Prédication du 9 juin 2024
Culte d’installation du Conseil Presbytéral
de Marie-Pierre Cournot
Lecture : Genèse 3, 1-15
Lecture biblique
Genèse 3, 1-15
1 Le serpent était le plus avisé de tous les animaux de la campagne que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit : « Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ! »
2 La femme dit au serpent : Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin.
3 Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : « Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez ! »
4 Alors le serpent dit à la femme : Pas du tout ! Vous ne mourrez pas !
5 Dieu le sait : le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent ce qui est bon ou mauvais.
6 La femme vit que l’arbre était bon pour la nourriture et plaisant pour la vue, qu’il était, cet arbre, désirable pour le discernement. Elle prit de son fruit et en mangea ; elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il en mangea.
7 Leurs yeux à tous les deux s’ouvrirent, et ils surent qu’ils étaient nus. Ils cousirent des feuilles de figuier pour se faire des pagnes.
8 Alors ils entendirent le Seigneur Dieu qui parcourait le jardin avec la brise du soir. L’homme et sa femme allèrent se cacher parmi les arbres du jardin pour ne pas être vus par le Seigneur Dieu.
9 Le Seigneur Dieu appela l’homme ; il lui dit : Où es-tu ?
10 Il répondit : Je t’ai entendu dans le jardin et j’ai eu peur, parce que j’étais nu ; je me suis donc caché.
11 Il reprit : Qui t’a dit que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ?
12 L’homme répondit : C’est la femme que tu as mise auprès de moi qui m’a donné de l’arbre, et j’ai mangé.
13 Alors le Seigneur Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? La femme répondit : C’est le serpent qui m’a trompée, et j’ai mangé.
14 Le Seigneur Dieu dit au serpent : Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre toutes les bêtes et tous les animaux de la campagne, tu te déplaceras sur ton ventre et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie.
15 Je mettrai de l’hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui mordras le talon.
Prédication
Curieux hasard, je ne sais qui l’a fait exprès, que les élections du parlement européen tombent le jour de la reconnaissance du ministère du Conseil presbytéral du Foyer de l’âme !
Deuxième curieux hasard, qu’un des textes bibliques du jour soit cette histoire de serpent et de tentation qui sera déterminante pour l’humanité.
Vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai arrêté mon choix sur texte un jour comme aujourd’hui ?
Mais parce que ce texte a beaucoup à nous dire sur notre façon de penser l’avenir de l’Union européenne et beaucoup à nous interroger sur le rôle du Conseil presbytéral dans une paroisse.
Commençons par le Conseil presbytéral. Qu’est-ce que c’est et à quoi ça sert ?
Le Conseil presbytéral c’est un groupe de personnes, en l’occurrence 11 plus la pasteure, discernées par le Conseil sortant, confirmées par le vote de l’Assemblée générale, et qui sont responsables du gouvernement de la paroisse.
En gros, on pourrait dire, qu’à de très rares exceptions près comme la vente ou l’achat d’un bien immobilier, le conseil presbytéral décide de tout dans la paroisse.
Il doit tout de même s’inscrire dans le cadre dessiné par des documents législatifs de référence, principalement la Constitution de l’Eglise protestante unie de France et suivre les décisions prises par les synodes nationaux.
Parfois c’est embêtant de suivre ces règles, on préférerait en bons protestants faire comme on le décide et pas comme on nous dit de faire, comptant sur notre intelligence et notre autonomie.
Et il est vrai que quelques fois ça peut être judicieux.
Toujours est-il que votre Conseil presbytéral, que vous avez élu, va avoir besoin de tout votre soutien et de toute votre bénédiction.
C’est ce que nous allons faire dans quelques instants au cours de la liturgie de reconnaissance du ministère du Conseil presbytéral.
Dans notre Eglise, l’Eglise protestante unie de France, le conseil presbytéral est reconnu comme un ministère collégial, c’est-à-dire une charge que l’on a mission d’exercer collégialement.
Chacun de ses membres n’a aucun pouvoir individuellement, c’est l’ensemble du Conseil qui est investi de la fonction et de l’autorité qui va avec.
Cette liturgie que nous allons faire, permet de ne pas faire cavalier seul, de s’inscrire dans une tradition, dans une vie, dans une parole, qui nous précèdent et nous dépassent.
Cela permet de nous référer à plus grand que nous, et en premier lieu de faire partie d’une Eglise, l’Eglise protestante unie de France, car on n’est pas Eglise tout seul.
