Prédication du 17 avril 2022
de Dominique Hernandez
Dimanche de Pâques
Lecture : Luc 24, 1-12
Lecture biblique
Luc 24, 1-12
1 Le premier jour de la semaine, elles vinrent au tombeau de grand matin, en apportant les aromates qu’elles avaient préparés.
2 Elles trouvèrent la pierre roulée de devant le tombeau ;
3 elles entrèrent, mais elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus.
4 Comme elles étaient perplexes à ce sujet, deux hommes survinrent devant elles, en habits éclatants.
5 Toutes craintives, elles baissèrent le visage vers la terre ; mais ils leur dirent : Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ?
6 Il n’est pas ici, il s’est réveillé. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu’il était encore en Galilée
7 et qu’il disait : Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux pécheurs, qu’il soit crucifié et qu’il se relève le troisième jour.
8 Et elles se souvinrent de ses paroles.
9 Elles s’en retournèrent du tombeau pour raconter tout cela aux Onze et à tous les autres.
10 C’étaient Marie-Madeleine, Jeanne, Marie de Jacques et les autres, avec elles ; elles le dirent aux apôtres ;
11 mais ces paroles leur parurent une niaiserie et ils ne crurent pas les femmes.
12 Pierre cependant se leva et courut au tombeau. En se baissant il ne vit que les bandelettes qui étaient à terre ; puis il s’en alla chez lui, s’étonnant de ce qui était arrivé.
Prédication
Ceci n’est pas le récit de la résurrection de Jésus le Christ.
Il n’y a pas de récit de la résurrection du Christ.
Les évangiles, celui de Luc et les trois autres, ne livrent que des récits d’après. La pierre est déjà roulée, le tombeau est déjà vide. Rien n’est écrit, rien n’est imaginé de ce qui a pu se produire pour que le tombeau soit vide. Seuls des évangiles apocryphes, qui n’ont pas été inclus dans le canon du Nouveau Testament, tentent de décrire la résurrection. Ainsi l’évangile de Pierre dans un récit tout à fait extraordinaire dont les images de puissance et de grandeur sont peut-être impressionnantes, mais elles ont aussi pour effet de cantonner la résurrection du Christ dans le passé.
C’est précisément, sagement et heureusement ce que ne font pas Matthieu, Marc, Luc et Jean.
Il n’y a que des récits d’après la résurrection, et cet « après » libère la résurrection et le ressuscité d’un ancrage temporel qui nous conduirait à célébrer aujourd’hui un événement du passé, un événement passé. Ce que la résurrection n’est pas. Célébrer Pâques, ce n’est pas célébrer un événement daté de l’an 33 environ. Célébrer Pâques, c’est affirmer que la résurrection, c’est aujourd’hui.
Les évangiles ont été écrits après la résurrection, y compris les récits de Noël, y compris les récits de la Passion et de la mort de Jésus. Écritures d’après, ou pour le dire autrement, le point de départ des évangiles ne se tient pas au commencement des récits, mais à la fin. Ce qui commence, c’est qu’il est vivant, alors qu’il avait été mis à mort.
Cela permet aussi de comprendre que les évangiles ne sont pas des comptes-rendus de la vie de Jésus, mais des témoignages de foi qui remontent de la résurrection jusqu’à la naissance de Jésus (pas tous) parce que le Christ est ressuscité et que l’homme Jésus était le Christ. Les évangiles ne sont pas des preuves, car s’il y a des preuves, ce n’est pas la peine de croire : savoir suffit, et croire et savoir, ce n’est pas du tout la même chose. Les évangiles sont des poèmes, et un poème ne prouve rien : il ouvre pour son lecteur une possibilité à saisir dans un acquiescement un peu fou et au risque de ne pas être crû. Les évangiles sont des poèmes qui désignent, chantent, traduisent à leur manière car il y en aurait, il y en a d’autres, une compréhension, une révélation née d’une expérience spirituelle de transformation de l’être et de la qualité de sa vie.
Dans ses lettres, Paul témoigne de cette expérience et de ses conséquences tout autrement que les évangélistes ; par exemple, il n’évoque jamais de tombeau vide. Du Ressuscité il parle abondamment dans ses épitres, mais pas du tombeau vide. Il connaissait pourtant Pierre et les autres disciples.
Évangiles poèmes, résurrection sans tombeau vide… nous voici libérés de la nécessité de la preuve, d’autant plus que la foi n’est pas foi en un texte même d’évangile, mais foi en celui auquel le texte, d’évangile ou d’épitre, rend témoignage.
Ce qui nous engage à lire ce matin le récit de Luc en-dehors de toute quête de preuve mais avec une lecture croyante, pour entendre ce que le texte donne à comprendre de cette résurrection. Je vous propose d’y entrer à partir de l’annonce faite par deux hommes en vêtements brillants aux femmes venues prendre soin du corps du crucifié : Il n’est pas ici mais il est ressuscité.
