Prédication du 25 décembre 2024
Culte de Noël
de Dominique Imbert-Hernandez
Joseph le juste
Lecture : Matthieu 1, 18-25
Lecture biblique
Matthieu 1, 18-25
18 Voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit saint.
19 Joseph, son mari, qui était juste et qui ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la répudier en secret.
20 Comme il y pensait, l’ange du Seigneur lui apparut en rêve et dit : Joseph, fils de David, n’aie pas peur de prendre chez toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient de l’Esprit saint ;
21 elle mettra au monde un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés.
22 Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par l’entremise du prophète :
23 La vierge sera enceinte ; elle mettra au monde un fils
et on l’appellera du nom d’Emmanuel,
ce qui se traduit : Dieu avec nous.
24 A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui.
25 Mais il n’eut pas de relations avec elle jusqu’à ce qu’elle eût mis au monde un fils, qu’il appela du nom de Jésus.
Prédication
Ce que l’évangéliste Matthieu raconte au sujet de la naissance de Jésus est assez surprenant. Surtout à côté du récit de Luc qui nourrit son propre récit avec la place qui manque à l’auberge, le nouveau-né couché dans une mangeoire, les bergers, les anges… Matthieu préfère porter l’attention des lecteurs sur la figure de Joseph avant la naissance de Jésus et se contente d’une laconique notation au dernier verset pour signaler celle-ci : jusqu’à ce qu’elle (Marie) eut mis au monde un fils qu’il (Joseph) appela du nom de Jésus. Mais c’est tout de même plus que les évangélistes Marc et Jean qui ne disent rien du tout au sujet de cette naissance.
Ni Luc ni Matthieu ne prétendent dire quelles sont les circonstances exactes de la naissance de Jésus. Personne n’en sait rien. Luc et Matthieu n’écrivent pas de récits historiques au sens où nous l’entendons aujourd’hui en rendant compte de faits et d’une biographie de Jésus. L’un et l’autre, de même que Marc et Jean, témoignent de ce qu’ils comprennent de Dieu et de Jésus-Christ et de ce que cela signifie pour les croyants.
Donc, Matthieu met en scène Joseph, un homme de la maison de David, fiancé à une jeune fille du nom de Marie. Les fiançailles ont quasiment valeur de mariage, sauf que les fiancés ne vivent pas ensemble ; le lien est fort et à respecter, c’est pourquoi les fiancés peuvent déjà être dits mariés.
Mais voici que Marie est enceinte, et Joseph n’y est pour rien. Que va faire Joseph ? Tel est le cheminement vers la naissance de Jésus dans l’évangile de Matthieu. Matthieu le suit selon une perspective dont on pourrait dire qu’elle représente un fil rouge de tout son évangile : celle de la justice. Joseph est un homme juste. Avec Matthieu, Noël, la naissance de Jésus, la venue au monde du Christ est liée à la justice.
Déjà, la justice est un thème majeur de la Bible hébraïque, le Premier Testament. Matthieu, très enraciné dans les Écritures hébraïques y voit à la fois une caractéristique du Dieu de Jésus-Christ, de l’activité de Jésus révélant Dieu comme le Père céleste, et de l’existence croyante.
Joseph est un homme juste : cela signifie qu’il est fidèle à Dieu et respectueux de la Loi de Moïse. Pour cette Loi, Marie est considérée comme adultère et elle pourrait être lapidée selon la prescription du livre du Deutéronome (Dt 22,20-21), même si au premier siècle, cette prescription était entourée de tant de conditions qu’elle n’était finalement pas appliquée. Mais il y a d’autres manières de tuer qu’avec des pierres. Il suffit de regards, de paroles, de comportements et une jeune fille enceinte serait alors mise au ban de la société, coupable, exclue, déshonorée, indigne, quelles que soient les circonstances de la conception : viol ou passion. Son enfant subirait un sort peu enviable, né hors mariage, sans père, un bon à rien. Une telle accusation n’a d’ailleurs pas manqué d’être proférée à l’égard de Jésus dès le premier siècle par des pharisiens cherchant à le déconsidérer.
Il pourrait en être ainsi pour Marie et son enfant et personne ne le reprocherait à Joseph. Certains le plaindraient, d’autres se moqueraient et sa réputation sera peut-être un peu écornée un temps, mais enfin, plus tard, il pourrait se fiancer à nouveau et poursuivre sa vie tracée à l’avance.
