Prédication du 30 juin 2019
de Catherine Axelrad
Lectures
Psaume 121
Je lève les yeux vers les montagnes.
D’où le secours me viendra-t-il ?
Le secours me vient du Seigneur,
qui fait le ciel et la terre.
Il ne te laissera pas vaciller sur tes jambes ;
celui qui te garde ne sommeille pas.
Non, il ne sommeille ni ne dort,
celui qui garde Israël.
C’est le seigneur qui te garde,
le Seigneur est ton ombre à ta droite.
Le jour, le soleil ne te frappera pas,
ni la lune pendant la nuit.
Le Seigneur te gardera de tout mal,
il gardera ta vie ;
le Seigneur te gardera lorsque tu sortiras et lorsque tu rentreras,
Dès maintenant et pour toujours.
Psaume 112 (versets 1 à 6)
Louez le Seigneur !
Heureux l’homme qui craint le Seigneur,
qui trouve un grand plaisir dans ses commandements !
Sa descendance sera vaillante dans le pays,
la génération des gens droits sera bénie.
Il a dans sa maison des biens et des richesses
et sa justice subsiste à jamais.
La lumière se lève dans les ténèbres pour les gens droits,
pour celui qui est clément, compatissant et juste.
Il est bon qu’un homme fasse grâce et qu’il prête,
qu’il règles ses affaires équitablement !
Car il ne vacillera jamais ;
le souvenir du juste dure toujours.
2 Corinthiens 4, versets 1 à 12
Dès lors, puisque nous avons ce ministère selon la compassion dont nous avons été l’objet, nous ne perdons pas courage. Nous refusons les secrets de la honte ; nous ne nous comportons pas avec ruse et nous l’altérons pas la parole de Dieu. Au contraire, en rendant la vérité manifeste, nous nous recommandons nous-mêmes à toute conscience humaine devant Dieu. Si cependant notre bonne nouvelle est encore voilée, elle est voilée pour ceux qui vont à leur perte – pour les gens sans foi dont l’intelligence a été aveuglée par le dieu de ce monde, de sorte qu’ils ne voient pas resplendir la bonne nouvelle de la gloire du Christ, qui est l’image de Dieu.
En effet, ce n’est pas sur nous-mêmes que porte notre proclamation : nous proclamons que Jésus-Christ est le Seigneur et que nous-mêmes sommes vos esclaves à cause de Jésus. Car le Dieu qui a dit : « Du sein des ténèbres brillera la lumière » a brillé dans notre cœur, pour que resplendisse la connaissance de la gloire de Dieu sur le visage du Christ.
Mais nous portons ce trésor dans des vases de terre, pour que cette puissance supérieure soit celle de Dieu et non la nôtre. Nous sommes pressés de toutes manière, mais non pas écrasés ; désemparés mais non pas désespérés ; persécutés, mais non pas abandonnés ; abattus, mais non pas perdus ; nous portons toujours avec nous, dans notre corps, la mort de Jésus, pour que la vie de Jésus aussi se manifeste dans notre corps. Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, pour que la vie de Jésus aussi se manifeste dans notre chair mortelle. Ainsi, en nous, c’est la mort qui est à l’œuvre, mais en vous, c’est la vie.
Prédication
A l’occasion de ce culte d’au-revoir, je voudrais commencer par vous dire qu’en préparant cette prédication, j’ai eu une bonne surprise et je voulais la partager avec vous. Je cherchais l’origine de la citation qu’on vient d’entendre – un peu transformée par Paul – « La lumière se lève dans les ténèbres » – je l’ai trouvée dans le psaume 112, mais la bonne surprise c’est que dans ce même début de psaume j’ai retrouvé une phrase que je connaissais et dont je cherchais depuis longtemps dans quel psaume elle se trouvait. Cette phrase, c’est : « Le souvenir du juste restera pour toujours ». Je connaissais cette phrase bien avant de connaître les psaumes, parce qu’elle est citée au début du film documentaire sur le Chambon sur Lignon pendant la 2ème guerre mondiale – c’est un film qui s’appelle « Les Armes de l’Esprit », je suis sûre que plusieurs d’entre vous le connaissent. Pierre Sauvage est né au Chambon sur Lignon à la fin de l’année 1944, et dans les années 80 il a consacré un film à ce village protestant aujourd’hui célèbre, un village de 900 habitants où 5000 personnes d’origine ou de confession juive ont été cachées et hébergées – parmi ces personnes il y avait les parents de Pierre Sauvage, et il y avait aussi mon père, même s’il ne l’était pas encore puisqu’il n’avait que 17 ans. Je vous passe les détails de mon histoire familiale, mais c’est bien cette histoire qui m’a permis plus tard de découvrir à la fois le Chambon, le film, la citation du psaume 112, les psaumes en général, et encore beaucoup plus tard, selon la compassion dont nous avons été l’objet, comme dit Paul, le protestantisme et même le ministère qui permet de ne pas perdre courage.