Je sais bien que parfois il peut être difficile de faire Eglise avec certaines personnes et que l’on ne se reconnait pas toujours dans les valeurs d’autres paroisses soi-disant sœurs.
Et oui, car ce qui est très différent de nous, on aimerait bien s’en éloigner, le mettre dehors.
Lui limiter l’accès à notre cercle communautaire.
C’est bien naturel.
Au point où nous en sommes, parlons du parlement européen.
Ne vous inquiétez je n’oublie pas le serpent, il est toujours là, il nous attend tapi dans l’ombre de nos compromissions et dans notre désir de compréhension.
Le parlement européen représente les citoyens des États membres de l’Union européenne.
De la même manière, il est très souhaitable que le conseil presbytéral soit à l’image de la paroisse, en particulier de sa diversité.
Car même dans les paroisses les plus typées, sociologiquement ou théologiquement, il y a de la diversité.
Personne n’a jamais la même façon de vivre sa vie qu’un autre, personne n’a jamais exactement les mêmes valeurs qu’un autre, personne n’a jamais la même façon de vivre sa foi qu’un autre, et c’est fort heureux.
On ne voudrait pas d’une paroisse de clones !
Le parlement européen participe donc activement à construire et faire tenir ensemble ce puzzle qu’est l’Union Européenne, dont aucune pièce n’a ni la même forme ni le même motif.
Le Conseil presbytéral participe activement à construire et faire tenir ensemble ce si beau et précieux bric-à-brac qu’est une paroisse.
Alors, occupons-nous du serpent.
Ah le serpent !
Il a pris cher dans l’histoire des religions, dans celle de l’Eglise chrétienne tout particulièrement.
Dans le christianisme, on l’a assimilé au diable et au mal, qui soi-disant rôdent autour de nous et nous menacent de nous laisser vaincre par tous les maux du monde.
Pour s’en convaincre, on peut relire dans le Nouveau Testament, dans le livre de l’Apocalypse, au chapitre 12, les versets 9 et 10 : « Il fut jeté à bas, le grand dragon, le serpent d’autrefois, celui qui est appelé le diable et le Satan, celui qui égare toute la terre habitée ; il fut jeté sur la terre, et ses anges y furent jetés avec lui. Alors j’entendis dans le ciel une voix forte qui disait : Maintenant sont arrivés le salut, la puissance, le règne de notre Dieu et le pouvoir de son Christ. Car il a été jeté à bas, l’accusateur de nos frères, celui qui les accusait devant notre Dieu jour et nuit. »
Le serpent, ou son équivalent le dragon, est devenu dans le Christianisme celui qui nous accuse, qui s’oppose au salut et au règne de Dieu.
Pourtant dans l’Ancien Testament, le serpent est le plus souvent décrit simplement comme ce qu’il est : une bête qui rampe par terre et dont la morsure est venimeuse.
Ce n’est pas génial mais vous avouerez que c’est moins délirant qu’une bête fantasmée qui nous permet de nous décharger de la responsabilité du mal.
Il faut dire que c’est très agréable de penser que le mal est extérieur à nous, extérieur à l’œuvre de Dieu, à la création, à notre monde.
Très pratique de penser que le mal nous vient de ce qui est étranger.
Et que cette menace inhérente à l’étranger, est exclue de la bénédiction divine.
Cette pensée a nourri la théologie chrétienne pendant des siècles.
Et quand on regarde les débats et les programmes des différents candidats aux élections européennes, on dirait bien que cela n’a pas beaucoup changé.
Le terrain d’application est différent, mais la notion d’une menace tapie dans ce qui est étranger est toujours là.
C’est comme si nous inventions une distance incompressible, une distance de sécurité, pour tenir à l’écart l’altérité et la dissemblance.
Pourtant le premier verset du chapitre 3 de la Genèse est très clair.
Relisons le début : « Le serpent était le plus avisé de tous les animaux de la campagne que l’Eternel Dieu avait faits »
Le serpent fait donc partie de la création, c’est Dieu qui l’a fait.
Si le serpent c’est bien le mal, le diable, il ne va plus être possible d’imaginer que le mal, le diable est une puissance indépendante de Dieu, et qu’entre les deux se déroule un combat sans merci.
De plus, il est le plus avisé des animaux !
On peut s’arrêter un instant sur le mot « serpent », en hébreu [1] נָחָשׁ c’est la même racine que le verbe « deviner », le mot « serpent » en hébreu veut aussi dire « il devine ».
Il est donc bien intelligent cet animal qui devine !
Ce n’est ni sa perversité, ni sa méchanceté, ni son vice qui sont mis en avant dans ce récit, mais plutôt sa finesse d’esprit.
