Prédication du 7 juillet 2024
de Dominique Imbert-Hernandez
Confiance
Lecture : 2 Corinthiens 1, 1-9
Lecture biblique
2 Corinthiens 1, 1-9
1 Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, et le frère Timothée, à l’Eglise de Dieu qui est à Corinthe, et à tous les saints qui sont dans l’ensemble de l’Achaïe :
2 Grâce et paix à vous de la part de Dieu, notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ !
3 Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de toute magnanimité et le Dieu de tout encouragement,
4 lui qui nous encourage dans toutes nos détresses, afin que, par l’encouragement que nous recevons nous-mêmes de Dieu, nous puissions encourager ceux qui sont dans toutes sortes de détresses !
5 De même, en effet, que les souffrances du Christ abondent pour nous, de même aussi notre encouragement abonde par le Christ.
6 Si nous sommes dans la détresse, c’est pour votre encouragement et pour votre salut ; si nous sommes encouragés, c’est pour votre encouragement, pour que vous ayez la force d’endurer les mêmes souffrances que nous.
7 Et notre espérance à votre égard est ferme, car nous le savons : comme vous avez part aux souffrances, vous avez part aussi à l’encouragement.
8 En effet, frères, nous ne voulons pas que vous ignoriez la détresse que nous avons connue en Asie : nous avons été accablés à l’extrême, au-delà de nos forces ; nous désespérions même de rester en vie.
9 En nous-mêmes, nous avions accepté notre arrêt de mort ; c’était pour que nous ne mettions pas notre confiance en nous-mêmes, mais dans le Dieu qui réveille les morts.
Prédication
Voici deux semaines lors du culte musical, nous avons médité quelques textes des Écritures autour de l’espérance. Pour aujourd’hui, nous regardons de l’autre côté du temple, un autre mot : confiance, inscrit comme un pilier à la fois de l’Église qui se réunit ici et ailleurs et de la vie personnelle de chacun, de chacune. Confiance, pas plus qu’espérance, n’est donc un mot enfermé entre ces quatre murs, c’est un mot pour sortir du Foyer, un mot à emporter autant qu’un mot porteur tant il vrai qu’il fait partie de ces mots dont un poète disait qu’ils sont des mots qui font vivre.
Alors en ces jours, en ce jour d’élections où se mêlent la peur de ce que pourrait être ce soir, demain, le visage de notre pays à nos yeux et aux yeux du monde, l’espoir que le pire puisse être évité et quelques résolutions selon le résultat des urnes, il n’est pas superflu de poser sur ce mélange la confiance. Il n’y a là aucun optimisme, ni de prière à un « Dieu qui y pourvoira », aucune intention d’estomper l’épreuve. Mais la conviction profonde que vivre a à voir avec la confiance, vivre selon la vocation qui est celle de l’humain puisqu’être né ne suffit pas.
Paul a eu à traverser une épreuve extrême, une détresse extrême, au-delà de ses forces : nous désespérions de rester en vie, en nous-mêmes, nous avions accepté notre arrêt de mort. L’apôtre rapporte rapidement, plus loin dans l’épitre ce qu’il a eu à endurer au long de son ministère : les naufrages, la faim et la soif, les bandits, et les persécutions : coups, lapidation, emprisonnement. Paul s’est retrouvé plusieurs fois en danger de mort. En Asie, il a pensé que c’était la fin. Nous ne savons pas précisément à quoi l’apôtre fait allusion. Le livre des Actes mentionne de son côté qu’à Éphèse, où il est resté près de trois ans, Paul s’est trouvé en butte à des complots de certains membres de la synagogue et à une importante émeute provoquée par des artisans liés au culte de l’Artémis d’Éphèse et craignant que la prédication de l’Évangile ne détourne trop de monde de la déesse, une émeute pour cause de chiffre d’affaires.