Alors je vous propose simplement ce matin de nous demander s’il est vraiment possible de ne pas perdre courage, et comment le ministère peut nous y aider. En fait la 2ème lettre de Paul à l’église de Corinthe est la quatrième qu’il leur écrit, mais il ne nous en reste que deux car certaines de ces lettres ont été perdues. Ce chapitre 4 de ce qu’on appelle donc la 2ème lettre aux Corinthiens est un des plus riches de l’apôtre Paul, un des plus personnels aussi – quand il parle de la compassion dont il a été l’objet, il parle de cette rencontre sur le chemin de Damas, ce moment auquel nous avons réfléchi ensemble en mai – cette rencontre, ou cette vision qu’il a vécue comme une expérience d’éblouissement, d’anéantissement et de renaissance, et qui a immédiatement fait de lui un ministre du Christ. Ce moment, on a l’habitude de l’appeler la conversion de Saul, ou de Paul, sur le chemin de Damas – alors que Paul, et c’est très important même si je n’ai pas le temps d’en parler aujourd’hui, Paul n’utilise jamais le mot de conversion pour parler de cette expérience. Ceux d’entre vous qui étaient présents le jour où j’en ai parlé se souviendront peut-être que nous avons lu ce texte en parallèle avec un extrait de la lettre aux Romains – nous l’avons lu comme le récit d’un moment fondateur de toute la théologie paulinienne, et fondateur en particulier d’une théologie de la justification, cette théologie qui sera plus tard reformulée par Luther et tous les Réformateurs comme celle de la justification par la foi. Aujourd’hui, pour notre dernier culte ensemble, en tous cas dans l’immédiat, puisque cette expérience a immédiatement fait de Paul un ministre – un serviteur – du Christ, je voudrais juste essayer d’aller un peu plus loin, de regarder comment on peut le vivre – mais avant tout il me semble nécessaire de préciser que ce ministère, c’est très clair dans le texte, nous en sommes tous porteurs. Ce ministère, c’est-à-dire ce service, ce n’est pas une option destinée à quelques personnes qui seraient spirituellement surdouées, c’est une conséquence naturelle et d’une certaine manière inévitable de la grâce reçue, reconnue et acceptée. Bien sûr pour Paul ce ministère passe d’abord par la proclamation et il le vit de manière toute particulière, pour plusieurs raisons – la première c’est que ce ministère lui vaut des persécutions bien réelles et beaucoup de souffrances – des souffrances intérieures, mais aussi des souffrances dues à son caractère entier – car ce caractère qui ne lui a pas valu que des amis – notre conseiller presbytéral Didier a publié dans le dernier n° de l’Amitié un article très intéressant sur les amis de Paul, mais il pourrait en écrire un autre l’été prochain sur les ennemis de Paul, ils ne sont pas tous nommés mais il y en a tout autant, voire plus ! Et parmi ces souffrances qui frappent Paul dans ses divers lieux de résidence ou de détention, il y a le fait qu’après avoir fondé l’église de Corinthe, une église dont la vie se développait librement, indépendamment des contraintes de la loi juive, après en être parti avec le sentiment du devoir accompli, Paul a appris que cette église de Corinthe était en train de passer sous l’influence d’autres prédicateurs – des prédicateurs plus traditionnalistes, qui ont profité de son absence pour l’accuser, lui, de n’avoir pas respecté les Écritures, d’avoir avec fourberie « tordu les saintes écritures de l’ancienne alliance » – des prédicateurs qui ont remis en cause sa lecture de l’Ancien testament à la lumière de l’événement christique. Alors bien sûr, ici et maintenant on pourrait penser que ces querelles de prédicateurs sont exagérées ou disproportionnées, mais on aurait tort. Si en matière théologique ou ecclésiale les gens sont facilement prêts à s’étriper mutuellement, et l’ont souvent fait d’ailleurs, c’est parce que dans ce domaine tout est non seulement signifiant mais fondamental. Quand Paul écrit ou dicte sa lettre, aucun des évangiles que nous connaissons n’est encore écrit, les premiers le seront seulement vingt ans plus tard, autour des années 70 – l’évangile dont il parle c’est simplement « l’annonce », l’annonce de la bonne nouvelle ; pour Paul la bonne nouvelle, c’est celle de la nouvelle alliance, la nouvelle alliance en Christ, et ce qui est en jeu derrière ces accusations plus ou moins directes, c’est tout simplement l’universalité de la foi chrétienne. Et donc Paul se défend, et en se défendant il dit des choses essentielles.
