CHRISTIANISME et PAUVRETE

Un article de Vincens Hubac

Certains, sans doute influencés par la théologie des « deux règnes », voient dans la diaconie une entreprise seconde par rapport à l’annonce de l’Evangile. Certes, cette annonce reste et restera la préoccupation des Eglises, mais la diaconie est liée à l’Evangile, elle est même l’Evangile annoncé.

Dans les Actes des Apôtres, la diaconie est la première institution de l’Eglise primitive, d’abord service des tables et aussi entraide auprès des veuves, elle est alors très modeste, ciblée et auto-centrée. La diaconie accompagne l’Eglise tout au long de son histoire.

Aujourd’hui, elle est plus que jamais à l’ordre du jour.

Nous verrons en chapitre I) le problème et en chapitre II) des réponses. Enfin, nous aborderons en III) la prédication de la Bible et l’agapé.

I – Le problème

La pauvreté a toujours existé. On est toujours le riche ou le pauvre de quelqu’un ! La pauvreté précède la misère car si la première peut encore être supportable malgré les difficultés qu’elle présente, la deuxième est une vraie catastrophe qui envahit tous les secteurs de l’individu. Pauvreté et misère sont d’autant plus insupportables qu’elles côtoient l’opulence.

Dans un monde globalement de plus en plus riche, la pauvreté reste problématique, injurieuse, énigmatique. Réjouissons-nous de voir les nations « émergentes » s’enrichir et sortir du sous-développement, Chine, Inde, Brésil, Indonésie, Mexique, Maroc… Près de quatre milliards d’individus sont concernés ! Ne soyons pas dupes : inégalités, exploitations, pollutions accompagnent ce développement dont le modèle est le modèle occidental, bien souvent critiqué pour son injustice. Mais beaucoup de pays piétinent aujourd’hui, près d’un milliard de gens vivent avec moins de 1 dollar par jour. Même en tenant compte des différences de genres de vie, ce dernier chiffre est odieux. Difficultés d’adaptation aux changements de nos sociétés modernes et, plus rarement, le problème massif des migrants, les guerres et régimes politiques dévoyés expliquent en partie cela sans l’excuser.

Dans nos pays, au sortir des trente glorieuses d’après-guerre au cours desquelles la croissance avait permis un recul de la pauvreté, nous avons vu apparaître une pauvreté aux visages de plus en plus complexes et variés : pauvretés psychologiques dues à des peurs, des angoisses, des cadences de travail rapides, de l’insécurité réelle ou supposée ; solitudes de plus en plus grandes et variées, déficit d’éducation et pauvreté culturelle, dépendances aux drogues, alcool, jeux, pauvreté de l’émigré qui fuit la guerre, la famine, ou des régimes politiques odieux, rejets géographiques, ghettoïsation, sexisme et esclavages modernes. Toutes ces pauvretés se combinent souvent entre elles formant des cercles vicieux qui entraînent l’individu dans la déchéance, l’exclusion, la perte d’identité et la perte de repères provoquant un effondrement intérieur. Nous sommes face à un problème complexe, humain et nous savons que la richesse financière n’est pas essentielle, gagner au loto ne résout pas la pauvreté.

La pauvreté est toujours imposée, jamais choisie (c’est encore plus vrai pour la misère). Seul celui qui est riche et n’a jamais été pauvre peut vanter la pauvreté. La pauvreté n’est pas non plus évangélique. Rappelons ici que Jésus avait un trésorier, il est vrai que c’est Judas, mais le fait est là. Une pauvreté choisie est assumée et le signe d’une grande richesse intérieure, il ne s’agit donc pas d’une pauvreté subie.

La pauvreté a une longue histoire.

Dans la Bible, le statut de la pauvreté est ambigu. Ce peut être une punition comme le suggère la réflexion de l’Evangile de Jean (Jean 9/2) à propos de l’aveugle : « Qui a péché ? lui ou ses parents ? » Il y a derrière cela une vision d’un Dieu juge. La pauvreté est aussi vue comme une fatalité. Ainsi, Job est victime d’un pari entre Dieu et Satan. Pas de sanction ici mais Job subit un évènement qui lui échappe. Quoi qu’il en soit, la Bible dénonce la pauvreté, surtout quand elle est le résultat de l’injustice. Amos, Osée, Isaïe entre autres n’auront de cesse de dénoncer cela. Dieu apparaît du côté des opprimés et lui-même sera identifié dans son envoyé, le Serviteur souffrant (Esaïe 53). Jésus s’inscrit dans ce débat.

Avec une certaine fidélité, l’Eglise s’est toujours intéressée aux pauvres depuis les pères de l’Eglise jusqu’à aujourd’hui.

A partir des mérovingiens, la déstructuration de l’Etat à partir des invasions jette sur les routes quantité de mendiants, malades, errants. Les équilibres sont précaires, les rendements faibles. Un grain de blé en donne 4 ou 5 ! Le moindre incident et c’est la famine. C’est une situation qui caractérise souvent le Moyen Age. La charité va s’organiser autour de l’Evêque et de la cathédrale comme en témoignent les « Hôtels Dieu ». St Martin (qui a partagé son manteau) devient très populaire à cette époque. Le pauvre acquiert un statut : il est à l’image du Christ. Il permet aussi de faire la charité et donc son Salut !

La rupture de 1348, après la « Renaissance médiévale » du 12ème, 13ème siècle.

La peste et la guerre de Cent ans créent de nouvelles précarités. La maladie va introduire la mort de manière massive dans l’Europe (et le monde). Entre un tiers et la moitié de la population va disparaître en quelques mois. Toutes choses égales, cela ferait aujourd’hui 250 millions de morts dans l’Union européenne ! La famine est là aussi. Plus de paysans et donc plus de nourriture ! Destruction sociale et mentale. Sorcellerie, danse macabre, enfers, purgatoires, antisémitisme, déviances religieuses caractérisent cette époque marquée en plus par la guerre de Cent ans ! …. Les pauvres réapparaissent, isolés ou en bandes. Toujours nombreux. Ils font partie du paysage, de la ville. Ils ont aussi un rôle important, un véritable statut : ils sont présents aux enterrements, accompagnent le mort, et prient pour le mort en échange de quelques sous ou de nourriture. Ils sont mentionnés à cet effet dans les testaments, permettant ainsi une ultime œuvre pour son âme !

