Prédication du 5 mai 2024

d’Éléonore Berger

LectureActes 10, 23-33

Introduction

Nous lisons aujourd’hui dans le livre des Actes, la rencontre entre Pierre et Corneille. Pour mieux écouter cette rencontre, résumons le fil du récit et quelques éléments de contexte :

Nous sommes à Césarée où vit un centurion romain, appelé Corneille. Corneille est un homme plutôt riche, et plutôt puissant (il dirige quand même une unité d’environ cent hommes). C’est ce qu’on appelle à cette époque un « craignant Dieu ». En effet, à l’époque, être juif, appartenir à au peuple élu d’Israël n’est pas une histoire de conversion. On nait juif, on ne le devient pas. / Mais certains polythéistes adoptent, malgré tout, les pratiques juives. Ils suivent les règles strictes de pureté, « craignent Dieu », mais sans aller jusqu’à la circoncision. Corneille est un de ceux-là. / Il nous est décrit comme un homme pieux et dont les bonnes œuvres abondent. Un jour, il a la vision d’un ange. Celui-ci lui annonce que Dieu s’est souvenu de ses actes bons et l’invite à faire venir Pierre chez lui. Corneille obéit et envoie deux hommes chercher ce Pierre, qu’il ne connait pas.

Pierre de son côté est à Joppé, à une cinquantaine de kilomètres. Il loge auprès de la communauté formée autour d’une femme appelée Tabitha. / Vers midi, le lendemain de la vision de Corneille, Pierre a faim. En attendant le repas, il monte prier sur le toit. Il lui arrive alors une vision, une extase. Il voit une toile où sont rassemblés tous les animaux de la création, ceux qu’il peut manger et ceux qui lui sont interdits en vertu de la loi juive. Mais une voix venue du ciel lui ordonne d’en prendre et de manger. En bon juif, Pierre proteste, refuse. Il a toujours respecté la loi et ne va pas se souiller. Mais la voix lui répète par trois fois « Ce que Dieu à purifié, toi, ne le souille pas ».

Il est encore en train de réfléchir au sens de sa vision quand les envoyés de Corneille viennent se présenter.  Il les reçoit  puis part avec eux, accompagné par quelques membres de la communauté de Joppé. C’est à ce moment que nous retrouvons Pierre.

Lecture biblique

Actes 10, 23-33

23 Le lendemain même, il partit avec eux accompagné par quelques frères de Joppé. 
24 Et le surlendemain, il arrivait à Césarée. Corneille, de son côté, qui les attendait, avait convoqué sa parenté et ses amis intimes. 
25 Au moment où Pierre arriva, Corneille vint à sa rencontre et il tomba à ses pieds pour lui rendre hommage. 
26 « Lève-toi ! » lui dit Pierre, et il l’aida à se relever. « Moi aussi, je ne suis qu’un homme. » 
27 Et, tout en conversant avec lui, il entra. Découvrant alors une nombreuse assistance, 
28 il déclara : « Comme vous le savez, c’est un crime pour un Juif que d’avoir des relations suivies ou même quelque contact avec un étranger. Mais, à moi, Dieu vient de me faire comprendre qu’il ne fallait déclarer immonde ou impur aucun homme. 
29 Voilà pourquoi c’est sans aucune réticence que je suis venu quand tu m’as fait demander. Mais maintenant j’aimerais savoir pour quelle raison vous m’avez fait venir. » 
30 Et Corneille de répondre : « Il y a trois jours juste en ce moment, à trois heures de l’après-midi, j’étais en prière dans ma maison. Soudain un personnage aux vêtements splendides se présente devant moi
31 et me déclare : “Ta prière a trouvé audience, Corneille, et de tes largesses la mémoire est présente devant Dieu. 
32 Envoie donc quelqu’un à Joppé pour inviter Simon qu’on surnomme Pierre à venir ici. Il est l’hôte de la maison de Simon le corroyeur, au bord de la mer.” 
33 Sur l’heure, je t’ai donc envoyé chercher, et tu as été assez aimable pour nous rejoindre. Maintenant nous voici tous devant toi pour écouter tout ce que le Seigneur t’a chargé de nous dire. »

Prédication

« Il ne faut déclarer immonde ou impur aucun homme ». Répétons-nous aujourd’hui cette déclaration de Pierre /  et répétons là autant qu’il le faudra « Il ne faut déclarer immonde ou impur aucun homme ».

