Prédication du 8 décembre 2019
Je suis le pain de vie
de Jérôme Saltet
Lectures : Exode 16, 2-4 et 11-15 ; Jean 6, 24-35
Lectures
Exode 16, 2-4
2 Alors toute la communauté des Israélites se mit à maugréer, dans le désert, contre Moïse et Aaron.
3 Les Israélites leur dirent : Ah ! si nous étions morts de la main du SEIGNEUR en Egypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! C’est pour faire mourir de faim toute cette assemblée que vous nous avez fait sortir dans ce désert !
4 Le SEIGNEUR dit à Moïse : Je vais faire pleuvoir pour vous du pain depuis le ciel. Le peuple sortira pour en recueillir chaque jour la quantité nécessaire ; ainsi je le mettrai à l’épreuve pour voir s’il suit ou non ma loi.
Exode 16, 11-15
11 Le SEIGNEUR dit à Moïse :
12 J’ai entendu les Israélites maugréer. Dis-leur : A la tombée du soir vous mangerez de la viande, et au matin vous vous rassasierez de pain ; ainsi vous saurez que je suis le SEIGNEUR (YHWH), votre Dieu.
13 Le soir, des cailles montèrent et couvrirent le camp ; et au matin il y eut autour du camp une couche de rosée.
14 Quand cette couche de rosée se leva, le désert était recouvert de quelque chose de menu, de granuleux — quelque chose de menu, comme le givre sur la terre.
15 Les Israélites regardèrent et se dirent l’un à l’autre : Qu’est-ce que c’est ? — Car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : C’est le pain que le SEIGNEUR vous donne à manger.
Jean 6, 24-35
24 Quand la foule vit que ni Jésus, ni ses disciples n’étaient là, les gens montèrent eux-mêmes dans ces barques et vinrent à Capharnaüm, à la recherche de Jésus.
25 Ils le trouvèrent sur l’autre rive de la mer et lui dirent : Rabbi, quand es-tu arrivé ici ?
26 Jésus leur répondit : Amen, amen, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés.
27 Œuvrez, non pas en vue de la nourriture qui se perd, mais en vue de la nourriture qui demeure pour la vie éternelle, celle que le Fils de l’homme vous donnera ; car c’est lui que le Père — Dieu — a marqué de son sceau.
28 Ils lui dirent : Que devons-nous faire pour accomplir les œuvres de Dieu ?
29 Jésus leur répondit : L’œuvre de Dieu, c’est que vous mettiez votre foi en celui qu’il a lui- même envoyé.
30 Ils lui dirent alors : Quel signe produis-tu donc, toi, pour que nous voyions et que nous te croyions ? Quelle œuvre fais-tu ?
31 Nos pères ont mangé la manne dans le désert, selon ce qui est écrit : Il leur donna à manger du pain venu du ciel.
32 Jésus leur dit : Amen, amen, je vous le dis, ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, c’est mon Père qui vous donne le vrai pain du ciel ;
33 car le pain de Dieu, c’est celui qui descend du ciel pour donner la vie au monde.
34 Ils lui dirent : Seigneur, donne-nous toujours ce pain-là.
35 Jésus leur dit : C’est moi qui suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui met sa foi en moi n’aura jamais soif.
Prédication
Le texte de Jean est assez limpide. Il délivre son message de manière directe, avec des mots simples. Et c’est un message fort.
Cet épisode fait suite à celui, bien connu, de la multiplication des pains. Dans ce récit de la multiplication, il y a une part de mystère, puisque c’est le récit d’un miracle. A partir de 5 pains d’orge et de 2 poissons, le pique-nique d’un gamin prévoyant, Jésus nourrit en abondance une foule de 5 000 personnes.
Jean ne s’attarde pas sur ce miracle. D’ailleurs, à ce mot de miracle, il préfère celui de signe. Signe de quoi ? Signe de l’identité de Jésus. Pour Jean, les miracles servent simplement à montrer à tous que Jésus est plus qu’un prophète, comme Moïse par exemple, et qu’il est bien le fils de Dieu, dont lui vient la capacité de réaliser ces prodiges. Jésus le dit très clairement : ce n’est pas Moïse qui vous a donné le pain du ciel, mais c’est Dieu, mon père, qui vous le donne.
