Prédication du 5 janvier 2025

de Matthias Hadi Benabdellah

Jérusalem, Lumière des nations

Lecture : Esaïe 60, 1-6

Lecture biblique

Esaïe 60, 1-6
(traduction personnelle)

1 Éveille-toi, sois radieuse, car ta lumière est arrivée.
Et la gloire de l’Éternel nimbe ton horizon.

2 Vois, les ténèbres recouvrent la terre,
L’obscurité enveloppe les peuples.
Mais l’Éternel surgit à ton horizon,
Sur toi, sa gloire est désormais visible.

3 Les peuples marchent vers ta clarté.
Les rois, vers l’éclat de ton aube naissant.

4 Lève tes yeux aux alentours et regarde,
Tous, ressemblés, ils viennent vers toi.
Tes fils reviennent du lointain
Tes filles, sur le côté, sont en sûreté.

5 Ainsi, tu verras. Et te voilà radieuse !
Ton cœur frémira et se dilatera.
Ainsi affluera vers toi la richesse des mers,
Et la vigueur des peuples vers toi viendra.

6 Une abondance de chameaux te couvrira.
Les jeunes chameaux de Madian et d’Epha.
Tous, de Saba viendront.
De l’or et de l’encens ils apporteront,
Et la louange de l’Éternel, ils annonceront.

Prédication

Ce poème, extrait du livre d’Esaïe, nous parle de Jérusalem. Jérusalem, quel nom évocateur, aux résonances puissantes! Jérusalem, cité de David, éternel espoir des juifs de la diaspora, terreau de la croix de Jésus de Nazareth, fontaine de l’évangile du Christ vivant. Ville trois fois, mille fois sainte. Une cité à mi-chemin entre le ciel et la terre, entre le rêve et la réalité.

Les thèmes dominants de ce poème, qui continue sur l’ensemble du chapitre 60 du livre d’Esaïe, sont la paix et la sécurité. La paix et la sécurité pour la ville de Jérusalem, que le texte décrit comme une lumière pour les nations, comme un horizon d’espérance au milieu des ténèbres environnantes. Une ville plantée tel un phare qui rassemble ses fils et ses filles exilés, se hâtant d’y retourner comme on retrouverait un sein maternel. Une ville que le poème présente comme un lieu de rassemblement, et une lueur d’espoir pour tous les peuples.

Jérusalem. La paix. L’espoir. Trois mots chargés de sens. Quel contraste avec la situation d’aujourd’hui, où on serait bien embarrassés de former une phrase avec ces trois mots – Jérusalem, paix, et espoir – sans tomber dans le domaine du vœu pieux ou de l’utopie. Mais détachons-nous un instant de ce présent douloureux, et projetons-nous dans le passé, au moment de la rédaction du texte d’Esaïe que nous venons de lire.

Nous sommes approximativement autour de l’année 500 avant notre ère. Cette période est marquée par le retour des exilés babyloniens en terre de Judée, même si nous avons par ailleurs peu de témoignages de cette époque. Mais par les échos que nous en avons dans la littérature biblique, notamment dans les livres d’Esdras et de Néhémie, nous pouvons imaginer que les conditions de ce retour devaient être bien précaires. Dans l’exégèse historico-critique, l’hypothèse rédactionnelle la plus répandue est que le poète d’Esaïe 60 s’adresse à la communauté appauvrie et peu nombreuse d’une Jérusalem encore largement en ruines. De plus, cette communauté est en proie à la méfiance des Judéens qui n’ont pas subi l’exil, et à l’hostilité de ses voisins immédiats. L’enthousiasme des premiers exilés revenant de Babylonie a dû vite retomber face aux difficultés.

C’est donc dans ce contexte bien sombre que s’élève la voix poétique dont l’écho nous parvient à travers le chapitre 60 du livre d’Esaïe. Il s’agit là d’une constante remarquable dans l’histoire du peuple d’Israël : à chaque époque où les ténèbres menaçaient d’éteindre tout espoir, une voix prophétique surgit pour raviver l’espérance et pour repousser l’ombre de la résignation et de la mort.

Et ici, dans une Jérusalem pauvre, divisée, meurtrie, notre texte nous peint un tableau bien différent de celui auquel on pourrait s’attendre. Nous voici devant une Jérusalem transfigurée. À la place d’une cité désespérée et renfermée sur ses douleurs, le texte nous la présente tel un étendard lumineux, devenue point de ralliement des exilés et de rassemblement pour les peuples voisins.

Car d’où viennent les chameaux de Madian et d’Epha couvrant Jérusalem, dont parle le verset 6 de notre texte? Madian et Epha sont des noms symboliques renvoyant aux tribus caravanières du nord de la péninsule arabique. Quant à la ville de Saba, c’est une évocation également symbolique du sud de l’Arabie, autour du Yémen actuel. Dans notre texte, ce sont donc tous les peuples d’Arabie qui sont appelés à rallier Jérusalem, devenue lieu de communion pour tous les enfants d’Abraham.

