pas la preuve contraire. Le texte du Deutéronome que je vous ai lu, texte recommandé ce jour, est une illustration opportune de ce qu’est un dogme : la mort pour l’hérétique ou le polythéiste !

Mais là où le bât blesse, c’est que c’est une « opinion », considérée comme indiscutable. Ce n’est qu’une opinion, imposée aux autres. Les dogmes sont nombreux. Je ne peux les énumérer. Et il y en a dans toutes les religions.

Il n’y en a pas que dans la religion. Le Larousse prend des exemples dans l’économie. Il y a des « dogmes » en économie : « Il faut réduire les dépenses publiques ! », c’est un dogme.

Revenons à la nature de Jésus. En 325, le Concile de Nicée a élaboré un dogme, celui de la Sainte Trinité. Le Père, le Fils et le Saint Esprit sont Un. Le pasteur Marchal, avec qui j’ai fait mon catéchisme, disait, la Trinité c’est l’arithmétique des curés : 1+1+1 = 1. Je m’aperçois que je cite Georges Marchal à chaque fois que je prends la parole ici. Il a occupé cette chaire durant plus de vingt ans.

Il s’agissait pour le Concile de Nicée de condamner une hérésie, l’arianisme, du nom du théologien Arius, qui soutenait que Jésus était un homme, un simple homme, avec un peu de divin en lui. Ce combat fut meurtrier.

La Trinité n’apparaît pas dans la Bible. Le Père, le Fils, le Saint Esprit sont bien tous trois nommés, mais jamais comme formant une entité unique. Au contraire. Si le Fils est assis à la droite du Père, c’est qu’il n’est pas le Père.

Ce pauvre Michel Servet a subi le martyre pour avoir dénoncé le dogme de la Trinité. C’était un Espagnol humaniste, contemporain de Calvin (ils sont nés tous deux en 1509). Condamné au bûcher par l’Inquisition à Vienne (Dauphiné), il s’est évadé, et s’est réfugié à Genève, où il a été brûlé pour le même crime, la même hérésie, sur réquisitions de Calvin. Il avait violé un dogme.

Un proche de Calvin, qui s’était déjà auparavant fâché avec lui pour d’autres raisons, Sébastien Casteillon, a eu alors ce mot admirable : Tuer un homme, ce n’est pas combattre une idée, c’est tuer un homme. Casteillon a aussi écrit un livre étonnant pour le XVIème siècle (on peut le trouver encore) qui s’intitule : De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir.

Revenons à Jésus : Sitôt qu’il a félicité Pierre, il recommande aux disciples de ne dire à personne qu’il est le Christ. Pourquoi ? Jésus n’a pas vraiment peur de ce qui l’attend, on va le voir. Souvent, Jésus, lorsqu’il guérit un « démoniaque », lui enjoint de ne rien dire. Evidemment, l’intéressé s’empresse de révéler ce qui lui est arrivé. La tradition a élaboré la thèse du « secret messianique » : Le Messie ne doit être révélé publiquement qu’après la crucifixion et la résurrection. Je pense aussi que Jésus ne voulait pas être enfermé dans l’image d’un guérisseur, d’un thaumaturge, ni de l’image du Messie attendu par les Juifs, comme je l’ai dit tout à l’heure.

Il ne veut pas non plus être enfermé dans cette définition lapidaire : Christ, fils du Dieu vivant.

C’est parce que le dogme emprisonne les hommes dans une idée, une vision fermée. Il emprisonne aussi Dieu, dans une formule, dans des mots. Un Dieu, prisonnier d’un dogme, même si il n’est pas statufié, devient une idole. Paul Tillich, théologien du XXème siècle, disait que Dieu est au-delà de Dieu. Au-delà de ce nous pouvons en dire avec nos pauvres mots humains.

Les versets suivants sont tout aussi célèbres. Jésus annonce sa mort, aux mains des « anciens, des grands prêtres et des scribes ». C’est à dire du fait des institutions ecclésiastiques de son temps. Il a violé les dogmes du Temple de Jérusalem. Ce sont plutôt les Romains, historiquement, qui ont tué Jésus, mais sur plaintes des grands prêtres. Passons …

Et Pierre le « réprimande ». C’est un terme fort. Pierre exprime ce que nous ressentons encore : le scandale de la Croix. La mort sur la croix échappe à notre entendement. Comment le Fils du Dieu vivant peut-il souffrir cette mort ignominieuse ? Nous espérions toujours naïvement lorsque nous étions enfants que Jésus allait s’en sortir, que Pilate allait réussir à le sauver. Dans Ben Hur (le roman, pas le film avec Charlton Heston, qui fait l’impasse sur l’épisode, mais il est dans la version muette ..), Ben Hur lève un groupe de cavaliers pour libérer Jésus. Il échoue bien sûr.

Nous, comme Pierre, comme Ben-Hur, nous enfermons Jésus dans notre dogme, dans notre vision réductrice de ce qu’est Dieu, de ce qu’est son fils unique et bien-aimé. Nous sommes choqués par le scandale de la Croix. C’est scandaleux. Nous enfermons Jésus dans notre dogme.

Parce que nous passons outre le fait que Jésus a aussi annoncé sa résurrection à Pierre. La Croix n’est pas la dernière parole de l’Evangile. C’est ce que Pierre n’a pas compris. D’où l’apostrophe terrible de Jésus : « En arrière de moi, Satan … tu ne penses pas comme Dieu mais comme les humains ». Se faire traiter de Satan par Jésus, vous admettrez que ce n’est pas rien quand on vient de se faire confier les clés du Royaume. Cela signifie : « Tu ne penses pas comme Dieu, tu t’enfermes et tu L’enfermes dans ton dogme, dans ton interprétation ».

Pierre est victime d’un dogme : Il enferme Dieu et ses rapports avec son Fils dans la définition qu’il s’en donne lui-même.

La foi libère. Le dogme est réducteur. Voilà l’opposition fondamentale, essentielle, qui échappe à tant de croyants de toutes religions. Les intégristes, les fondamentalistes tuent au nom de ce qu’ils croient être la foi, alors que ce n’est qu’au nom des dogmes, « opinions posées comme indiscutables ». Voilà aussi ce que ne peuvent comprendre les athées, qui condamnent la religion qu’ils assimilent à des dogmes, avec l’aide inconsciente des « fondamentalistes ».

Conclusion

Libérés par la foi, comme le rappelle Paul dans le texte que j’ai lu, par une grâce donnée par Dieu, mais aussi par un choix personnel, libérés de l’injonction dogmatique, nous pouvons même nous affranchir aussi du poids des doctrines variables, conjecturelles, et, face aux doctrines, rééquilibrer la pratique, l’action dans le monde, en dehors des dogmes. Répondre à l’appel de l’Evangile, c’est une invitation à s’engager dans l’action concrète, quotidienne. C’est tout simplement la leçon de Jésus, l’amour du prochain.

Et la réponse que je donnerais à la question de Jésus, c’est : Jésus, c’est l’amour de Dieu, qui nous rend vulnérables, car il nous ouvre. Il nous ouvre à la femme cananéene, au Bon Samaritain (des païens, je vous le rappelle), aux femmes adultères, aux percepteurs d’impôts, aux soldats qui l’ont cloué sur la Croix. Il nous ouvre aux victimes des institutions écclésiales ou politiques, les étrangers, les délinquants, les criminels, les hérétiques, les femmes, les homosexuels, tous les exclus. Jésus est le point de rencontre entre le divin et l’humain, source d’amour, de plénitude de vie.

Amen