Quelle révolution a bien pu mettre ces mots dans la bouche de Pierre ? Représentez-vous la situation. Vous l’avez quitté à Jérusalem, il y a quelques chapitres : c’est Pierre, l’apôtre qui harangue les foules juives et qui répond au tribunal religieux.  Pierre, qui est le symbole des juifs pieux partisans de Jésus. Ceux parmi ces premiers partisans qui souhaitent conserver intacte la loi juive. Et là ! Vous le retrouvez en train de séjourner chez un païen, un représentant militaire de l’envahisseur romain, en train de converser avec lui ! Selon les critères de la société de l’époque, c’est une situation inconcevable.
D’ailleurs, c’est pour justifier sa venue étonnante dans ce contexte qu’il dit « Dieu vient de me faire comprendre qu’il ne faut déclarer immonde ou impur aucun homme ». La règle de séparation, de classement des humains entre pur et impur est rompue. / Cette règle pourtant si pratique, si facile à vivre. / Il y a les bons, et les mauvais. / Ceux que j’ai le droit de fréquenter, et ceux qui ne méritent pas mon attention. Pour Pierre, cette règle est instaurée par Dieu lui-même ! Car si elle n’est pas écrite en l’état dans la Torah, elle découle des principes de pureté. Lorsque Pierre y obéit, il pense bien agir, il veut suivre le chemin que son Dieu lui ordonne.

Et aujourd’hui alors ? Quelles règles nous imposons-nous, ou imposons-nous aux autres, au nom de Dieu ? Quelques-unes me sont venues en tête : la première femme pasteur, Madeleine Blocher-Saillans a dû se battre pour être reconnue en 1929, et d’ailleurs pas dans notre Église, mais à l’Église Baptise du Tabernacle à quelques stations de métro d’ici. Je pense aussi à la bénédiction des couples de même sexe ou queer, que nous nous sommes refusés jusqu’en 2015, et que tous n’acceptent toujours pas, au nom d’une théologie appuyée sur une certaine lecture des écritures.

Dieu nous a donné le Christ pour nous sauver de nos enfermements, pas pour renforcer nos séparations. Si Pierre en témoigne à Césarée, combien devrons-nous toujours le répéter jusqu’à aujourd’hui ! « Il ne faut déclarer immonde ou impur aucun homme » rester à l’écoute de sa parole, c’est toujours déconstruire les murs que nous nous mettons. C’est être prêt à changer, parfois radicalement.  Car le changement que Pierre vit est bien radical ! C’est toute sa vision du monde qui est remise en question. Et il a beau dire qu’il est venu « sans aucune réticence » il a bien pris le temps nécessaire pour recevoir cet ordre nouveau, pour faire le trajet physique (une journée de marche), mais aussi symbolique (aller séjourner chez un païen) qui va l’amener à rencontrer Corneille. Certains exégètes s’amusent d’ailleurs, car le rédacteur du texte le fait même arriver 3 fois en 4 versets, avec le même verbe arriver qui se répète : il arrive d’abord à Césarée verset 24, puis il va arriver près de la maison verset 25 et enfin arriver auprès de la petite assemblée verset 27. Mais quoi de plus normal? Dieu ne nous a jamais demandé d’être des soldats obéissant aveuglément à ses ordres. Ce que Pierre a reçu dans sa vision est un changement bouleversant. Sa compréhension du monde, sa manière d’y interagir, est secouée, retournée et renouvelée. Les règles qui régissaient son existence, sont détruites et l’appel de Dieu le projette à la rencontre de ceux qu’il considérait jusqu’alors comme infréquentables.