L’hôpital fonctionne toujours avec l’aide de l’Etat royal. La table des pauvres accueille toujours plus les pauvres connus, qu’on aide régulièrement, les pauvres de la paroisse qui se font connaître grâce à leur « méreau ». C’est cette pauvreté représentée aussi sur les tableaux de l’époque : mendiants, malades, estropiés, que Calvin va rencontrer.

Les pauvres chez Calvin
A) Une situation voulue par Dieu

Dieu est Dieu en majesté. « Dieu, le père tout puissant, créateur du ciel et de la terre ».

La prédestination est en toile de fond. Elle explique une situation voulue par Dieu. Les pauvres doivent donc endurer leur situation en louant Dieu en toutes choses !  La chose nous semble cruelle aujourd’hui, mais elle tente d’expliquer la situation et de replacer les pauvres dans la société.

Qui sont ces pauvres ? A côté de ceux que le Moyen Age laisse en héritage au 16ème siècle, il y a les mourants qui retiennent l’attention et aussi les martyrs, nouvelle catégorie, qu’il faut accueillir. A ceux-là, Calvin ajoute ceux qui sont en butte à la pauvreté spirituelle (nous tous au final).

Les pauvres sont l’expression de la liberté de l’homme qui est servie, malgré le fait que Dieu donne les moyens de vivre. Ils rappellent la condition des hommes, leurs limites, le fait qu’ils soient pécheurs, cette condition « nous rabat le caquet ». Soyons donc patients et obéissants. Dieu veille sur ses enfants et les aide (sermon sur Job).

B) Mais un scandale

Malgré la prédestination, la pauvreté reste un scandale. C’est un paradoxe. D’abord il faut « aimer son prochain même s’il vous hait …. Vaincre le mal en faisant le bien » (sermon §5 sur Deutéronome). C’est un cadre. Il faut aimer même les pauvres.

Ensuite pour Calvin, « l’image de Dieu reluit dans celle des hommes ». Il y a donc un grand problème quand l’image de l’homme est dégradée.

Le corps est saint « Comme saint Temple de Dieu …. Que nos corps ne soient violés ou corrompus, puisque nos corps sont membres de Jésus-Christ » (manière de célébrer le mariage).

Dans « contre les libertins », Calvin souligne que nos biens sont comme la manne du désert : pendant l’Exode, Dieu a nourri son peuple par la manne déposée chaque matin. Faire confiance en Dieu impliquait le partage et la consommation de la manne, mais surtout par sa mise en réserve. La grâce de Jésus-Christ est semblable à la manne, toujours renouvelée, toujours communiquée et partagée avec le prochain.

Il en est de même pour tous nos besoins et biens auxquels Dieu « pourvoit ». Donc : « Celui qui n’a guère ne laisse point de remercier Dieu et manger son pain avec contentement » et « Celui qui a beaucoup employé la faculté qui lui est donnée à aider ses prochains et les subvenir ».

La charité est donc nécessaire pour éviter le scandale de la pauvreté. C’est une manière d’être liée à la volonté de Dieu. Elle n’est jamais une action pour obtenir le Salut, mais une conséquence de la grâce.

Le ministère diaconal
A) L’Eglise et l’Etat

Ne pas confondre Eglise et Etat (Zwingli), ni soumettre l’Etat à l’Eglise (Luther). Entre ces deux voies, Calvin cherche à définir le domaine de chacun (peut-être est-ce le début lointain de la laïcité, cf. Boissy d’Anglas, rédacteur en 1793 de la 1ère loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat !)

A l’Etat la justice, égalitaire et la même pour tous. L’Etat genevois sera sévère à l’encontre des riches et des puissants qui « exploitent » les pauvres.

Même si la pauvreté « déguisée » est poursuivie et réprimée. L’hôpital joue un rôle très important pour l’accueil des démunis.

NB : Calvin sera enterré comme un pauvre avec les pauvres, au cimetière de Plainpalais, à côté de l’hôpital.

A l’Eglise, les ministères : pasteurs pour la prédication, docteurs pour l’enseignement, anciens pour la discipline et diacres pour la charité (et le service des tables qui y est lié). Voir l’Institution chrétienne et le commentaire d’Actes 6. La diaconie est importante pour Calvin et tous doivent la pratiquer. N’écrit-il pas que les pasteurs même doivent avoir suffisamment de moyens pour exercer la charité ?

La prédication et la Charité sont liées. La diaconie est aussi l’expression du ministère laïc de l’Eglise. Elle est vécue pour tous et s’adresse à tous. Conclusion : autres temps, autres mœurs.

B) Deux réflexions

Il est toujours délicat de transposer les idées d’une époque à une autre, mais :

1) Le Moyen Age était arrivé à donner un statut aux pauvres, un rôle, une dignité, le calvinisme aussi. Image du Christ pour les uns, sous la protection de Dieu pour les autres, permettant l’exercice d’œuvres charitables, etc,… Le pauvre fait partie de la société, il est dans la société qui essaie de lutter contre la misère et l’injustice. Le pauvre n’est pas un « exclu », un « SDF ». Il y a une reconnaissance qu’il faudrait retrouver.

Malheureusement l’ère industrielle va créer un nouveau type de pauvreté. Les masses de prolétaires seront exclues des villes, marginalisées et destructrices. Ayant perdu leur statut de pauvre, leur salut va passer par l’action politique. Des canuts de Lyon à la Commune de Paris en passant par la création d’internationales, le 19ème siècle est marqué par cette misère ouvrière : « Caves de ville, on meurt sous vos plafonds de pierre » (Victor Hugo, cf. aussi Dickens,…)

L’Eglise est malheureusement assez absente du débat sauf à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème avec le Christianisme social, les missions populaires ou le mouvement du Sillon.