Mais le héros de l’épisode, outre Jésus bien sûr, c’est le pain.
Je vous propose de regarder dans un premier temps ce qu’est ce pain dont parle Jésus. Nous verrons ensuite que ce texte nous amène à nous poser quelques questions essentielles.
Que signifie cette phrase étonnante : « Je suis le pain de vie » ?
De quel pain s’agit-il ?
Ce n’est pas la seule fois dans la bible qu’il est question de pain. Le pain est même un personnage récurrent de la bible. On le rencontre par exemple dans ce passage de l’Exode où Dieu nourrit son peuple affamé en envoyant la manne, largement composée de pain.
Ce pain rythme aussi la vie de Jésus, qui est né à Bethléem, qui signifie « la maison du pain » ; Jésus qui souffre de la faim dans le désert et dont l’une des tentations sera de transformer les pierres en pain ; jusqu’à son dernier repas où il partage le pain avec les disciples en disant « ceci est mon corps ».
Dans le texte de Jean, comme souvent, le pain est à la fois pris au premier degré, dans son sens matériel, et au sens figuré, dans sa dimension spirituelle.
Il y a d’abord le pain qui nourrit le corps.
Jésus ne le néglige pas. Même, il le distribue en abondance, de sorte que tous sont rassasiés.
Jésus d’ailleurs nous montre l’exemple, car nous pourrions être tentés de regarder avec un peu de mépris ceux qui, dans l’Exode comme dans Jean, semblent n’attendre que le pain matériel qui nourrit le corps, sans comprendre que c’est le pain spirituel qui est essentiel.
Gardons nous bien de ce mépris, pour au moins deux raisons :
la première, c’est qu’il faut respecter cette nourriture physique, qui donne du mal à ceux qui la produisent et qui manque cruellement à trop de monde, aux temps de Moïse et de Jésus comme aujourd’hui ;
la deuxième, c’est que nous sommes, au moins autant que les Hébreux autour de Moïse ou que les contemporains de Jésus, esclaves de nos besoins matériels et de notre peur de manquer.
Nous exigeons la satiété, nous cherchons l’abondance, nous revendiquons la sécurité.
Or, ce pain qui nourrit le corps est en quantité limitée, ilpeut venir à manquer, il est périssable. Et dans notre peur de manquer, nous voulons nous assurer que nous en aurons assez, quitte à en avoir trop.
Nous oublions alors, dans notre quête individuelle, l’exemple de Jésus, qui est celui du don et du partage.
Il y a un joli mot, très courant, qui désigne ceux qui n’oublient pas de partager le pain entre eux. Oui, les co-pains, qui sont les compagnons de pain ! Et à la table des amis, des copains, on partage alors non seulement le pain, mais la pensée, la parole, la bonté, l’amour !
Ainsi, on le voit, le pain de subsistance n’est pas le pain de vie. Le pain de subsistance est périssable, le pain de vie est éternel. L’un s’épuise, on se le dispute, l’autre est inépuisable et on le partage. L’un nourrit le corps, l’autre nourrit l’esprit, l’âme, le cœur. Le pain de vie est donné. Il est gratuit. Il ne peut pas se gagner, et surtout pas par les œuvres, mais il est donné à celui qui suit Jésus.
Alors que le pain de subsistance peut asservir l’homme, le pain de vie le libère, il le libère de sa peur qui conduit au repli sur soi.
D’accord, mais qu’est-ce que c’est, ce pain de vie ? Nous avons la réponse dans le texte. C’est Jésus lui-même, ce pain qui relie les hommes et qui nourrit leur faim de vie et de liberté. « Je suis le pain de vie » dit Jésus. « Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif ».
En lisant à plusieurs reprises ce texte de Jean, j’ai été frappé par le fait que, à chaque lecture, une foule de questions me traversaient l’esprit.