Et nous, quels sont les pans de nos vies où nous avons besoin de l’aide de Dieu pour nous convertir ? Chacun, chacune d’entre nous, parvenons-nous toujours à entendre Son appel à détruire les barrières que nous érigeons entre les humains ? Avec Pierre, laissons-nous être changés par Dieu. Et admirons donc un peu Pierre, qui prend le temps de recevoir dans son cœur cette nouveauté de Dieu et qui, dans un formidable acte de foi, accepte de se mettre en route pour aller à la rencontre de Corneille.



Dieu nous invite à oser changer, à ne pas nous enfermer dans nos certitudes, nos règles. Pierre reçoit cette invitation de Dieu dans un songe, puis par la rencontre avec Corneille et ses proches. À notre tour, nous pouvons nous mettre à l’écoute de la parole de Dieu, par la lecture des écritures, par le partage avec nos frères et sœurs en communautés et par l’écoute de nos frères et sœurs humains qui vivent dans le monde. Dieu nous connait profondément, et nous aime comme des sujets capables d’une infinie créativité pour discerner comment vivre notre vie. En appelant Pierre à rencontrer des païens, Dieu refuse que Pierre s’enferme dans une identité rabougrie d’apôtre des juifs. Dieu aime Pierre. Il l’aime quand il s’applique à suivre les règles données au peuple d’Israël. Dieu l’aime quand il reconnaît en Jésus le Christ.  Dieu aime Pierre quand il doute au moment de la passion et qu’il renie Jésus. Dieu aime Pierre quand il refuse de manger ce que lui ordonne la vision. Dieu aime Pierre quand il accepte d’aller à la rencontre de Corneille. Dieu nous aime pour ce que nous sommes, pas pour ce que nous faisons. Ainsi, Dieu aime Corneille le Romain. Dieu aime Corneille l’homme pieux qui suit les règles juives. Dieu aime Corneille et ses actions pleines de bontés pour les autres. Dieu aime aussi Corneille qui n’a pas osé aller jusqu’à la circoncision. Dieu aime Corneille sur qui descend l’Esprit saint et qui reçoit le baptême au nom du Christ un peu après notre extrait.

Dieu nous a donné la vie et la possibilité de changer. Alors, devenons vivants et vivantes jusque dans nos identités. Ne nous enfermons pas dans des formules ou des habitudes mortes. Osons être changés par le souffle de l’Esprit qui vient nous rencontrer là où nous sommes pour nous accompagner là où, seuls, nous n’aurions pas osé nous aventurer.

 

La foi qui fait se rencontrer Pierre et Corneille est un bouleversement. Elle met le monde sens dessus dessous. Voilà que, contrairement à toutes les conventions, le dignitaire romain tombe aux pieds du juif. Mais Pierre relève Corneille, il le remet debout, sur le chemin de la vie. Car ce verbe relever en grec, c’est celui du relèvement de la résurrection. En effet, en grec, ressuscité se dit relever. En relevant Corneille, Pierre lui fait faire l’expérience de la résurrection. Celle qui brise les enfermements, les conventions mortifères, celle qui fait dérailler les rails tout tracés que nous nous donnons à nous-mêmes, pour nous remettre sur le chemin de la vie, sur le chemin de la rencontre de l’autre. Face à Dieu, Pierre et Corneille sont à égalité, car Dieu les aime infiniment et tout autant l’un que l’autre, alors même qu’ils sont si différents et alors même qu’ils sont changeants.