2) Le ministère diaconal doit être revisité.

La diaconie doit retrouver sa place dans nos Eglises comme ministère. Et comme ministère laïc par excellence lié au service des tables. La diaconie a un fondement laïc qu’il faut retrouver.

C) La pauvreté

Elle pose 3 problèmes qui sont humains :

1) Individuel

Elle est culpabilisante, accusatrice : « Pourquoi lui et pas moi ? Ma richesse, ma santé, ma culture sont-elles légitimes si l’autre n’a rien ? Et ma vie même est-elle légitime quand l’autre meurt ? Nous le savons lors des décès, surtout d’enfants. Dans de telles circonstances on entend des réflexions : « On aurait voulu mourir à leur place », « Etre là quand il le fallait », etc. …

Nous le savons lors de catastrophes quand les survivants ont un sentiment de culpabilité par rapport à ceux qui sont morts, c’est vrai aussi pour les rescapés des camps de la mort. Elle pose la question de notre finitude (on ne peut porter la misère du monde).

La pauvreté nous culpabilise ou le pauvre nous interpelle. Il est là, silencieux, pesant, discret mais insistant, on détourne le regard, on le voit mais on ne regarde pas. Le pauvre est transparent, mais il rend notre conscience opaque. Toutes les justifications sont avancées pour échapper à la rencontre « J’ai mes pauvres », « Je suis pressé », « Ce sont des truands », « Ils n’ont qu’à travailler » … On n’aide jamais assez. En fait, le pauvre renvoie son visage à notre propre image, à nos faiblesses, à nos hontes cachées, refoulées, à nos failles : le pauvre est un autre nous-même. Il dérange. On n’est jamais indifférent en fait, d’où une haine et un rejet du pauvre ou une compassion et une action en sa faveur. A l’inverse, la culpabilité peut aussi enfermer le pauvre dans une spirale d’où il ne peut sortir : « Pourquoi moi ? » « Qu’ai-je donc fait ? » …. Questions sans réponses mais qui n’aident jamais la victime dans son combat pour se sortir de la misère.

2) Collectif

La pauvreté remet en cause la société et la justice. Que vaut une société qui produit puis accepte en son sein une population vivant dans la pauvreté ou ne sait pas lutter contre la misère ? Que vaut une société qui accepte le développement de ghettos ? La pauvreté est accusatrice, elle montre les limites d’un système, alors le système la rejette à sa marge. La pauvre fille de l’injustice, de l’aveuglement des puissants créée des déséquilibres au final dangereux… Mais y a-t-il un système juste ? L’histoire nous apprend hélas, que la pauvreté a toujours accompagné l’opulence. Face à face inévitable ? Voire ! L’humanisme, nos démocraties et les progrès de la conscience morale (progrès peut-être pas si évidents) dénoncent l’injustice et tendent à la combattre … mais avec quels résultats ? Bien que l’entraide n’ait jamais été aussi importante.

3) Théologique

La pauvreté pose un problème théologique car elle pose le problème du mal : mal subit par le pauvre et mal que je fais subir par mes actes ou mes absences d’actes. La pauvreté apparaît comme absurde. Elle pose une question de sens et elle pose la question de l’existence de Dieu et si oui de quel Dieu ? Comment le Dieu tout puissant que nous confessons habituellement peut-il laisser faire de telles injustices? Certains diront que c’est une épreuve ou un signe de la liberté qu’il nous a donné et que nous utilisons mal ! Inconscience des souffrances telles que la pauvreté et l’exclusion, comment un Dieu que nous confessons comme un Dieu d’amour peut-il les laisser faire au nom de la liberté ou les imposer au nom d’une hypothétique mise à l’épreuve ? Le Dieu de la Bible est tout sauf sadique ou indifférent à l’injustice ! Il y a une porte ouverte à l’athéisme ou au moins, au rejet (cf. Françoise Smith et le blasphème !). Quelles réponses apporter ? A l’inverse, elle pose aussi le problème du bien.

II – Des réponses ?

Face à l’ampleur du problème et si on pose comme définition de la religion la relation qu’il y a entre le « ciel » et le « monde d’ici-bas » et comment cette relation agit sur les hommes quant à leurs comportements individuels et collectifs, alors la question « Le christianisme face à la pauvreté » a toute sa pertinence.

Une question de sens

Celui qui plonge dans la misère, le désespoir, l’exclusion, plonge dans l’absurde, l’innommable. La religion est une réponse au mal. La religion, mais aussi certaines philosophies et certains idéaux politiques nomment le mal et proposent un système pour lutter contre l’absurde : le Karma, le péché, le destin. Nommer et esquisser un système de réponse c’est déjà donner du sens, c’est retirer du désarroi, c’est aussi un peu dominer  Nirvana, grâce, paradis, bénédiction … la religion essaie des réponses, donne de l’espoir. Elle tente d’expliquer avec plus ou moins de bonheur : volonté de Dieu pour les uns, résultat d’une vie antérieure pour d’autres. Pour le christianisme, la pauvreté qui accable l’individu en fait souvent une image du Dieu souffrant. Le pauvre est l’ami de Dieu, ce qui est vrai pour le Nouveau Testament, moins pour l’Ancien Testament où la richesse peut être le fruit d’une bénédiction (voir la fin du livre de Job par exemple). La pauvreté est souvent perçue comme le résultat d’une manifestation divine à la suite d’une faute. Dans tous les cas, le pauvre est aussi celui qui permet l’aumône, la solidarité, la compassion, … la bonne conscience aussi dans une certaine mesure. Le pauvre est celui qui permet une certaine accessibilité par les œuvres.