J’en retiendrai aujourd’hui deux :
La première c’est bien sûr l’image de ce trésor que nous portons dans des vases de terre, ou d’argile – c’est une très belle métaphore qui mérite qu’on y réfléchisse – de quel trésor s’agit-il au juste ? Essayons d’être précis : même si Paul est le seul apôtre qui n’a jamais connu Jésus, son expérience sur le chemin de Damas lui a permis de découvrir ce qu’il appelle la gloire de Dieu sur le visage du Christ, c’est-à-dire de découvrir, tout simplement, la divinité du Christ ; bien sûr, en ce qui nous concerne, nous avons rarement la même expérience, mais pour la plupart d’entre nous, si nous sommes ici, c’est parce que comme Paul, certes à notre manière et dans notre temps, mais avec la même exigence d’authenticité, nous recherchons quelque chose de la gloire de Dieu dans la personne du Christ. C’est cela le trésor, et même si nos mots recouvrent une spiritualité différente de celle de Paul, ce trésor nous aussi nous le portons dans des vases de terre, ou d’argile, c’est à dire dans des récipients fragiles, qui peuvent se casser à tout moment – mais ce que dit Paul c’est que cette fragilité est positive, car c’est précisément dans notre fragilité que la grâce abonde « pour que cette puissance soit de Dieu et non la nôtre ». Nous devons prendre conscience de notre fragilité, non pour chercher à devenir plus solides par nous-mêmes, ni bien sûr pour nous complaire dans une humilité stérile et quelque peu hypocrite, mais simplement parce que grâce à cette prise de conscience nous pourrons survivre – survivre, nous, c’est-à-dire notre foi, c’est-à-dire notre connaissance – ou disons aujourd’hui notre recherche – de la gloire de Dieu en Christ. Cette tension croyante, Paul l’exprime par un raccourci saisissant, par trois formules aussi fortes aujourd’hui qu’hier : la mort de Jésus, à cause de Jésus, la vie de Jésus. Il s’agit bien de tension et de survie : nous ne perdons pas courage, parce que le découragement serait beaucoup plus qu’une simple faiblesse passagère, ce serait le renoncement à l’espérance, donc à la vie – et pourtant ce renoncement nous le connaissons tous les jours – tous les jours, comme Paul, nous vivons le découragement, chaque jour notre recherche nous décourage – y compris notre recherche de justice humaine et notre impuissance dans ce domaine – chaque jour notre recherche nous associe à la mort de Jésus – mais chaque jour aussi la vie de Jésus se manifeste en nous – il ne s’agit pas d’une promesse pour l’avenir, il s’agit d’une dynamique reçue ici et maintenant.
Car l’autre point fondamental que je retiens de ce texte c’est que cette survie est rendue possible par la grâce reçue précisément dans cette tension permanente entre mort et vie, entre renoncement et courage, dans une permanente intranquillité ; cette intranquillité qui ne cesse, nous aussi, de nous mettre en mouvement et nous permet de ne pas perdre courage, c’est-à-dire de survivre spirituellement. Cette tension spirituelle crée en nous un espace très particulier – nous sommes pressés mais non pas écrasés – désemparés, mais non pas désespérés – persécutés mais non pas abandonnés – abattus mais non pas perdus – bien sûr cette série d’oppositions s’appliquent à des situations souvent bien réelles, des situations de persécutions ou d’emprisonnement réellement vécues par Paul – mais en même temps Paul nous dit qu’il existe en chacun et en tous un espace à la fois infiniment petit et infiniment grand – un espace de liberté intérieure et communautaire dans lequel notre ministère peut se développer dans la clarté, sans ruse, sans altération et surtout sans perdre courage. Car pour conclure, si nous recherchons dans ce texte comment ne pas perdre courage, comment garder dans notre cœur la lumière et la confiance – la lumière dont parle le psaume 112, la confiance dont parle le psaume 121 – n’oublions pas que Paul, qui n’a jamais peur de dire Je quand c’est nécessaire, s’exprime ici à la première personne du pluriel, en disant « nous », et je pense que ce n’est pas du tout un hasard s’il dit nous et non pas je. « Nous » qui avons ce ministère et ne perdons pas courage, nous qui portons dans des vases d’argile la gloire de Dieu découverte sur le visage du Christ – nous qui sommes réunis ici ce matin – Paul a défini cette tension croyante qui permet courage et survie avec un langage très personnel, mais grâce à ce « nous » il nous dit en même temps que cette tension relève de l’expérience commune à chacun.e et à tous. La mort de Jésus et sa vie sont présents chacun de nous, et donc en nous tous, et nous sommes appelés à vivre cette tension ensemble, selon la compassion dont nous avons été l’objet. La proclamation et le courage se vivent ensemble, et le ministère se conjugue au pluriel, dans ce que Paul a passé l’essentiel de sa vie à construire et à accompagner : l’Église.
Amen