Ce que Dieu nous donne, c’est sa parole, qui nous exhorte à aller à la rencontre de l’autre et à l’écouter. Alors, dans cette écoute, survient l’Église du Christ. C’est une drôle d’assemblée qui se réunit chez Corneille : Pierre, les frères de Joppé, Corneille, ses envoyés, sa famille, ses amis intimes et probablement quelques serviteurs et esclaves de la maison. Des juifs, des païens, des chrétiens, des craignant Dieu… Cette assemblée nous donne l’image d’une première Église diverse. Elle n’est pas réservée aux habitués, à ceux nés au bon endroit, au bon moment. Il n’y a pas de ticket d’entrée à payer ou de rite de passage (d’ailleurs, dans la suite du texte, la descente de l’Esprit saint et le baptême viennent après la rencontre !). À l’image de l’assemblée à Césarée, réjouissons-nous de rendre nos communautés ouvertes à tous et à toutes, de la vieille habituée au nouveau venu, du petit enfant protestant, fils de protestants depuis la réforme autant qu’à l’étrangère qui est entrée par hasard et ne reviendras peut-être pas.



Mais qu’est-ce qui les rassemble alors ? Et qu’est-ce qui nous rassemble ? À Césarée comme à Bastille, ce n’est pas la loi qui nous rassemble, abolie en Dieu par le Christ. Ce n’est pas une caste de prêtre qui tiendrait en otage la médiation dans notre relation à Dieu et par qui il faudrait nécessairement passer, non. D’ailleurs, Pierre et Corneille ne se rencontrent pas au temple, à Jérusalem, mais à la maison, dans le lieu du quotidien. Le don de la nouveauté de Dieu et de nos frères et sœurs se réalise dans notre vie de tous les jours. C’est dans notre quotidien que Dieu nous invite à répondre à son interpellation. Ce qui nous rassemble, c’est l’appel du Christ à se mettre à l’écoute du Seigneur, en allant à la rencontre de l’autre. Un appel qui nous amène à découvrir que l’autre peut être porteur d’une parole de Dieu pour moi.



La vision de Corneille l’invite à écouter ce que Pierre a à dire. Corneille ne garde pas pour lui la bonne nouvelle, il invite d’autres personnes à en faire l’expérience, il crée des témoins, il partage. Avec Corneille, partageons la bonne nouvelle de l’amour de Dieu qui refuse de nous enfermer dans nos identités. Pour Pierre, l’identité était dépendante des règles de pureté. Dans notre présent, nous nous réduisons bien trop souvent à nos identités mondaines, aux quelques rares actions permises par les conventions qui se répètent inlassablement. Avec Pierre, Dieu nous ouvre un horizon infini de possibilité pour vivre notre vie. Dieu nous reconnaît comme des sujets porteurs de changements et d’espérance, là où nous vivons, et assurés de sa confiance.

La vision de Pierre, elle, le met en chemin vers Corneille, pour que la bonne nouvelle déborde du cercle juif et vienne rencontrer ceux de Césarée. Mais Pierre n’a pas reçu le contenu de son discours. Dieu ne nous ordonne pas de répéter des éléments de langage prêts à l’emploi. Ce que Pierre va partager dans la suite du texte, c’est une profession de foi, un crédo, qui dit ce en quoi lui croit, ce qu’il reconnaît et décrit comme « la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ, lui qui est le Seigneur de tous les hommes ».  Cette libération annoncée par Pierre, écoutons-la encore, pour la faire nôtre aujourd’hui. Cet envoi vers nos frères et sœurs, rappelons-nous-en à chaque fois que nous relirons ce texte.

Oui, à nous aussi, Dieu nous a fait comprendre qu’il ne faut déclarer immonde ou impur aucun homme.

BIBLIOGRAPHIE

Conzelmann, Hans, Eldon Jay Epp, et Christopher R. Matthews. Acts of the Apostles: A Commentary on the Acts of the Apostles. Hermeneia. Philadelphia: Fortress press, 1987.

Hoegger, Martin. « Actes 10,34-48  Une conversion à la fraternité universelle ». Lire et Dire, no 93 (2012).

Marguerat, Daniel. Les Actes des Apôtres. 1: 1-12. Commentaire du Nouveau Testament 5a. Geneve: Labor et Fides, 2007.

Pervo, Richard I., et Harold W. Attridge. Acts: a commentary. Hermeneia. Minneapolis: Fortress Press, 2009.