Rôles cruels dévolus aux pauvres, mais rôles malgré tout ! Ici se pose la question du sens et de la gratuité de nos gestes de solidarité !

Au Moyen âge on les aide, ils prient pour nous, ils sont là pour s’occuper des morts, ils sont une image du Christ !

Le christianisme a toujours donné un statut aux pauvres, ce qui est un grave problème aujourd’hui où l’exclu n’est plus rien, il est en dehors de la communion des humains, exclu, dehors, rejeté, ignoré, il n’est rien et c’est bien le problème des nouvelles pauvretés : un problème ontologique. Même les clochards ou les pauvres du village avaient un rôle social.

En célébrant un Dieu souffrant, ami des pauvres, juste, un Dieu de la grâce, en nommant le mal et en donnant un statut aux pauvres, l’Eglise intègre, nie l’exclusion, cherche à donner à tous une place et une dignité. Ici se pose le problème de la grâce, c’est une question de théologie.

Une question de théologie

La question centrale est ici la fin de la malédiction adamique et l’annonce de la Bonne nouvelle d’un Royaume fondé sur l’amour de Dieu. La diaconie illustre et dit la théologie de la grâce et de l’espérance. La pauvreté est une injure à l’humain, un signe du mépris, signe d’un paganisme ambiant. On sert une idole de puissance, on s’y projette et on se prend pour Dieu; de fait, la peur, le mépris et le rejet des autres s’installent. En revanche, servir Dieu révélé dans l’Ecriture, c’est faire confiance et voir les autres comme des frères.

6 points seront abordés.

A) La fin de la malédiction adamique

Les Evangiles et les Actes relatent de nombreux récits de guérison et d’accueil de gens rejetés : paralysés, aveugles, lépreux, prostituées, personnes impures,  etc…sont au bénéfice de ces actions. Notons au passage que les miracles du Nouveau testament ne vont pas contre l’ordre de la nature mais sont presque toujours des signes et visent à débloquer, rompre l’isolement (ex. des muets et des sourds), reconstituer les liens rompus, renverser des barrières.

Dans l’Antiquité, un malheur était vu comme une malédiction de Dieu à la suite d’une faute commise par un ancêtre ou par la victime elle-même. Dans ce contexte, guérir ou accueillir les maudits, c’est signifier la levée de la malédiction adamique, la grâce. Ces guérisons sont des signes pour tous ceux qui sont en situation de souffrance : au regard de Dieu, il n’y a pas de maudits, il n’y a que des êtres dignes d’amour. La nouvelle Loi, ce sont des béatitudes : bienheureux (ou : en avant, debout) les pauvres. Ce discours est prophétique, il s’inscrit dans la suite des messages de l’Ancien testament. L’institution du Sabbat nous signale que la malédiction qui consiste à « travailler tous les jours » est en partie levée, elle ouvre la voie à tout un discours de justice repris tout au long des récits autour de l’Exode et de la Loi, par exemple dans Exode 22, 20 à 26; 23, 9 à 12; cf. aussi la Loi de Sainteté dans Lévitique 19, 9 à 18 ou dans Deutéronome 25, 17 à 22 et 27, 19.

Les prophètes à leur tour, Elie, Amos, Esaïe, Osée n’auront de cesse de dénoncer les injustices à la perte du culte du Dieu d’Israël. L’Eglise reprend ces discours : elle est libre de sa parole car « à côté » de la société, tout en étant dans la société. Elle a ainsi une « extériorité prophétique », une distance et une proximité qui lui donnent la liberté de la critique à l’encontre des injustices de notre société qu’elle ne doit pas manquer de dénoncer. L’Eglise doit être porteuse de contestation, de projet et d’espérance si elle veut être entendue et si elle veut passer le message de l’Evangile. Ne rien dire, c’est approuver ce qui se passe !

B) Signe du Royaume

Dans la société à laquelle elle appartient, l’Eglise doit témoigner de la dimension du Royaume en donnant aux exclus, aux pauvres, aux malheureux la place qui leur revient. Annoncer la grâce implique de montrer quels en sont les effets et annoncer le Royaume implique aussi de montrer que peut être (modestement certes) une image de ce Royaume en réintroduisant les exclus et les maudits dans l’Eglise. Le Royaume étant le lieu annoncé et déjà présent où les hommes peuvent vivre la fraternité et la justice de Dieu. Albert Schweitzer par exemple, en développant l’idée de l’eschatologie conséquente (le Royaume déjà là mais pas encore) n’a-t-il pas mis en pratique cette idée à Lambaréné ? Si l’Eglise n’est pas le Royaume, rien n’empêche qu’elle soit porteuse des signes du Royaume et la diaconie est bien un de ces signes. Pour paraphraser l’Evangile de Jean, les gestes de la diaconie sont des lumières dans les ténèbres, des moments d’éternité qui donnent sens à notre temps.

Dans les Evangiles, Jésus radicalise le discours prophétique en affirmant la grâce par ses gestes. Paul plus tard, reprendra l’annonce du salut de manière claire dans sa prédication. Nous en avons la trace dans ses lettres, celle aux Romains en particulier. Les gestes de Jésus affirment la gratuité du salut par la levée des malédictions. Exclusions, maladies, infirmités étaient vues comme des malédictions envoyées par Dieu pour punir les pécheurs et/ou leur descendance (voir par exemple Jean 9, 3 : « Rabbi, qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? »). Seul Dieu peut lever les malédictions. C’est ce que fait Jésus chaque fois qu’il relève ou libère un malade ou un exclu. Jésus – homme – nous dit Dieu et sa justice : qu’ils soient estropiés, malades, qu’elles soient prostituées ou païennes, qu’ils soient collecteurs d’impôts ou lépreux guéris, relevés, réintroduits dans la société, par eux, Jésus nous dit que tous sont enfants de Dieu. La prédication – les béatitudes par exemple – ainsi que la mort de Jésus montrent que Dieu est résolument du côté des maudits de la société.