Il n’est pas ici. Quel est cet ici ? Bien sûr, dans le récit de Luc, c’est le tombeau, qui représente la mort.
Mais il est bien d’autres sortes de mort que la mort biologique.
Il n’est pas ici, pas dans ce que les tombeaux signifient, pas dans ce qui enferme et étouffe, pas là et quand l’amour, la justice, l’humain sont crucifiés et ensevelis par les appétits de pouvoir ou les soifs de richesses. Il n’est pas dans les actions d’oppression et de prédation. Il n’est pas dans ces ordres-là, imposé et incontestés qui ne sont que des formes du chaos. Il n’est pas dans ce qui tue, dans ce qui sert la mort, les morts.
Il n’est pas ici. Il n’est pas non plus dans des définitions, ni dans des expressions, même de foi, ni dans des dogmes ni dans des ouvrages de théologie, pas non plus dans les mots d’humain même les plus précieux. Il n’est même pas dans la Bible qui offre des images, des mots, des accents, des éclairages, des horizons, mais cela dépend aussi de la manière dont elle est lue et interprétée et c’est parfois de manière mortifère.
Il n’est pas ici, dans un temple qui est seulement le lieu de rassemblement de ceux qui cherchent et qui ont à veiller à ce qu’un tel lieu ne devienne pas celui d’une quête de pouvoir.
Il n’est pas dans le pain et le vin de la Cène, qui ne sont toujours que pain et vin, et qui font signe en étant partagés mais surtout pas comme lieu de tri entre ceux qui en seraient dignes et ceux qui ne le seraient pas.
Il n’est pas dans les Églises, institutions toujours tentées de se croire propriétaires de l’Évangile.
Il n’est pas ici, mais il est ressuscité.
Comme l’écrivait le pasteur Wagner, la résurrection est la réponse de Dieu à vendredi saint, la réponse de Dieu à la mise à mort de Jésus. C’est une réponse qui n’efface pas la mort, mais qui la surmonte, qui la dépasse. Ce n’est pas une réponse en forme de punition, de vengeance, mais une réponse en forme de don, à croire, vraiment, que Dieu ne fait pas autre chose que donner, la grâce et la vie, des « encore », des « pourquoi pas ? » et des « malgré tout ». Dieu ne demande ni ne se satisfait de la mort, son œuvre est de créer, d’insuffler la vie. Pâques dit ainsi l’amour de Dieu pour le monde, sa volonté pour le monde, pour chacun et pour tous.
Les textes des évangiles dans leur diversité, leur poème, font parfaitement comprendre que la résurrection n’est pas un retour à la vie antérieure, mais une nouveauté qui ne répond pas à des critères biologiques ou physiques. Ce n’est pas l’homme Jésus qui est ressuscité, revenu à sa vie antérieure, c’est le Christ, en tant que parole et actes de Dieu, puissance vivifiante de Dieu. L’homme Jésus qui était le Christ a manifesté par toute sa vie la vérité et de la réalité de cette puissance, de ce don de Dieu. Il a montré par ses actes et ses paroles que Dieu ne cesse de lutter contre le chaos, contre le mal : les injustices, le mensonge, la mort, en créant et recréant l’humanité de l’humain.
C’est pourquoi c’est le huitième jour quand les femmes vont au tombeau : le huitième jour est un nouveau premier jour, comme une reprise de création. La mort n’a pas le dernier mot, il y a une puissance vivifiante qui perce la mort. Ce n’est pas un fait pouvant ou devant être prouvé, c’est une expérience, un élan, une dynamique dont Pâques est le nom, un nom de libération, un nom de passage, un nom d’avenir.
Ainsi les femmes sont-elles remises en route. Elles ne vont plus se consacrer à leur tâche de femmes qui est de prendre soin du corps d’un mort, elles ne vont plus pleurer, elles ne vont plus se préoccuper de rites. Elles iront trouver des vivants et leur parler, parce qu’elles se souviennent que c’est ce que Jésus faisait, montrait et qu’il n’y a pas en elles seulement un souvenir mais une dynamique, une poussée, un élan. Grâce aux paroles des hommes en vêtements brillants, elles se souviennent d’une vocation, d’un appel, d’un exemple, d’une parole. Elles se souviennent, pas d’une mémoire dormante comme l’eau d’un étang mais d’une mémoire vive comme l’eau d’un torrent, et qui jaillit au présent pour y inscrire l’espérance.
Marie de Magdala, Jeanne, Marie de Jacques et les autres femmes ont une nouvelle mission : non plus l’embaumement du mort, mais l’annonce aux vivants. Pâques est aussi une dynamique de parole, la simple parole, à la fois faible car elle renonce à la force et forte car elle rebondit de siècle en siècle, de lieu en lieu, afin que la Nouvelle se répande dans le monde pour toucher les humains en manque de vie vivante.