Paul reste très discret dans ce passage ; il en dira plus, dans l’autre lettre car 2 Co est composée de deux lettres assemblées. Il en écrira plus seulement parce que le conflit avec les Corinthiens s’envenime.
En nous-mêmes nous avions accepté notre arrêt de mort, c’était pour que nous ne mettions pas notre confiance en nous-mêmes, mais dans le Dieu qui réveille les morts. Dans la détresse extrême, au-delà de ce qu’il peut supporter, Paul fait face à la mort, parce qu’il n’a plus de force pour supporter l’épreuve et qu’il ne voit pas d’issue. Cette détresse c’est aussi l’angoisse, le terme grec renvoie à un passage resserré, tellement resserré que l’air ne passe plus, que le souffle est étranglé. Si la mort n’est peut-être pas le pire pour Paul, c’est quand même la fin de sa vie entièrement consacrée à l’annonce de la Bonne Nouvelle. L’acceptation de la mort, ni optimisme, ni espoir, ni déni, parce qu’il n’a plus de force ni de ressource, ne lui laisse plus que la confiance en Dieu, non pas pour être sauvé par une intervention divine, mais parce que devant la mort, Paul fait l’expérience de l’impuissance et du dénuement les plus extrêmes. Il n’a plus rien que la confiance en Dieu. A ce moment où il voit la mort arriver, il n’est plus que par et dans sa confiance en Dieu. Le mot traduit par confiance dans la lettre de Paul, ce n’est pas le mot « foi » en grec. De même qu’il n’est pas inscrit « foi » sur le mur du Foyer de l’Âme, mais « confiance ».
Bien sûr, vous direz avec raison que la foi est une confiance, une confiance extrême, fondamentale et essentielle. Elle est la confiance en Dieu qui fait vivre, Dieu qui réveille les morts écrit Paul.
Mais dans le texte, sur le mur, il est question non de foi mais de de confiance. Je ne sais pas pourquoi Charles Wagner a choisi confiance plutôt que foi. Mais j’aime à penser que le pasteur qui se souciait tant d’humanité voulait faire considérer à l’assemblée au Foyer de l’Âme à quel point l’humanité tient à la confiance. A quel point être humain, cultiver son humanité passe par la disposition à la confiance dans tous les domaines où celle-ci s’exerce.
Il y en a au moins quatre : la confiance en la vie, la confiance en autrui, la confiance en soi et la confiance en Dieu, celle qui est foi et qui n’est pas sans répercussion sur les trois autres.
- La confiance en la vie, c’est ce qui nous fait nous lever le matin et commencer notre journée en dépit des risques, par exemple un accident ou une maladie. Cette confiance peut être ébranlée et peut être détruite pour qui est obligé de fuir sa maison bombardée, pour qui est arraché à sa vie, prisonnier ou otage d’un groupe hostile, pour qui est soumis à une catastrophe naturelle ou aux effets du dérèglement climatique.
- La confiance en autrui nous vient de l’expérience qu’autrui tient parole, n’abuse pas de ses avantages à notre détriment, fait preuve de discrétion et de discernement quant à ce qu’il sait à notre sujet. Cette confiance est fragile car elle peut être déçue, trahie, et nous nous retrouvons blessés, en colère, parfois en proie à l’amertume et au ressentiment destructeur. Cependant, cette confiance donnée et reçue est véritablement créatrice : elle a de l’effet sur qui la reçoit, sur qui la donne, un effet de grandissement, d’élargissement, d’émerveillement, de gratitude.
- Ainsi la confiance en soi vient de la confiance donnée, la confiance qui nous est témoignée. Nous avons confiance en nous parce qu’on nous a fait confiance. Cette confiance peut manquer, être minée, être détruite par de mauvais traitements subis, à tout âge, et le travail pour la reconstruire est toujours long. La confiance en nous n’est pas fonction de nos qualités ou de nos compétences : elle vient d’ailleurs, d’autres que nous. Elle n’a rien à voir avec l’orgueil, la suffisance, l’ambition, mais plus avec le courage d’être soi et d’aller au-delà de soi.