Cette prédication du pardon, de la grâce est signe du Royaume. La Cène, bien sûr, par le sens du partage qu’elle implique et le don de la vie annoncé, va tout à fait dans le même sens. Cette prédication qui touche l’être humain par la Parole vivante et agissante transforme l’individu et en fait un homme nouveau. La prédication du Royaume permet une nouveauté de vie. La grâce libératrice ouvre le chemin de l’espérance et l’amour tels que nous les voyons célébrés dans Corinthiens 1/13. Il est évident que le lien existant entre la grâce et la diaconie est central dans nos Eglises. Nous ne sommes donc pas étonnés de voir Jésus mettre au centre de sa prédication le résumé de celle-ci : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Parce qu’elle est participation aux signes du Royaume, la diaconie est aussi une participation à la joie. Joie de rencontrer l’autre, le frère, de l’aider : joie aussi de recevoir de l’autre ce qu’il peut offrir et, dans ce domaine, la reconnaissance n’a pas de limite, joie aussi de discerner dans l’autre le tout. Autre. Dans l’acte d’aimer et d’être aimé et d’aider et d’être aidé, la distance entre Dieu et le monde se réduit, voire disparaît. L’abolition de cette distance est aussi signe de la grâce. Parce qu’elle appelle à l’action, la diaconie engage aussi notre responsabilité et notre dignité. Malgré les difficultés et les échecs, elle est aussi déculpabilisante.

Une action, aussi minime soit-elle, est toujours constructive et ce ne sont pas toujours les actes les plus spectaculaires qui ont le plus d’effet. Ecole de l’échec (hélas!), la diaconie est école de la patience. La diaconie est vraiment un échange, où celui qui est le plus aidé n’est pas toujours celui qu’on croit.

Elle illustre Pâques par la résurrection des morts-vivants que sont les exclus.

C) La diaconie comme prédication

Comme on l’a vu précédemment le lien de la prédication de l’Eglise s’exprime dans un paganisme ambiant.

Autour d’un culte laïc de la puissance conduisant souvent au mépris de l’autre, à la négation de l’être. La prédication reste bien l’annonce de la Parole de Dieu, la Grâce; mais la prédication est aussi illustration de cette parole qui est, rappelons-le aussi action. L’action de l’Eglise rend crédible la parole prêchée. Une parole sans acte est une inconséquence, un contre-témoignage.

Des pères apostoliques aux théologiens médiévaux, tous sans exception, se sont penchés sur la pauvreté et ont prêché sur ce thème. Ils refusent la pauvreté, fustigent la richesse quand elle devient idolâtre et/ou mal employée. Leurs modèles sont Lazare, Naboth ou évidemment le Christ souffrant. Le pauvre permet la rencontre avec Dieu, car Dieu en Jésus a pris le visage des pauvres. De fait la diaconie accompagne l’Eglise, elle illustre la prédication. Innombrables sont les œuvres des Eglises même aux plus sombres heures de leur histoire, sans parler des actes isolés de tout un chacun dans la vie quotidienne. Ici la pauvreté devient modèle, chemin de salut, exemple à suivre, œuvre. Le dénuement le plus total sera recherché à l’instar des pères du désert. On en est arrivé parfois à des exagérations, les œuvres prenant le pas sur l’annonce de la grâce. A cette exagération la Réforme portera remède.

Comme toutes les confessions chrétiennes, la Réforme s’est penchée sur la question des œuvres et de la diaconie. La liberté du chrétien, qui ne court plus après les œuvres pour obtenir le salut (rites, obligations diverses, pèlerinages, œuvres sociales) dégage l’homme et lui permet d’agir en fonction du salut acquis. Aider les autres n’est pas une obligation, mais une manière d’être, une reconnaissance, un témoignage. En cela, la diaconie est prédication de l’Evangile, qui n’est pas seulement parole, espérance, mais aussi action. Nous rejoignons là l’aspect qui devient prophétique de la mission de l’Eglise et l’annonce du Royaume dont elle est porteuse. Calvin institue le diaconat comme un grand ministère de l’Eglise, bien sûr en s’appuyant sur l’Ecriture.

Dans l’histoire contemporaine de l’Eglise, la diaconie occupe toujours une place de choix ; par exemple, face à la misère ouvrière, le christianisme social, le sillon, la Croix bleue, les missions populaires, ont accompli et accomplissent toujours un travail considérable et sont encore un témoignage vivant de l’Evangile. Les témoins de l’Evangile au XXème siècle pour le grand public se nomment Schweitzer, Martin Luther King, ou encore CASP, CIMADE, Asiles John Bost, La Cause, côté protestant, l’abbé Pierre, sœur Térésa, côté catholique.

D) La diaconie œcuménique

La diaconie est œcuménique car fondée sur les deux grands commandements de l’Amour ou encore sur le Notre Père, ensemble repris par la prédication de Jésus et celle des Apôtres. Certes, la diaconie – les œuvres – peut avoir des spécificités selon les églises. En caricaturant, on peut souligner une diaconie de participation au Salut, une diaconie du Royaume, une diaconie comme tremplin d’évangélisation, etc … Mais face à l’ampleur du problème et face à l’attention que toutes les églises portent aux pauvres, l’union dans l’action, sur le terrain, fait vivre un réel œcuménisme au service du témoignage du dieu vivant et aussi au service d’une efficacité plus grande dont bénéficient les plus pauvres. La diaconie est œcuménique car elle concerne tous les chrétiens. Si tous n’ont pas le charisme ou les forces nécessaires pour s’engager sur le terrain, la communauté ecclésiale peut soutenir par la prière et les encouragements, les engagements de la diaconie et ainsi s’engager à ses côtés.

E) La diaconie est conversion

La diaconie n’est pas si simple. Elle est signe de notre échec et de notre finitude : « Combien de gens ne peut-on pas aider ? » « Parmi ceux qui sont aidés, quelle réussite avons-nous ? ».

