La cantate Christum wir sollen loben schon fut donnée à Leipzig le lendemain de Noël 1724. Cette année marquait les deux cents ans des premières éditions des recueils de chants d’église de Luther, étape capitale dans la diffusion de sa doctrine. Une des convictions du prédicateur était d’offrir un accès direct aux textes fondateurs : Christum wir sollen loben schon – appelé à devenir l’un des plus importants chants de Noël protestants- est la traduction en allemand d’un chant du Ve siècle, a solis ortus cardine.
Trois cantates se succédaient les 25, 26 et 27 décembre et il faut sûrement prendre en compte la nécessité pour Bach de varier le traitement musical dans une série aussi serrée.
Si, comme la veille avec Gelobet seist du Jesu Christ BWV 91, le compositeur choisit un hymne de Luther comme épine dorsale de sa cantate, il donne à celle-ci une sonorité beaucoup plus archaïsante. Le chœur initial et le choral final sont nimbés de la sonorité des sacqueboutes, halo lumineux qui évoque immanquablement le passé d’un moment fondateur.
Ce moment, c’est celui de la crèche, la première église, le lieu du premier contact entre l’homme et ce Dieu sur terre qu’il vient adorer.
L’instant n’est pas regardé comme anecdote, avec bétail et rois mages, mais comme un épisode symbolique. La cantate est toute entière invitation à louange et méditation.
Le premier chœur est conçu dans le style ancien de Palestrina, compositeur italien contemporain de Luther. C’est un contrepoint rigoureux chargé de révérence. Les trois voix basses et les instruments préparent à quatre reprises l’énoncé par les sopranos de l’hymne de Luther.
L’air de ténor rompt avec ce style. On fait un bond de deux siècles jusqu’à l’opéra italien !
Pourtant, l’utilisation du hautbois d’amour qui dialogue avec la voix préserve un caractère ancien. La couleur instrumentale est «indexée» à l’instant biblique de la Nativité, mais le texte invite le paroissien à prendre la mesure du miracle, à s’émerveiller seulement, tant ce miracle dépasse l’entendement humain.
La merveilleuse guirlande du hautbois s’achève en solo par une figure descendante, comme une image sonore de la venue sur Terre. Il est amusant d’observer qu’une autre conclut le récitatif d’alto suivant : une inflexion vocale, dans un enchaînement harmonique surprenant, à l’égal du miracle de l’incarnation.
Inutile de vouloir débusquer cet effet dans l’air de basse : il est zébré en tous sens d’émotion et de palpitation. Là aussi, on imaginerait tout à fait cette musique dans un opéra. Le texte fait référence à l’épisode biblique de la Visitation -Marie enceinte de Jésus rend visite à sa cousine Elisabeth enceinte de Jean-Baptiste, prophète qui baptisera le Christ dans le Jourdain, qui s’anime aussitôt dans le ventre de sa mère.
Le dernier récitatif est toute stupéfaction : un dieu vraiment peut-il ainsi se faire si vulnérable pour sauver les hommes ? Appel à la louange qui se déploie rayonnante dans le gloria final de l’hymne de Luther.
Christian Leblé
La présentation complète de chaque cantate jouée dans ce cycle au temple du Foyer de l’Âme est accessible sur le site Les Cantates.