Joseph doit faire face à une situation désagréable qu’il subit, qui n’est pas sans conséquence même pour lui, mais Joseph est juste. C’est-à-dire qu’il ne veut pas causer de tort à Marie ; la suite sera déjà bien compliquée et pénible pour elle : l’opprobre générale, la honte, un futur déjà complètement démuni. Joseph ne veut pas en rajouter. Certes il décide de la répudier, mais il ne veut pas donner de publicité à ce qui lui arrive, à ce qui arrive à Marie. Il veut éviter de la donner et de se donner en spectacle et de susciter des commentaires, chacun se permettant de donner son avis en y allant d’un « moi, à sa place, je ferai ceci ou cela ».
Il y a là une manifestation de la justice : en ce que Joseph se préoccupe de Marie, pas seulement de lui le fiancé bafoué, mais d’elle aussi qui manifestement n’a pas été fidèle et n’a respecté ni les fiançailles ni le fiancé.
Être juste, ce n’est pas vouloir clamer son bon droit et réclamer un châtiment quand celui ou celle qui a fait tort se trouve dans une situation encore plus vulnérable, plus précaire, plus en danger.
Être juste, ce n’est pas une question de morale ou de droit à appliquer, c’est d’abord une question posée par une relation, par une situation, même inattendue, même choquante, même dans laquelle on a pu être lésé. Comment ne pas nuire à l’autre ? Comment ne pas l’humilier ?
Il en va ainsi de l’éthique, éthique de responsabilité qui n’exonère jamais de la réflexion, qui considère la personne en premier, qui nécessite de se tenir présent/présente au premier plan sans dissimulation derrière les paravents du bon droit, du texte de loi, de la religion, ou du qu’en dira-t-on.
Cette justice de Joseph, celle qui va permettre que Jésus vienne au monde avec un père pour veiller sur lui et l’éduquer, c’est de ne pas seulement penser à lui, mais de se décentrer en prenant en compte Marie.
Ce décentrement de soi, Jésus le signifiera également plus tard dans l’évangile de Matthieu, dans le discours sur la montagne : Cherchez d’abord le règne de Dieu et sa justice (Mt 6,33). Matthieu oppose la recherche du règne et de la justice au souci de la nourriture et du vêtement. Nous pouvons y ajouter le souci de la réputation, du qu’en dira-t-on, le souci de sa propre image devant les autres, toutes choses auxquelles les hommes et les femmes sont tentés de s’attacher et de rechercher au détriment des relations avec autrui, au détriment de la justice telle que Matthieu, témoin du Christ, donne de la comprendre à travers la figure de Joseph, père de Jésus.
Car il est bien père, un véritable parent qui donne l’exemple, qui enseigne, qui indique le sens de la justice, qui ainsi peut tenir lieu de modèle, de référence, de repère.
Matthieu, l’évangéliste qui s’efforce, plus que les autres, d’inscrire explicitement son évangile dans le terreau des Écritures juives, commence son récit en posant un écart avec la loi, un écart entre être juste et suivre la loi.
Car être juste ne tient pas à la lettre de la loi, dans un littéralisme mortifère en forme d’impasse, de déni de réflexion et de responsabilité. Être juste se tient à l’esprit de la loi, un esprit qu’il est possible de comprendre dans bien des textes des Écritures, ainsi dans le livre d’Osée : C’est la compassion que je veux et non le sacrifice (Osée 6,6), ou encore dans le livre du Deutéronome : Choisis la vie (Dt 30,19) et Jésus, dans l’Évangile de Matthieu : heureux les doux, les compatissants, les humbles de cœurs, les ouvriers de paix, les affamés et assoiffés de justice… Alors Joseph choisit la vie de Marie et la vie de l’enfant qu’elle porte.
Matthieu a bien compris, et le Joseph qu’il met en scène aussi, que ce qui est le plus important dans les Écritures hébraïque, avec le monothéisme et le messianisme, c’est la justice. Les prophètes d’Israël ne cessent d’y appeler le peuple et se dirigeants, prompt à céder à la quête de tranquillité ou de pouvoir comme à la peur et aux rapports de force. Jésus après eux ne dit pas autre chose, Matthieu en témoigne d’un bout à l’autre de son évangile : Cherchez d’abord le règne de Dieu et sa justice.
La figure de Joseph indique le chemin : la volonté et la réflexion. Vouloir ne pas humilier, et chercher comment.
Et puis aussi : se laisser inspirer.