Il faut accepter les échecs parfois très graves (suicides, décès par maladie ou mort violente, révoltes, etc …) et en tirer les conséquences. Il faut aussi accepter nos limites … L’humilité est une vertu évangélique. La diaconie est aussi l’apprentissage de la gestion du temps. Sortir quelqu’un de l’exclusion est complexe, difficile et long. S’engager, c’est souvent s’engager à long terme.

La diaconie est signe d’une conversion. Vivre les difficultés ci-dessus énoncées implique une confiance en Dieu Sauveur de la part de celui qui s’engage, il implique aussi humilité et patience. Nous sommes ici dans le cadre d’une vraie conversion. L’homme nouveau dont parle l’Apôtre Paul est un homme qui se sait sauvé par le Dieu révélé en Jésus Christ. C’est aussi un homme qui peut s’engager au service des autres en toute liberté. Là est le centre de notre débat, à savoir que la diaconie est inspirée par dieu. Elle n’est pas une simple œuvre humaniste, elle a une dimension autre de l’ordre du charisme, de la vocation. Parce qu’il est converti, celui qui s’engage sait qu’il n’est pas seul face aux difficultés et aux échecs, il se sait soutenu par Dieu, nourri de sa Parole. Sans la Parole, comment vivre nos finitudes, nos échecs ? Si celui qui aide est un converti, celui qui est aidé est aussi concerné par le sens même de l’aide. Certes, celle-ci est gratuite mais l’éclairage de la parole sur l’aide devient un appel et une espérance pour celui qui est aidé et non pas infériorisé, diminué ou infantilisé. C’est dans le signe de l’espérance qu’est la diaconie que peut se puiser la force de vie qui permettra à un malheureux de se redresser (littéralement ressuscité).

F) L’action diaconale comme loi de sainteté et signe de l’Alliance

Les dix paroles (ou dix Commandements) sont au centre de l’Alliance. La première table de la Loi pose l’existence de Dieu et, déjà, par le quatrième commandement relatif au Sabbat, lève la malédiction adamique qui stipulait que « l’homme travaillerait tous les jours de sa vie » (Gn 3, 17-20). L’alliance apparaît ici comme un nouveau moyen pour vivre que dieu offre aux Hébreux, fondé sur la liberté et la grâce : « Je t’ai libéré de la maison de servitude » (Ex 20, 2). Il en découle une nouvelle manière d’être, de se comporter; les paroles de la deuxième table de la Loi organisent la fraternité qui doit régner au sein du peuple. Dans le « code de l’Alliance », c’est-à-dire dans les développements qui suivent le Décalogue, la Bible nous engage vers une éthique fondée sur l’attention portée aux plus démunis : par exemple, Exode 22, 20-26 développe le comportement à avoir vis-à-vis des veuves, des orphelins ou des plus pauvres (celui à qui il ne reste qu’un manteau). Ces textes, repris dans le Lévitique (cf. la loi de Sainteté) et le Deutéronome, même s’ils sont inspirés par des législations extérieures à Israël n’en placent pas moins les Hébreux en tête des nations qui, dans l’histoire, ont eu soin de tous les membres de leur communauté, des exclus en particulier. Il y a là un signe de la mise à part d’Israël (la sainteté).

Les prophètes n’auront de cesse de défendre cette vision du code de l’Alliance. Toujours, ils rappelleront l’exigence de la fidélité à Dieu, car Dieu est fidèle à son alliance : toujours, ils rappelleront l’exigence de la justice qui découle de l’Alliance. Dans une société souvent païenne, riche et où l’égoïsme est roi, la prédication de la justice devient centrale. Les premiers chapitres d’Esaïe sont clairs à ce sujet. Le prophète lie ici le culte et la justice : un culte sans justice fait horreur à Dieu (Es, 1, 11-17 et 3, 13-24); c’est dans ce cadre que s’exprime la vocation du prophète au chapitre 6. Elie avait déjà prêché contre l’injustice de la maison d’Israël au livre des Rois. Mais Amos en 2, 5 « parce que [les riches de Samarie] ont vendu le juste pour de l’argent et le pauvre pour une paire de sandales », en vient même à injurier les Samaritaines en les traitant de vaches de Basan, c’est-à-dire de charolaises !

Michée va dans le même sens. Tous affirment que Dieu est du côté des plus pauvres. Dès lors que nous affirmons notre Christianisme fondé sur l’Ecriture, comment ne pas reprendre à notre compte pour les appliquer, les appels répétés des prophètes et les termes du code de l’Alliance ? Alors que nous lisons ces lignes, des exclus de tous bords – veuves et orphelins – sont morts à cause de l’égoïsme des plus puissants de ce monde. Nous devons nous inscrire dans le suite de la déclaration prophétique de l’Ancienne Alliance.

III – La prédication de Jésus et l’agapé

La Bible dans son ensemble donne à l’entraide une place importante. L’Ancienne alliance insiste sur l’aide aux plus pauvres : la veuve et l’orphelin, mais aussi l’étranger. Cette aide, inscrite dans la loi, est une des conditions pour être dans la fidélité à la parole de Dieu. Les discours des prophètes vont dans le même sens : l’injustice sociale est de l’ordre du blasphème. Amos ou Esaïe sont typiques à cet égard. Dieu ne va t-il pas jusqu’à haïr les sacrifices si la justice sociale n’est pas au rendez-vous ? Il y a donc dans la démarche diaconale de l’Ancien testament un désir d’être dans la loi. Or, ce désir, qui n’exclut pas d’autres mobiles évoqués plus haut, situa la démarche vétéro testamentaire dans l’Eros, c’est-à-dire dans l’amour tel que les grecs vont le définir. L’Eros est fondé sur le désir et le manque, sur la séparation. Dans les cosmogonies, Eros sépare et fait le lien entre les deux parties de l’œuf cosmique, entre le ciel et la terre, Eros fait vivre, sépare et unit. Eros porte en lui une dynamique, une recherche d’équilibre, d’harmonie et de beauté (cf. la sculpture grecque par exemple). Dans le couple, le désir de l’autre, la souffrance de son absence sont bien le signe de l’amour – Eros – .