Cet adjectif « avisé », parfois traduit par « rusé » pour mettre en avant un sens un peu ambigu, voire péjoratif, vaut aussi que l’on fasse le détour par l’hébreu [2] עָרוּם .
Son étymologie se perd dans les langues sémitiques et n’est pas très claire. Mais une des racine est le verbe « dépouiller » ou « se dépouiller ». Peut-être parce que notre serpent dépourvu de plumes et de poils !
Mais je crois que le serpent est celui qui nous dépouille, de nos certitudes, de nos vérités toutes faites, de nos « c’est comme ça parce qu’on m’a dit que c’est comme ça ».
Dans le récit, la femme arrive avec assurance et le serpent la débarrasse de cette assurance pour dévoiler son désir de connaissance et sa capacité à se faire elle-même une opinion.
Une autre étymologie du mot « avisé » en hébreu, d’ailleurs assez proche de la précédente, c’est « être nu ».
Lorsqu’ils sont touchés par la connaissance et la réflexion, l’homme et la femme deviennent à leurs yeux, nus … ou avisés comme le serpent, c’est quasiment le même mot.
Quand ils ont accès à la connaissance, ils deviennent avisés.
Avançons dans notre texte. Une fois le fruit mangé, la compréhension du monde et d’eux-mêmes obtenue, et alors que Dieu se promène tranquillement dans son jardin dans la douce fraîcheur du soir, l’homme et la femme vont avoir une petite discussion avec Dieu.
On pourrait la résumer par ce tire : « c’est pas moi, c’est l’autre ! ».
L’homme dit « ce n’est pas moi, c’est la femme que tu as mise auprès de moi », c’est donc la faute de la femme et de Dieu.
La femme de son côté se défile aussi : « « ce n’est pas moi, c’est le serpent ».
Elle ne dit pas à Dieu « c’est le serpent que tu as créé », mais honnêtement à sa place je crois que c’est ce que j’aurais dit !
Et voilà la figure de l’autre qui de nouveau nous est bien utile, pour pouvoir nous décharger de la faute ou, si comme moi on considère qu’il n’y a pas de faute, pour pouvoir nous dépouiller de la responsabilité.
Gardons-nous de n’avoir pas un jour à dire « ce n’est pas moi, c’est l’autre » quand on nous demandera où nous étions le jour où il fallait décider dans les urnes de l’avenir de l’Europe, de notre avenir, de ce que sera le monde pour nos enfants et pour tous les enfants du monde.
Il aura fallu l’intervention d’un serpent, être vivant différent d’un être humain, pour ouvrir les yeux de l’homme et de la femme.
Certes ce serpent est autant créature de Dieu que les humains, mais rien ne ressemble moins à un humain qu’un serpent.
Grâce à lui, ils ont la possibilité de choisir la connaissance plutôt que l’aveuglement, la réflexion plutôt que la naïveté, la liberté de choix plutôt que l’obéissance.
Au début de cette prédication, j’ai parlé de compromission.
Si par compromission on entend le fait de transiger avec ses certitudes, alors merci au serpent d’avoir compromis l’homme et la femme.
Un changement majeur va s’opérer en eux, qui sera marqué comme souvent dans la Bible par un changement de nom : celle qui jusque-là était appelée « la femme » deviendra Eve quelques versets après notre passage [3] Gn 3,20 et celui qui jusque-là était appelée « l’homme » deviendra Adam au chapitre suivant [4] Gn 4,25 .
Devant les choix qui s’offrent à nous dans nos vies et particulièrement en ce jour d’élections, sommes-nous capables de réflexion, de connaissance et de choix ou avons-nous besoin aussi, comme Eve et Adam, d’un serpent qui nous pousse dans nos retranchements pour en faire sortir l’intelligence ?
Avons-nous besoin d’un serpent pour nous dépouiller de nos peurs intimes et primales de ce qui est différent ?
Pourrions-nous souhaiter en ce jour de reconnaissance de ministère de Conseil presbytéral que le Conseil presbytéral soit notre serpent ?
Je sais vous allez me dire que Dieu maudit le serpent et que son destin n’est pas enviable.
Je vous répondrai que tout maudit qu’il soit le serpent reste dans le jardin d’Eden, il n’en est pas chassé lui !
Si nous ne voulons pas être le serpent de l’histoire, je comprends, alors soyons la femme et l’homme qui avons soif de connaissance et de compréhension des choses, qui se laissent interpeller et transformer par l’être le plus éloignés et différents d’eux.