Un ange du Seigneur intervient dans un rêve. Il ne vient pas ordonner une prescription supplémentaire. Il ne vient pas proférer un avertissement ou une menace. Le Dieu de l’Évangile n’est pas un tyran qui impose des prescriptions et Joseph ne se prend pas lui-même pour un dieu qui aurait pouvoir sur Marie. L’ange vient accompagner la réflexion de Joseph en l’encourageant : N’aie pas peur de prendre chez toi Marie.
Non seulement ne pas lui causer de tort, mais la justice vis-à-vis de Marie souffle l’ange, c’est de veiller sur elle, et de veiller sur l’enfant, et d’accompagner cet enfant.
N’aie pas peur de ce que les gens diront, n’aie pas peur de cet enfant qui vient.
Un ange qui vient dans le sommeil, c’est une manière de dire la conscience qui s’élargit, l’âme qui frémit, et la réflexion qui se clarifie. C’est une manière de dire l’ouverture à une Parole qui ne vient pas de soi mais qui fait lumière et vérité pour soi. Cela peut survenir dans la prière, dans la méditation, au détour d’une lecture, d’une parole, dans le temps que l’on prend quand il y a une décision, un choix, un discernement, quand vient l’heure d’une responsabilité puisqu’il ne s’agit pas de s’en remettre aux textes de la Loi, aux usages, aux coutumes, aux traditions pour être quitte des conséquences.
Il n’y a pas de réponse toute faite. Rien n’est écrit d’avance de ce que nous voulons faire, de ce que nous pouvons faire de juste. L’homme ou la femme juste se tient entre humilité de cœur et responsabilité, entre liberté et réflexion, entre questionnements et discernement. Pour ne pas déshonorer, ne pas humilier, ne pas déshumaniser, car cela n’est juste vis-à-vis de personne, cela n’est juste de la part de personne.
Une visite d’ange, ouverture au Souffle de Dieu, disponibilité à l’écoute de la Parole de vie, c’est de la liberté et du courage pour prendre une décision et créer du nouveau, et l’assumer même si cela n’est conforme ni à la loi, ni à la tradition, ni à la culture, ni à la religion, ni à l’intérêt.
Et c’est ainsi que Jésus-Christ, déjà en germe dans le corps de Marie, peut venir au monde, accueilli par Joseph qui lui donnera le nom indiqué par l’ange : Jésus, c’est-à-dire « Dieu sauve ». Un nom renforcé par la citation du prophète Esaïe : La jeune fille sera enceinte, elle mettra au monde un fils et on l’appellera du nom d’Emmanuel « Dieu avec nous ».
Matthieu ne se sert pas d’Esaïe pour asséner : » c’était écrit, c’était prévu, cela s’est bien passé ainsi et il n’y a rien de plus à dire… ». Matthieu puise dans le livre d’Esaïe de quoi penser et exprimer la fidélité de Dieu qui ne renonce pas à créer des possibles et à appeler à la vie les humains encombrés, les humains empêchés. Aujourd’hui Noël est le nom donné à cette fidélité !
Dieu avec nous est Dieu qui sauve, c’est bien ce dont témoignera Jésus-Christ, ce qu’il mettra en œuvre, en œuvre de justice et de vie. Car le salut n’est pas de sauver de l’oppresseur de l’époque, l’empire romain, mais de sauver des péchés, c’est-à-dire que l’humain n’est plus enfermé dans une condition de pécheur coupable, méprisable et condamnable, mais il est libéré du jugement qui lui ferait rendre compte de ses actes et paroles, de son histoire, pour entrer dans une vie nouvelle sous un autre horizon qui est amour éternel. Cela est la justice de Dieu envers nous, envers tous et toutes, une justice qui rend juste au-delà de la foi et de la manière d’être de chacun, une justice qui rend juste par la grâce de Dieu et seulement par elle.
C’est ce qui se produit déjà pour Joseph, sauvé de l’injustice vis-à-vis de Marie pour devenir père. Joseph naît comme père, depuis son sens de la justice, depuis l’ange venu visiter son rêve, depuis la grâce de Dieu qui le rencontre dans l’enfant porté par Marie.
C’est ce qui se produit dans nos existences lorsque nous suivons notre chemin à la lumière de la grâce, en cherchant la justice, et que cela nous fait devenir qui nous ne sommes pas encore, mais que nous sommes appelés à être. Noël est une histoire de naissance et pas seulement celle de Jésus-Christ. Noël ne ramène pas notre regard vers un événement d’il y a plus de 2000 ans, Noël célèbre l’à-venir devant Dieu, l’à-venir de Dieu avec nous.