Agapé n’a rien d’Eros ! Non pas qu’il y ait opposition entre les deux notions de l’amour, mais peut-être, si il y a complémentarité pour Eros. En revanche, Agapé qui définit l’amour chrétien se suffit à lui-même. Le mot agapé est assez rare dans la littérature grecque classique. Deux ou trois mentions seulement dans l’Iliade et l’Odyssée qui pourtant ne manquent pas d’histoires d’amour. De plus, dans le grec du 1er siècle, le mot était tombé en désuétude, donc disponible pour les chrétiens qui vont l’utiliser. Dans nos Nouveau testament, chaque fois que nous lisons charité ou amour, c’est agapé qu’on trouve dans le texte d’origine. Hélas, dans nos sociétés, amour et encore plus charité ont perdu de leur force et les champs sémantiques de ces deux notions ne concordent plus avec celui d’agapé.

Agapé, c’est l’amour, mais un amour gratuit, détaché de tout désir, illogique  et sans aucun espoir ou volonté de reconnaissance, à tel point qu’agapé servait aussi à définir l’amour et les soins qu’on portait aux défunts. C’est cette gratuité absolue et illogique qui nous intéresse ici. Les premiers chrétiens ont ainsi défini l’amour de Dieu pour le monde et les humains. Jean l’exprime quand il dit : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que le monde vive ». Paul ajoute : « Alors que nous étions pécheurs (donc peu aimables !) Christ est mort pour nous ». Cet amour – agapé est charité et écrit par une main inconnue qui l’a rajouté dans la 1ère épître aux Corinthiens, ch 13 : « Si je n’ai pas l’amour…. ». Le passage est souvent choisi par les mariés qui y voient une image de l’amour qui les unit alors qu’il s’agit de l’amour de Dieu. (Mais un couple chrétien ne vit-il pas à la fois d’Eros et d’Agapé ?).

Dieu est Dieu et n’a nul besoin des humains capables du meilleur et du pire et qui, au regard de l’histoire et de l’actualité apparaissent souvent peu intéressants. Pourtant, cet amour absolu, illogique, invraisemblable et indéfinissable, si ce n’est dans le symbole religieux ou poétique, cet amour agapé est bel et bien là et il définit Dieu lui-même si on en croit le milieu chrétien, johannique en particulier.

Ainsi dans la 1ère lettre de Jean au ch. 4, verset 7 et 8 : « Bien aimés, aimons-nous les uns les autres, car l’amour est de Dieu et quiconque aime Dieu est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour ».  Il est dit que Dieu est amour, agapé peut être la seule définition valable de Dieu.

La mort du Christ illustre l’absolu de l’agapé et la fin de l’Eros biblique : c’est le règne de la grâce, de la gratuité et la fin du salut par la loi ou le sacrifice perpétuel au Temple de Jérusalem (ou d’autres sacrifices).

L’acte créateur de Dieu, la fidélité de Dieu envers son peuple ou encore l’annonce du serviteur souffrant d’Esaïe 53 ou l’Alliance nouvelle de Jérémie 3, étaient autant d’ouverture annonçant l’agapé, mais c’est la révélation en Christ et le discours des apôtres qui vont révéler l’amour de Dieu en plénitude et la liberté de Dieu créateur (cf. Genèse 1 à 3 par exemple). Dieu qui recréé sans cesse l’agapé par cet agapé révélé en Jésus-Christ.

L’agapé fonde ainsi la relation de Dieu au monde. L’agapé est là, il n’apporte rien, ne gratifie rien, ne se raisonne pas. Et pourtant il est Dieu. La relation entre Dieu et les hommes fonde à son tour la relation entre les hommes. La diaconie est là, signe de cette relation, elle est là pour rien pourrait-on dire ! Elle exprime en fait l’actualité du Dieu vivant agissant dans le monde. La force de la grâce, de l’agapé, réside justement en ce qu’elle n’a rien à défendre. Sur quoi l’attaquer puisqu’elle n’a pas d’intérêt et qu’elle est absurde ? La force est précisément dans la faiblesse comme le dit si bien Paul, en non pas dans une puissance ou la recherche de quelque résultat. C’est bien l’agapé et non quelque idéologie morale laïque ou religieuse (la charité au sens moderne du terme) qui est dans la mise en route de nos différentes diaconies.

L’agapé a un fondement biblique aussi important qu’incontournable.

La diaconie pour des raisons pas très reluisantes est instituée par les apôtres au chapitre 6 des Actes. C’est la première institution ecclésiale connue en dehors du collège apostolique. Elle est là pour organiser le partage eucharistique avant de devenir l’entraide pour les veuves.

Deux signes sont réunis ici, l’un d’ordre purement religieux et l’ordre d’ordre éthique. Ces deux signes n’en font qu’un : la présence de Dieu et la grâce – l’amour de Dieu manifesté ici.

Cet amour – agapé – de Dieu qui fonde la diaconie dans toutes ses dimensions, nous le réalisons dans la lecture de l’Evangile. Parmi une pléiade de citations, retenons seulement le Sermon sur la montagne qui donne l’esprit du message du Christ, qui comme par les Béatitudes, qui nous dévoilent l’agapé : « Heureux ceux qui n’ont plus rien, qui sont détruits, qui ne peuvent plus rien offrir – c’est parce qu’il y a ces riens qui les définissent que Dieu s’intéresse particulièrement à eux : « Heureux êtes-vous ….. pour rien. Alors tout espoir devient possible puisque nous n’avons rien à offrir et que nous recevons tout. L’autre passage retenu, toujours chez Mathieu, c’est le chapitre 25, où Jésus s’identifie aux plus malheureux : détenus, affamés, malades. Dans ces gens à la marge des sociétés, il y a la présence du Christ, comme en tout humain. Mais dans la faiblesse des hommes, Dieu se révèle par amour et c’est bien là la force de l’agapé.