Et à quoi le verset 5 fait-il allusion, quand il nous parle d’une richesse des mers qui afflue vers Jérusalem? Le peuple d’Israël n’a jamais été un peuple de marins, et la mer était surtout synonyme pour lui de danger. À cette époque, les principaux ports de la région étaient ceux de la Phénicie, autrement dit, du Liban d’aujourd’hui.

Notre texte évoque donc ici un rapprochement espéré entre Jérusalem et ses voisins commerçants. Jérusalem. Israël. Arabie. Liban. Encore des mots dont l’association évoque aujourd’hui tant de conflits.

Et pourtant, à contre-courant des ténèbres qui semblent envelopper et cloisonner irrémédiablement les peuples, notre texte persiste à parler d’une renaissance possible, d’une lumière qui se lève, d’une percée dans l’épaisse obscurité qui semble régner sans partage. Une aube naissante qui appelle les lointains exilés, puis l’ensemble des peuples voisins, à venir à Jérusalem. À marcher. À espérer. Ou comme le dit notre texte, à « annoncer la louange de l’Éternel ».

Le verbe hébreu, que nous traduisons dans notre texte par «annoncer», serait plus précisément traduit par «proclamer une bonne nouvelle». C’est cette même racine qui, traduite en grec, finira par nous transmettre un mot qui nous est familier. L’Évangile. La bonne nouvelle. Comme l’évangile ou la bonne nouvelle du Christ triomphant de la mort. Comme l’évangile ou la bonne nouvelle de Jésus de Nazareth discutant avec une simple femme samaritaine, normalement doublement exclue. D’abord en étant une femme, puis en étant samaritaine, donc issue du voisin ennemi.

Certains éléments de notre texte vous semblent peut-être familiers, alors que nous sortons à peine du temps de Noël. Un astre qui brille dans la nuit, une voix qui retentit dans l’obscurité. Un appel lancé aux berges comme aux mages, aux autochtones pauvres comme aux riches étrangers. Une invitation à prendre la route et à venir pour contempler, dans l’enfant pauvre de Bethléem, l’espérance naissante de la Parole faite chair.

Le texte d’Esaïe et l’évangile de Jésus de Nazareth sont remplis d’appels constants à la communion universelle, au maintien de l’espérance. Malgré la noirceur de la situation et malgré les frontières persistantes du passé et du présent. Le message d’espoir que nous trouvons dans notre texte a été repris par de nombreuses figures chrétiennes. Parmi elles, évoquons l’exemple d’Origène. Origène est un théologien important du IIIe siècle, célèbre pour ses exégèses allégoriques de la Bible et pour sa lecture du Christ à travers le prisme du Logos. Le Logos, que nous connaissons surtout par l’évangile de Jean, est aussi un concept clé de la philosophie stoïcienne dont s’inspire Origène. Le Logos y représente le principe rationnel qui gouverne le monde et imprègne toute chose. Il est à la fois sagesse divine, et raison du monde. Dans la pensée d’Origène, le Logos devient incarné en Jésus-Christ. Et Origène affirme que c’est ce même Logos, à la fois raison universelle et bonne nouvelle jaillissante, qui « nous exhorte à venir à la lumière de la Jérusalem éclairée par l’Éternel ». Jérusalem, devenue ainsi lumière des nations.

Ainsi, avec le Christ de la bonne nouvelle annoncée à Pâque, avec le Christ du tombeau ouvert à Jérusalem, du tombeau ouvert vers l’extérieur, ouvert vers la vie, nous affirmons que la haine et la mort peuvent et doivent être vaincues. Nous affirmons qu’il n’existe pas de plus haut commandement que celui d’aimer nos frères et nos sœurs en humanité. Nous affirmons qu’il est de notre devoir de prier pour ceux qui maudissent comme pour ceux qui souffrent, pour ceux qui offensent comme pour ceux qui sont offensés, car la prière du Christ est universelle.

Et avec le Christ Logos, Raison universelle et sagesse du monde, nous nous empressons de dire « Assez !»  Assez au cycle de violence insensé qui ravage la patrie des prophètes, autrefois foyer d’espoir. La Raison présente en chacun d’entre nous, la Raison qui pétrit l’univers et l’appelle à l’équilibre, nous répète, inlassablement, qu’un autre chemin autre que celui des armes et de la violence est possible.

C’est donc à travers ce double appui de l’évangile du Christ, surmontant les préjugés et les inimités et proclamant l’amour universel du Père, et du Christ Logos, raison universelle appelant à mettre un terme au cycle insensé de la violence et de la destruction, que notre voix peut rejoindre celle du prophète Esaïe. C’est ainsi qu’elle peut résonner dans les ruines d’aujourd’hui pour transcender les frontières et les divisions. Pour déclarer notre refus que les ténèbres de la mort et de la haine ne recouvrent définitivement la terre. Pour affirmer notre compassion inconditionnelle pour la douleur des uns et des autres. Pour témoigner de notre espérance active en un avenir meilleur.

Que l’Éternel nous éclaire sur ce chemin de l’espérance. Que le Christ, Verbe et Raison incarnés, nous guide vers un avenir de paix et de fraternité. Enfin, que le souffle de l’Esprit nous pousse à devenir nous-mêmes acteurs de réconciliation, annonciateurs d’espoir, porteurs de lumière.