- La confiance en Dieu, la foi, signifie que celui ou celle qui croit reconnaît en Dieu le créateur de la vie, de l’amour et de la liberté, celui qui les donne parce qu’il est lui-même vie, amour et liberté. Celui ou celle qui reçoit vie, amour et liberté est ainsi reconnu/e : c’est pour toi car c’est toi, unique et précieux. Cette reconnaissance de l’être, c’est un jugement, mais pas un jugement qui condamne, c’est un jugement qui fait exister et c’est la justice de Dieu.
A son tour, celui ou celle qui croit reconnaît en Dieu le Dieu vrai qui donne la vie véritable, une reconnaissance qui est la somme de la gratitude et de la connaissance : Dieu est amour, écrit l’auteur de la première épître de Jean ; là où est l’Esprit de Dieu, là est la liberté, écrit Paul aux Corinthiens (2 Co 3,17). La foi, c’est un double mouvement de reconnaissance et la reconnaissance est toujours créatrice de vie, elle est toujours du côté de la vie.
C’est pourquoi la confiance qu’est la foi irrigue les trois autres formes de confiance qui construisent l’humanité de l’humain. La foi les précise et les vivifie.
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- La foi élargit la confiance en la vie au-delà du fait d’être vivant dans la dimension spirituelle qui fait que l’humain est corps et esprit intimement liés, présent et agissant dans le monde
- La foi invite à reconnaître en chacun et chacune une personne reconnue de Dieu, non pour une confiance aveugle mais pour une disposition à la confiance capable de ressusciter
- La foi assure la confiance en soi dans un lieu inaltérable : la confiance de Dieu en chacun et chacune, non pour que nous nous surestimions par orgueil ou vanité, mais parce que rien ne peut amoindrir l’amour de Dieu pour nous ni réviser son jugement de reconnaissance qui nous fait devenir vivant pour la vie.
Et ce même devant la mort, même dans la détresse la plus angoissante comme celle que Paul a traversée en Asie. Paul ne s’en est plus tenu qu’à Dieu parce que c’est Dieu qui le tenait. Le Dieu qui réveille les morts est le Dieu créateur et libérateur qui suscite la vie et la vie en réponse, c’est-à-dire en responsabilité, même quand il n’y a pas d’espoir.
Ce que Paul a gardé de cette épreuve, ce n’est pas de la rancune, ce n’est pas de l’amertume, ce n’est pas une volonté de vengeance, ce n’est pas de la détestation pour ce ou ceux qui l’avaient conduit à cette extrémité. Paul ne devient l’ennemi de personne, il n’entre pas en guerre. Pourtant il avait de quoi avoir peur, il avait de quoi être en proie à la haine. Mais Paul ouvre une autre voie et pas seulement pour lui, il l’ouvre pour les Corinthiens et nous en bénéficions également.
La foi qui fonde l’humain en Dieu et non en lui-même donne un espace, un espace par rapport à soi, un espace dans le rapport à soi-même qui n’est plus alors ce que Paul désigne comme la vie selon la chair c’est-à-dire fondée sur soi, mais un rapport distancé et critique, la vie selon l’Esprit, c’est l’expression de Paul. Dans cette autre manière d’être et de vivre, la reconnaissance est à l’œuvre, elle est même à la manœuvre en créant un accroissement d’être et de vie qui n’est pas replié sur soi, qui n’est pas limité à soi.
Lorsque nous éprouvons de la reconnaissance pour ce que nous avons reçu, nous sommes transformés, et notre manière d’appréhender le monde l’est aussi et notre manière de vivre également. Et parce que la reconnaissance est articulée à la confiance, notre capacité à la confiance est augmentée, c’est-à-dire notre ouverture d’être à autrui, à la vie qui vient et à ce qu’elle porte. Alors même aux temps d’épreuve, d’angoisse, il est possible de discerner ce que la vie, les circonstances, celles et ceux qui sont là peuvent attendre de nous. Il ne s’agit pas d’attendre quelque chose de la vie, des circonstances ou d’autrui, mais de chercher ce qui est juste, agir selon ce qui est juste, selon ce qui va vers la vie, l’amour, la liberté.
