Prédication du 22 décembre 2024

de Catherine Axelrad

Lecture : Ésaïe 40, 1-8

Introduction

Chaque année, dans toutes les paroisses protestantes de France, revient ce temps incertain qui suit le Noël des enfants mais qui nous replonge dans les lectures et la réflexion de ce moment qu’on appelle l’Avent – avent comme advenir, avent comme aventure… Dimanche dernier, avec notre pasteure et avec les enfants, nous avons fêté la clairvoyance des ânes, en particulier l’ânesse de Balaam, celle qui refuse de condamner, celle qui nous incite à bénir plutôt qu’à maudire ; mercredi nous célébrerons Noël – non pas l’anniversaire de la naissance de Jésus, mais le commencement pour l’humanité d’une nouvelle relation à Dieu en Jésus-Christ. Et du coup, aujourd’hui, en ce dernier dimanche d’Avent, nous voilà dans un entre-deux ; nous sommes encore dans l’attente et nous sommes déjà dans la joie de la bonne nouvelle. Cet entre-deux n’est pas si confortable, mais pour beaucoup d’entre nous il correspond à la réalité de notre foi, et c’est donc l’occasion d’y réfléchir ensemble. Alors je vous propose de relire ce matin des textes souvent lus pendant l’Avent, des textes que nous connaissons bien et que nous aimons. Le premier sera lu par Béatrice et le deuxième sera incorporé à la prédication.

Lecture biblique

Ésaïe 40, 1-8

1 Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu.
2 Parlez au cœur de Jérusalem, criez-lui que son combat est terminé, qu’elle s’est acquittée de sa faute, qu’elle a déjà reçu du Seigneur le double de ce qu’elle méritait pour tous ses péchés.
3 Une voix crie : Préparez dans le désert le chemin du Seigneur ! Aplanissez une route pour notre Dieu dans la plaine aride ! 
4 Que toute vallée soit élevée, que toute montagne et toute colline soient abaissées! Que les reliefs se changent en terrain plat et les escarpements en vallons !
5 Alors la gloire du Seigneur se dévoilera, et tous la verront ensemble – c’est la bouche du Seigneur qui parle.
6 Une voix crie : Crie ! On répond : Que crierai-je ?
– Toute chair est de l’herbe, tout son éclat est comme la fleur des champs.
7 L’herbe se dessèche, la fleur se fane quand le souffle du Seigneur passe dessus.
Vraiment, le peuple est de l’herbe :
8 l’herbe se dessèche, la fleur se fane ;
mais la parole de notre Dieu subsistera toujours.

Prédication

Comme certains d’entre vous le savent, le livre biblique attribué au prophète Esaïe, qui comporte 66 chapitres, est en réalité composé de trois grandes parties. Chacune de ces parties a été produite, à au moins cent ans d’écart, par un prophète différent, dans des situations historiques différentes ; le deuxième et le troisième ont repris le nom du premier Esaïe (pour le troisième ils étaient même peut-être plusieurs), et ils ont aussi adopté le même style poétique. Cette deuxième partie de ce livre d’Esaïe est composée de quinze chapitres, 40 à 55, et le texte que Béatrice nous a lu, c’est tout simplement l’ouverture du premier de ces 15 chapitres, les premiers versets du chapitre 40. Et comme certains d’entre vous le savent également, ces quinze chapitres, on les appelle souvent le livre de la consolation d’Israël. « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu ». Cette consolation, lorsque Esaïe la proclame, le peuple de Judée en a bien besoin : nous sommes dans la seconde partie du 6ème siècle avant Jésus, cinquante ans après la prise de Jérusalem par Babylone, avec la destruction des murailles et du temple et la déportation d’une grande partie de la population ; dans un premier temps les Judéens ont été réduits en esclavage, dépossédés de tout y compris de leur nom… Pour avoir une idée du traumatisme, on peut se référer au psaume 137, qui rappelle ces terribles journées, et qui se termine par un appel à la vengeance tout aussi terrible : Babylone, heureux qui te rendra le mal que tu nous as fait, heureux qui saisira tes enfants pour les briser contre le roc. Disons-le, cet appel à la vengeance a toujours été difficile à entendre, et il l’est particulièrement aujourd’hui compte tenu de la situation géopolitique.  Mais cinquante ans plus tard, dans le texte que nous venons d’entendre, Esaïe n’appelle pas du tout les Judéens à la vengeance, il les appelle au retour. Babylone est tombée à son tour, et sans même combattre : le roi perse Cyrus vient d’entrer dans la ville en triomphateur, il a été acclamé par toute la population – on peut imaginer que les Judéens maintenant installés à Babylone n’ont pas été les derniers à l’acclamer, surtout que les rois perses – Cyrus puis Darius – tout en conservant le pouvoir sur les territoires conquis, vont permettre aux déportés qui le souhaitent, les rois perses permettent aux enfants d’Israël de retourner à Jérusalem. C’est la fin de l’exil, c’est la consolation d’Israël : les Judéens, toutes générations confondues, y compris ceux qui sont nés entre temps à Babylone, les Judéens sont tous appelés à retraverser le désert, dans une marche de la foi qui les conduira jusqu’à Jérusalem – mais le désert, sans chemin tracé à l’avance, c’est d’abord un espace d’errance et de danger, et on comprend bien que pour beaucoup cette démarche est très difficile, tous ne veulent pas rentrer (d’ailleurs beaucoup resteront, c’est le début de ce qu’on appelle la diaspora) ; c’est pourquoi notre Esaïe, le deuxième Esaïe prophétise pour les convaincre, il veut raffermir leur foi et leur courage : oui, courage, consolez mon peuple, dit le Seigneur : vous avez assez souffert, vous allez pouvoir retourner à Jérusalem, rebâtir le temple et y retrouver votre Dieu ; si vous préparez un chemin dans le désert, un chemin pour le Seigneur qui a fait de vous un peuple, si vous restez unis, sa gloire se dévoilera et tous la verront ensemble.  Pour avoir une idée de la joie retrouvée, on peut se reporter à un autre psaume, le psaume 126 qui évoque justement ce retour dans l’espérance « Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve, notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie. » En réalité bien sûr, ça ne vous étonnera pas, les choses ne se sont pas passées aussi simplement, d’autres problèmes ont surgi très rapidement – je n’en parlerai pas ce matin, ils sont évoqués en filigrane dans le troisième Esaïe et à la fin du livre de Néhémie. Ce matin, avec ce chapitre 40 d’Esaïe, nous sommes dans la joie du retour possible, la joie de la confiance retrouvée, l’exhortation à l’espérance et au courage pour un nouveau commencement.

