Les perplexités du bon Samaritain – 1984
Au docteur de la loi qui lui demandait ce qu’il y avait lieu de faire pour hériter la vie éternelle, Jésus répondit: « Que lis-tu dans la loi? ». Et son interlocuteur de réciter : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, de toute ta pensée et ton prochain comme toi-même. »
— « Tu as bien répondu, dit le Christ, fais cela et tu vivras ». Mais l’autre de poursuivre aussitôt : « Qui est mon prochain ? » (Luc X, 25-37).
Vous connaissez la suite, puisqu’aucune parabole biblique n’a alimente plus de prédications que celle du Bon Samaritain, laquelle constitue d’ailleurs une réponse parfaitement adaptée a la question posée. En revanche, la question posée aurait pu être tout autre. Si j’avais eu la chance de pouvoir interroger moi-même Jésus de vive voix, je ne lui aurais pas demandé un portrait-robot de mon prochain, mais plutôt : Qu’est—ce qu’aimer ’? »
C’est cela qui est important. On pourra, certes, me rétorquer qu’aimer consiste à imiter le Bon Samaritain, mais je remarque que le texte de Luc parle seulement de « compassion », c’est-a-dire de pitié ; or, il y a loin de la pitié a l’amour. Disons que le Bon Samaritain s’est senti responsable du voyageur agressé, puisqu’il lui a porté secours, mais il n’y a pas eu le moindre échange de paroles entre eux.
Aujourd’hui, on hésiterait a dire qu’ayant fait ce qu’il a fait le Bon Samaritain a aimé son assisté ; on parlerait plutôt de service rendu, comme il nous est arrivé a tous, notamment sur la route, d’en être tour at tour bénéficiaire ou dispensateur. Il faut dire que le verbe aimer, employé par nous tous a tout propos, est un de ceux, dans notre langue, qui se prêtent au plus grand nombre d’applications différentes : j’aime mes proches, j’aime mes amis, mais j’aime aussi la mer, la montagne, la Camargue, les voyages en avion, les gâteaux, les aubergines, le printemps, la musique, la pêche a la ligne, l’astronomie, le silence et le soleil, j’aime lire, etc. Ne serait-il pas utile a tous d’entreprendre, a partir de la parabole du Bon Samaritain et après avoir relu attentivement les Evangiles, un effort commun de réflexion susceptible de dégager la signification spécifiquement chrétienne du verbe aimer et du substantif amour ?
Mais il ne faudrait oublier cette fois aucun des protagonistes de la parabole. En effet, on nous a toujours parlé du prêtre et du lévite qui sont passés sans s’arrêter, du voyageur agressé puis secouru, mais pas le moindrement des agresseurs sans lesquels il n’y aurait pourtant pas eu de Bon Samaritain.Et précisément, ce Bon Samaritain, s’il était passé un peu plus tôt, au moment même ou les brigands dépouillaient et rouaient de coups le voyageur, qu’aurait-il du faire ? De quelle manière son amour du prochain devait-il alors se distribuer entre agresseurs et agressé ?
Le Bon Samaritain-1984 est très perplexe à cet égard car ces questions, loin d’être à ses yeux un jeu de l’esprit, se posent à lui de plus en plus fréquemment dans la rue, dans le métro, partout.
]e pense, personnellement, que si l’Evangile ne nous dit rien a ce sujet, c’est que la résolution des problèmes de l’espèce est laissée a notre propre discernement. Mais vous qui lisez ce billet, qu’en pensez-vous ?
Pierre GERMAIN