La confiance, c’est le point d’appui sur lequel la vie se construit et se développe, la vie vivante et lorsque vient une crise, une peur, une adversité, il nous est possible de résister à la tentation de devenir ou de fabriquer un ennemi, résister à la tentation du sacrifice d’autrui considéré comme le bouc émissaire des angoisses. Il nous est possible de nous tenir en attention, en vigilance, et pour le dire avec un autre mot que Paul emploie abondamment dans ces quelques lignes, en encouragement.
L’encouragement envers celles et ceux qui sont en affliction, en détresse, en angoisse.
Paul s’adresse aux Corinthiens, à des croyants, mais nous croyons que la manière d’être et de vivre renouvelée dans la foi et la confiance, cette manière n’est pas réservée aux relations avec les croyants, aux relations dans une communauté de foi ou avec des proches. Cette manière de vivre se vit dans le monde, avec tous et toutes autour de nous.
Par la confiance que nous avons reçue et qui se déploie grâce à la confiance de Dieu en nous, la confiance d’autrui en nous, nous sommes encouragés et nous pouvons encourager. Encourager, ou encore exhorter, ou encore consoler, le terme grec enveloppe tout cela avec aussi l’avocat, celui qui se tient auprès de qui a besoin d’aide. Le terme d’encouragement traduit bien l’élan de vie, pour la vie malgré l’adversité : vas-y, allons-y. L’encouragement vient à travers une voix qui appelle et réveille, relève, il vient à travers une présence assurant une reconnaissance qui n’est pas forcément approbation mais toujours justification d’être. L’encouragement est déjà un témoignage de confiance.
Paul insiste sur cette dynamique divine et créatrice qui commence en Dieu et quiconque a reçu cette reconnaissance/confiance/encouragement de Dieu devient à son tour source de reconnaissance/confiance/encouragement pour d’autres. Nous comprenons bien que cela est profondément en lien avec la grâce, avec la justification par grâce, l’encouragement en est un fruit, une facette miroitant largement dans l’humanité, dans l’humanité de l’humain. Car il ne s’agit pas d’encourager à faire ceci ou cela, à prendre tel ou tel parti, à se diriger de tel ou tel côté, mais à vivre de vie vivante. Il s’agit d’encourager à discerner, à ressentir le désir de la vie vivante. Ce sera toujours au risque de n’être pas entendu ; c’est que l’encouragement, comme la reconnaissance est absolument incompatible avec la volonté de puissance.
Et nous nous souvenons de celles et ceux dont l’existence, la parole, la main, le soin nous ont encouragés, consolés, dans les ténèbres ou le brouillard ; celles et ceux qui ont, pour nous, ravivé, relayé l’appel de Dieu dans le brouhaha du monde, dans la cacophonie du temps. Nous nous souvenons d’un amour, d’une amitié, d’un regard croisé, de quelques notes de Bach ou de quelques lignes d’un poème qui nous ont soulagés de la culpabilité, de l’absurde, de ce qui fige et dévitalise (comme la mort), nous donnant à nouveau de goûter notre propre singularité reliée à plus qu’elle.
Et puisque nous avons remonté le texte de Paul de la confiance et confiance en Dieu à la détresse, à l’encouragement, nous voici à la bénédiction : Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de toute magnanimité (bonté) et le Dieu de tout encouragement. Cette bénédiction résonne comme une louange, ce qu’elle est en réponse à la grâce, à la reconnaissance, à la confiance.
L’épreuve n’empêche pas la louange et aujourd’hui, et demain, la louange et la bénédiction diront ce qui fonde notre humanité, malgré tout.