Et c’est bien d’un nouveau commencement qu’il s’agit, un commencement qui s’est prolongé malgré les difficultés et les aléas de l’histoire, un commencement qui par la force du verbe va se prolonger jusqu’à nous. Vous le savez, comme beaucoup de textes du livre d’Esaïe, ces paroles du prophète, paroles inspirées mais paroles humaines, ces paroles ont eu, et ont encore, une très grande importance dans la formulation – dans l’élaboration par la parole – de la foi au Dieu unique, la foi au Dieu unique d’Israël mais aussi l’élaboration par la parole de la foi au Dieu unique présent en Christ. Parce que cette parole, parole inspirée mais parole humaine, en traversant le temps et l’histoire, elle se traduit, et donc elle se transforme. Trois siècles après avoir été produite en hébreu par Esaïe, environ trois cents ans avant Jésus, quand toute la région parle grec, quand ce texte a été traduit en grec, dans cette version de la Bible qu’on appelle la « Septante », il a été légèrement modifié. Au lieu de « Une voix crie : préparez dans le désert un chemin pour le Seigneur, le texte grec dit : Une voix crie dans le désert : préparez le chemin du Seigneur. » C’est important de le rappeler, parce qu’à l’époque de Jésus, c’est cette version grecque des textes bibliques que les gens connaissent – y compris Jésus lui-même, qui la cite souvent, et aussi Jean-Baptiste. Et, nous allons l’entendre, encore un peu plus tard, c’est cette version que Marc choisira pour annoncer le commencement de son évangile, l’heureuse annonce de Jésus Christ. Car contrairement à Mathieu et Luc, Marc ne raconte pas la naissance de Jésus, et encore moins son enfance. Ce qui l’intéresse, ce sont les trois années de son ministère. Et donc pour annoncer Jésus, Marc commence par nous présenter celui qui l’a annoncé le premier, et il le fait à l’aide d’une parole à la fois ancienne et nouvelle.                                  

Et donc nous allons lire le commencement de l’évangile selon Marc : les 8 premiers versets du 1er chapitre

Commencement de la bonne nouvelle de Jésus-Christ, Fils de Dieu.
Selon ce qui est écrit dans le Prophète Esaïe :
J’envoie devant toi mon messager, pour frayer ton chemin.
C’est celui dont la voix crie dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers »,
Survint Jean, celui qui baptisait dans le désert et proclamait un baptême de changement radical, pour le pardon des péchés. Toute la Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui et recevaient de lui le baptême, dans le Jourdain, en reconnaissant publiquement leurs péchés. Jean était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de criquets et de miel sauvage.
Jean proclamait : Il vient derrière moi, celui qui est plus puissant que moi, et ce serait encore trop d’honneur pour moi que de me baisser pour délier la lanière de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés d’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit saint ».