Le ministère de Jésus qui révèle l’amour de Dieu n’est pas que discours, les guérisons des lépreux, malades, paralysés, handicapés,…. font soigner, elles disent la fin de toutes malédictions, elles disent l’espérance. Les partages quant à eux sont nombreux : multiplication des pains, la Sainte Cène, le repas avec la syro phénicienne prête à manger les miettes qui tombent de la table. Autant de récits symboliques, très ouverts au monde : la foule de la multiplication des pains, la païenne syro phénicienne, Judas à la Cène, Mathieu le péager… Et nos SDF, migrants, malades.

Enfin la mort de Jésus avec le pardon, « Père, pardonne leur …. », montre là aussi ce qu’est l’agapé, l’attention portée aux autres même aux assassins ! Mort absolue mais dans ce néant, cette faiblesse absolue, la grâce du pardon … pour rien Jésus meurt. Mais ce pardon résonne encore pour que le monde vive de la grâce. L’agapé est au centre de la passion et s’exprime avec force dans la souffrance des hommes.

L’agapé est une force de vie. Combien sont-ils ceux que Jésus a relevés ? tirés du néant ? Force de vie qui dit que l’amour est plus fort que la mort, après la passion, la résurrection.

Ce schéma, passage de la souffrance des hommes, passion de Jésus – à remise en route des hommes – résurrection de Jésus est le schéma même qui suit la diaconie: réveiller les endormis, redonner de la dignité, remettre debout, servir la vie, donner du sens. L’agapé est créatrice de vie, la diaconie en est le signe, le ministère du christ nous le rappelle.

CONCLUSION

Une question de pratique.

Le christianisme a toujours été un moyen pour lutter contre la pauvreté. On l’a vu en donnant du sens à la pauvreté et de la dignité à l’exclu. Toujours inacceptable, la pauvreté a nécessité de gros moyens pour lutter contre elle au niveau d’une société.

Autour de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain se sont organisés l’aumône et l’entraide dès l’origine de l’Eglise comme en témoignent les Actes des Apôtres à propos des veuves. L’Entraide sous ses différentes formes : écoute, partage du temps, aides financières et matérielles, aide médicale, culturelle …. évitent aux plus démunis de sombrer dans le désespoir et – ou – la violence pour survivre. Dans l’Antiquité, les églises et les résidences des évêques étaient connues comme lieux de refuge et d’aide. Les monastères dès le 10ème siècle, l’hôpital (hôtel Dieu), la cathédrale, … sont des lieux qui témoignent dans l’histoire de l’impressionnant travail de l’Eglise en ce qui concerne la diaconie.

Aujourd’hui, les œuvres des églises et les engagements des chrétiens dans la diaconie continuent dans tous les domaines montrant par là une certaine souplesse. Qu’on en juge : ATD Quart Monde, Emmaüs, CIMADE, CASP, banques alimentaires, SOS Amitié, Croix bleue et Alcooliques anonymes, Croix rouge et Planning familial sont gérés ou influencés, ou fondés par des églises ou des chrétiens … Mais combien sont-ils engagés anonymes dans tel ou tel mouvement ?

Si les œuvres accomplies par les chrétiens restent importantes, la tâche qui reste à accomplir est immense, voire écrasante. Si des Tommy Fallot, Schweitzer, L. King, Ellul, Casalis, Vincent de Paul ou Goutierez et bien d’autres ont marqué leur temps, l’Eglise a besoin de relais, de paroles fortes, de contestataires pour continuer le témoignage. Si des théologiens sont nécessaires à côté de ceux qui s’engagent sur le terrain, la prière et le soutien de tous les membres de l’Eglise restent d’une importance fondamentale. La diaconie est une action communautaire, un des grands ministères de l’Eglise (ce que soutient Calvin comme on l’a vu).

Qu’on le veuille ou non, qu’elle se taise ou prenne part aux débats de la société, contre ceux qui disent que l’Eglise ne doit pas faire de politique, le silence ou la parole de l’Eglise est politique. Se taire s’est soutenir ce qui se met en place ! L’Eglise doit assumer sa dimension prophétique et montrer au monde que l’annonce du Royaume n’est pas opium mais une réalité; un combat est une dynamique au service de la justice. Le christianisme est un humanisme, un souffle, une espérance pour tous, même pour les damnés de la terre, même et surtout pour les maudits (cf. théologie de la libération).

Un vieux débat resurgit cependant, la diaconie doit-elle être interne à l’usage des paroissiens qui vivent la fraternité, ou ouverte à tous. Deux formes de témoignages ici. Si on s’en tient à Actes 6, c’est le repli sur la communauté, si on se tourne vers la modernité, c’est l’ouverture au monde. Eviter l’émotionnel. Chacun a ses arguments et chaque solution ses grandeurs et ses limites. En fait, diaconie interne et externe ne s’excluent pas. Elles doivent fonctionner ensemble. L’agapé nous mène vers les frères, certes, mais aussi vers les inconnus aussi loin soient-ils. Les charismes peuvent s’exprimer dans la complémentarité pour bâtir une communauté fraternelle, mais aussi universelle. Devant Dieu, il n’y a ni grec, ni juif mais que des humains.

La Bible véhicule une théologie de l’être – de la personne – et de la liberté permettant une rencontre avec l’autre toujours renouvelée.  La diaconie nous permet de rejeter l’image que l’Eglise a trop souvent de Dieu. Un Dieu qui juge, éventuellement condamne, pour laisser place à la vision du Dieu qui accompagne, du Dieu souffrant, du Dieu de la grâce.

La Bible nous offre l’image de l’homme à l’image de Dieu. Il y a là un message et un engagement pour nos églises. Il n’y a pas de foi sans œuvre, il n’y a pas d’église sans diaconie.

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