Je note d’ailleurs que la manne dont parle l’Exode est un mot dérivé de l’hébreu « mân hou » qui signifie « qu’est-ce que c’est ? ». Ainsi, Dieu nourrit son peuple avec des « Qu’est-ce que c’est ? ».
Et je crois que Jésus nous nourrit d’abord avec des questions, des questions essentielles souvent.
C’est sans doute pour cela que, lors d’une prédication, nos pensées s’écartent parfois de ce que dit le prédicateur. Ce n’est pas par ennui ou par manque de respect, mais parce qu’une question nous interpelle soudain, nous fait réfléchir et vagabonder un peu, jusqu’à ce que nous reprenions le fil tant bien que mal.
Ces questions qui nous interpellent, il me semble qu’elles doivent être posées à la première personne, car à partir du même texte, chacun peut se poser des questions différentes et surtout y apporter des réponses différentes.
Ainsi, voici quelques unes des questions que je me suis posées en lisant Jean :
Est-ce que moi aussi j’ai peur de manquer ? Et cette peur, est-ce qu’elle m’empêche de voir ce qui est essentiel ?
Et d’ailleurs, qu’est-ce qui est essentiel pour moi ? Est-ce que ceque je crois essentiel aurait de l’importance aux yeux de Jésus ? Est-ce que ce que je crois urgent ne m’écarte pas de ce qui est vraiment important ?
Est-ce que moi aussi j’ai le culte de l’argent, de l’abondance, du plaisir facile et volatile ? De la sécurité ?
Qu’est-ce qui a de la valeur pour moi ? Est-ce que c’est ce qui brille ? Ai-je moi aussi besoin de signes ? Suis-je capable d’accorder de la valeur à ce qui est donné gratuitement ?
Qui suis-je prêt à suivre ? Celui qui me dit ce que je veux entendre, et dont la parole est creuse, ou celui qui me dit la vérité crue, et dont la parole est exigeante ?
Contre quoi est-ce que je murmure ? De quoi est-ce que je me plains ? Où se cache mon esprit de méfiance, de réclamation, de revendication ?
Enfin, suis-je prêt au partage ? Et puisque le partage, c’est à la fois donner et recevoir, est-ce que je sais donner et aussi est-ce que je sais recevoir ?
Je m’arrête là, en faisant simplement deux remarques sur ces questions :
la première, c’est qu’elles n’ont pas de réponses toutes faites, et c’est bien ainsi, car elles sont un chemin, une recherche ;
la deuxième, c’est que je crois qu’il faut se les poser gaiement, joyeusement, et non pas en prenant l’air contrit et affligé que l’on nous prête parfois, à nous les protestants.
Il ne s’agit pas de se flageller, ni de désespérer de n’être pas parfaits (quel orgueil ce serait !) mais juste d’écouter la parole et de se laisser guider par elle sur le chemin, en vagabondant gaiement, en confiance.
Car la bonne nouvelle que nous enseigne Jésus, c’est que nous sommes tous appelés à partager le pain de vie.
Comme l’écrit Charles Wagner, qui parle magnifiquement de cette invitation au partage :
« Il n’y a pas, de la parole de Jésus, de plus éloquent commentaire que sa vie. C’est pour les petits et les oubliés qu’il a combiné son enseignement. Il a traduit le verbe éternel en paroles de simplicité, et pour mieux éclairer et réchauffer les cœurs, il a penché son front jusqu’au niveau des têtes d’enfants. Puis il a dressé sur la terre cette table de Dieu qui est l’image même du royaume des Cieux. Ouvrant les bras tout grands, il y a convié les cœurs froissés, les pauvres pécheurs, les vaincus de la vie. Comme ils se sont levés de leur poussière, les affamés de tous les âges, pour aller manger ensemble le pain de vie et boire à la grande coupe d’amour, profonde comme l’immensité ! ».
Alors, oui, faisons notre cette prière : « Seigneur, donne-nous toujours de ce pain là ! »
Amen