Je ne voudrais surtout pas susciter de malentendu ; si je vous ai proposé ces deux lectures, ce n’est pas pour pratiquer un exercice savant un peu superficiel qui consisterait à repérer les modifications entre les textes, comme dans une sorte de jeu des sept erreurs. Mais je crois profondément que l’évolution de la parole est un signe de l’évolution de la foi, et surtout qu’elle participe à cette évolution ; nous avons vu qu’avec ce texte d’Esaïe et sa traduction en grec nous pouvons déjà entrer dans l’élaboration par la parole d’une relation à Dieu libérée de la notion ancestrale de vengeance ; et maintenant l’évangile de Marc nous plonge dans l’attente messianique des derniers siècles avant Jésus, cette attente d’un nouveau commencement, ce désir d’une plus grande proximité de Dieu qui a permis l’émergence de la foi chrétienne, et qui continue à nous en faire vivre. Car au commencement de l’heureuse annonce, vous l’avez certainement entendu, il y a justement ce mot, commencement. Commencement, Berechit en hébreu, c’est tout simplement le premier mot de la Genèse, donc le premier mot de la Bible, et avec ce mot Marc nous fait maintenant entrer dans un nouveau commencement. Pas un recommencement comme avant, pas un recommencement de la même relation à Dieu qu’avant ; nous entrons dans le commencement d’une nouvelle relation à Dieu. Jésus le dira un peu plus tard, « le temps est accompli et le règne de Dieu s’est approché ». Mais ce nouveau commencement ne vient pas de nulle part, il se rattache aux commencements précédents grâce aux anciennes prophéties. L’heureuse annonce qui nous est offerte, c’est à la fois le commencement de quelque chose de totalement nouveau, mais c’est aussi une manière de nous dire qu’il y a eu beaucoup de commencements, car le texte qui nous est cité est composé à partir de plusieurs livres bibliques. Avant le commencement par l’annonce de la bonne nouvelle, avant Jean le Baptiste, il y a le cri des prophètes Malachie et Esaïe ; et bien avant les prophètes il ya le livre de l’exode, également cité ici dans sa traduction en grec, avec derrière Moïse la première traversée du désert par un peuple cherchant une terre où vivre librement sa relation au Dieu unique. Ça n’a pas d’importance que les citations soient « exactes » ou non, Marc n’est pas en train d’écrire un dictionnaire. Il nous montre que les textes bibliques communiquent entre eux, qu’ils prennent un sens différent en fonction des événements, un sens qu’on reconnaît quelquefois après coup. Cette citation rafistolée devient un autre texte, une parole dans laquelle on entend le Père parler au fils « J’envoie devant toi mon messager » – une parole qui est encore à l’origine du commencement. 

Et non seulement ce commencement se nourrit de la parole des prophètes, mais, et je terminerai par là, le commencement qui nous est annoncé passe par le dernier prophète. Jean, le dernier prophète et le premier témoin (et n’oublions pas qu’en grec témoin se dit martyr), Jean qui a fait le choix de s’habiller comme le prophète Elie et de vivre en marge du monde civilisé, Jean dont personne n’entend les cris car quand on crie dans le désert personne ne vous entend, personne ne vous répond. La voix qui crie dans le désert pourrait être désespérée, mais elle participe à l’heureuse annonce, elle nous permet de vivre cette annonce au cœur de nos déserts intérieurs. Et de même, le baptême que propose Jean, ce n’est pas une petite purification rituelle dans un bassin, non, il a choisi un lieu chargé de sens, un lieu prophétique lui aussi : le Jourdain est un lieu de mémoire biblique, le lieu du passage, la frontière entre le désert de l’errance et la terre de la promesse. Jean est un homme entre deux mondes, un homme à qui nous ressemblons par certains aspects ; il annonce les temps nouveaux, mais il le fait avec les mots des temps anciens : « Celui qui vient est plus puissant que moi, je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales. » A cette époque tous les serviteurs délient les sandales de leur maître quand il rentre et lui lavent les pieds. Jean est un homme des temps anciens, par ses vêtements mais surtout parce que pour annoncer Jésus il utilise les mots de maître, esclave, plus puissant que moi – nous savons que ces mots ne sont pas ceux de Jésus, au contraire, rappelez-vous : « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis. » Mais par sa proclamation, Jean est surtout le prophète des temps nouveaux, l’homme du commencement d’une nouvelle relation à Dieu, cette relation que nous recherchons parce qu’elle donne un sens à notre vie. Jean est l’homme qui fait jaillir l’eau du baptême au milieu du désert, l’homme qui annonce qu’au cœur de tous nos déserts intérieurs Christ vient encore et toujours faire jaillir l’espérance.