Les disciples ne les croient pas écrit Luc, faible parole qui passe pour une niaiserie… les premières apôtres connaissent l’échec, ne nous affligeons pas des nôtres ! Pâques est le nom d’une aventure de vie et de rencontres, pas celui de notre succès. D’ailleurs Luc développe d’autres manières d’être rejoint par la résurrection : avec les disciples d’Emmaüs, avec Pierre et ceux qui étaient restés à Jérusalem, et dans le livre des Actes avec Paul et d’autres encore. Il n’y a pas qu’un seul modèle de résurrection, car c’est aussi cela Pâques : non seulement la résurrection du Christ, mais toujours aussi celle de l’humain. Le Christ est ressuscité c’est toujours l’annonce faite par une personne elle-même ressuscitée, comme les femmes allant embaumer le corps de Jésus sont ressuscitées en femmes porteuses de la Bonne Nouvelle.
C’est pourquoi Luc précise que non seulement les femmes se mettent en route vers le tombeau le huitième jour, mais qu’elles y vont tôt le matin. Premières heures du premier jour. C’est un jour tout neuf qui commence à peine, la nuit n’a pas disparu, mais il faut bien un entre-deux pour passer de l’un à l’autre, pour passer du jour à la nuit, pour passer du passé au présent. Pâques c’est une aube qui indique que le jour qui vient est nouveau et donc que le passé n’a pas le dernier mot, ni sur le présent, ni sur l’avenir. Le passé peut rester dans le passé, le passé de nos vies, de nos erreurs et de nos errances, le passé de souffrance et de servitude. L’aube de Pâques n’indique pas une commémoration, c’est une ouverture, un appel, une brèche vers un horizon lumineux, et le Christ est là, vivant, présent en ceux qui passent la brèche, suivent l’appel ; il est là, présent mais non contenu, non pas enfermé mais libérant, selon la volonté divine. Pâque est l’aube d’un jour nouveau, aujourd’hui. Tel est le sens de l’humanité de Pâques Il y a plus que l’humain en l’humain : il y a le Christ. Pas tout du Christ, mais Christ quand même
Nous en témoignerons tout à l’heure en partageant la Cène. Car si le Christ n’est pas dans le pain et le vin, il est celui qui invite dans la communion, au repas, un repas de fête, un repas de mémoire et un repas d’avenir, sa mémoire et notre avenir en lui, et pas seulement le nôtre en tant que personnes, mais celui du monde tant il est vrai que nous signifions à la Cène que le monde que nous voulons et pour lequel nous travaillons avec lui, est un monde où personne n’est exclu, où personne ne manque de pain ni de parole ni de fraternité, un monde où personne a plus ou moins de valeur que quiconque, un monde où l’on ne classe ni premiers ni derniers.
Nous ne célébrons pas le passé, mais l’actualité, la présence du Christ vivant.
Alors que retentissent les bruits de guerre, les cris de haine, les mensonges des uns et les contre-vérités des autres, alors que la vénération de figures du passé prend la place de la pensée et de la responsabilité. Nous ne sommes pas condamnés à subir l’échec, à désespérer de ce qui est et de ce qui vient
Le cri de Pâques : il est ressuscité! est un cri d’engagement, un cri de présences, nos présences engagées dans le monde et dans l’aventure d’un avenir qui n’est pas écrit.
Le Christ ressuscité, vivant est celui qui invite à sa table abondamment pourvue de vie et d’amour, où se partage la paix, où coule la joie.
Le Christ est ressuscité : c’est chaque fois qu’une personne abattue par une injustice, une oppression, un échec, une rupture, un drame, qui l’empêche de mener une existence pleinement humaine, est relevée.
C’est chaque fois une personne endormie, anesthésiée dans des habitudes, des routines, des rites qui n’ont plus de sens, ou dans des mensonges et des manipulations qui l’empêche de penser par elle-même, de choisir par elle-même, est réveillée.
Être relevé, réveillé, ressuscité, vivre d’une manière nouvelle, passer d’une qualité de vie à une autre : Pâque n’est pas un fait du passé mais une réalité d’aujourd’hui.
Il n’est pas ici mais il est ressuscité : ce n’est pas la formule pour se souvenir d’un événement passé, mais c’est la proclamation de la puissance vivifiante pour le présent, pour la vie de chacun. La révélation en plénitude de Pâques est que le Dieu de Jésus-Christ est Dieu contre la mort, Dieu de la vie, Dieu pour la vie de chacun, une dimension et une qualité de vie qui investissent et transcendent la vie naturelle pour lui donner sa vérité et sa beauté, une vie ressuscitée !