La Route
Par Lina Propeck
La route du nord.
L’un de ces « chemins du Roi » construits sous Salomon dit-on.
Route pavée de pierres noires. Poussiéreuse. Brûlante.
Au loin, ce voyageur.
Il vient de la verdoyante Galilée n’est-ce pas ?
Oui. Il va à Jérusalem la bruissante, l’odorante, la colorée.
Mais à cet instant c’est de Béthanie qu’il est proche.
S’arrête.
Descend vers la fraîcheur du Jourdain.
Pose son sac de grosse toile sur un rocher.
S’assied.
S’assied l’Homme de Galilée.
A l’ombre s’assied.
Et regarde, en bas, sur le rivage, ces hommes, ces femmes, cet étrange personnage que tous entourent.
C’est le Baptiste ! L’homme du désert n’est-ce pas ?
Oui.
Tel un roc. Il est debout dans le Jourdain. Une femme gravement descend vers lui, entre dans l’eau, se saisit de son bras noueux. Lentement, il l’immerge. Lentement, il la relève. Puis la suit du regard tandis que titubante elle s’éloigne et, dans ce mouvement qu’il fait pour l’accompagner du regard, lève la tête.
Le voit.
Au-delà de tous le voit, lui, le Nazaréen assis, là haut.
L’homme se lève ?
Oui. Se lève. Ôte ce très long turban de coton blanc qui enserrait sa tête et le protégeait du soleil. Le dépose à terre, à côté de son sac, ses sandales, sa ceinture, son manteau blanc rayé de brun.
Le Baptiste monte vers lui. Nul mot. Il tend sa main grande ouverte et l’homme de Galilée y dépose la sienne. Rugueuse main de charpentier. Tous deux descendent. Entrent dans l’eau où Jean plonge l’homme qui s’abandonne à l’eau puis se redresse.
Debout, les deux hommes sont.
L’un à l’autre, soudés.
Mains et bras soudés.
Se regardent les deux hommes.
Intensément.
Bien au-delà d’eux-mêmes, se regardent.
Ils entendent.
Bien au-delà d’eux-mêmes, ils entendent.
Se dit, à cet instant, la Divine Adoption.
Dénouent leurs mains, leurs bras.
Se séparent.
Enfin, se séparent
L’homme de Galilée remonte sur la grève. Reprend son sac de voyageur, ses vêtements.
S’éloigne.
Loin de tous, s’arrête.
Sa tête. Ses membres. Son corps. Son être tout entier lui est devenu étrange. Seule, cette brûlure l’habite. Oui, en lui, seule demeure cette brûlure et ce message : «En toi je me suis complu ».
Quel est ce message ?
Quel est ce pouvoir donné ?
Quelle est cette tentation offerte ?
A lui ?
Lui, le charpentier de Nazareth qui montait à Jérusalem ?
Mais il n’est rien ! Rien qu’un homme !
Vient, le souffle.
Effleure son visage, le souffle.
Pénètre son corps.
Le pouvoir ?
Oui le pouvoir.
Ce pouvoir de l’amour ineffable.
Ce pouvoir d’aimer jusqu’au Pardon.
Jusqu’au Pardon face à l’horreur.
Ce pouvoir d’aimer jusqu’au Pardon de l’horreur-même.
Se lève l’homme de Galilée. Le Juste.
Remet ses vêtements.
Poursuit sa route vers Jérusalem.
Il dormira ce soir dans l’enclos du pressoir à huile.
Oui, ce soir, il dormira à Gethsémané.
Il est attendu.