Prédication du 25 décembre 2018
de Catherine Axelrad
Lectures
Introduction
Aujourd’hui, de manière un peu inhabituelle ici, je vais vous proposer deux des trois lectures dites « du jour », c’est-à-dire 2 des trois lectures proposées en ce matin de Noël dans un grand nombre d’églises chrétiennes. Nous allons entendre deux de ces textes dans la traduction de la Nouvelle Bible Segond d’Etudes – il n’y a pas de surprise, ce sont des textes que vous connaissez, des textes qu’on lit souvent à Noël – un texte du prophète Esaïe – le premier Esaïe, celui qui s’exprime au 8ème siècle avant Jésus – et un texte qui se trouve tout au début de l’évangile de Jean, dans cette partie qu’on appelle d’ailleurs le Prologue. Chacune à sa manière, ces deux lectures sont d’abord des textes extrêmement poétiques qui ont imprégné notre imaginaire, en particulier avec la métaphore de la lumière; on les lit souvent à Noël, celui d’Esaïe parce que beaucoup y voient une des origines de l’attente messianique – le second parce que nous verrons qu’il s’agit non seulement d’un prologue à l’évangile de Jean, mais surtout d’un développement théologique fondamental dans la construction de la foi chrétienne – un texte qui sous sa forme poétique un peu déclamatoire exprime en réalité une pensée construite de manière très élaborée.
Esaïe 8, 23 à 9, 7
Mais les ténèbres ne régneront pas toujours sur la terre où il y a maintenant des angoisses. Si le passé a réduit à peu de choses le pays de Zabulon et le pays de Nephtali, l’avenir donnera de la gloire à la route de la mer, à l’autre côté du Jourdain, au territoire des nations.
Le peuple qui marche dans les ténèbres a vu une grande lumière ; sur ceux qui habitent le pays de l’ombre de mort, une lumière a brillé. Tu as rendu la nation nombreuse, tu l’as comblée de joie. Ils se réjouissent devant toi de la joie des moissons, de l’allégresse qui règne au partage du butin.
Car le joug qui pesait sur elle, la trique qui frappait son dos, le bâton de son oppresseur, tu les as brisés comme au jour de Madiân. Toutes les bottes qui piétinaient dans la bataille, et tous les manteaux roulés dans le sang, seront livrés aux flammes, pour être dévorés par le feu.
Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné. Il a la souveraineté sur son épaule ; on l’appelle du nom de Conseiller étonnant, Dieu-Héros, Père éternel, Prince de Paix.
Étendre la souveraineté, accorder une paix sans fin au trône de David et à son royaume, l’affermir et le soutenir pas l’équité et la justice, dès maintenant et pour toujours, voilà ce que fera la passion jalouse du Seigneur des Armées.
1er chapitre de l’évangile selon Jean, versets 1 à 18
Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu ; la Parole était Dieu. Elle était au commencement auprès de Dieu. Tout est venu à l’existence par elle, et rien n’est venu à l’existence sans elle. Ce qui est venu à l’existence en elle était vie, et la vie était la lumière des humains. La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres n’ont pas pu la saisir.
Survint un homme, envoyé de Dieu, du nom de Jean. Ce n’est pas lui qui était la lumière ; il venait rendre témoignage à la lumière. La Parole était la vraie lumière, celle qui éclaire tout humain ; elle venait dans le monde. Elle était dans le monde, et le monde est venu à l’existence par elle, mais le monde ne l’a jamais connue. Elle est venue chez elle, et les siens ne l’ont pas accueillie ; mais à tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu – à ceux qui mettent leur foi en son nom. Ceux-là sont nés, non pas du sang, ni d’une volonté de chair, ni d’une volonté d’homme, mais de Dieu.
La Parole est devenue chair ; elle a fait sa demeure parmi nous, et nous avons vu sa gloire, une gloire de Fils unique issu du Père ; elle était pleine de grâce et de vérité.
Jean lui rend témoignage, il s’est écrié : C’est de lui que j’ai dit : Celui qui vient derrière moi est passé devant moi, car, avant moi, il était. Nous, en effet, de sa plénitude, nous avons tous reçu, et grâce pour grâce ; car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
Personne n’a jamais vu Dieu ; celui qui l’a annoncé, c’est le Dieu Fils unique qui est sur le sein du Père.
Prédication
Vous avez sans doute déjà entendu le texte de Jean dans une traduction où les mots utilisés ne sont pas « la Parole mais « le Verbe ». Au commencement était le Verbe, de préférence avec un V majuscule. Le Verbe, ou la Parole ? Les choix de traduction méritent qu’on en parle rapidement. O logos – ce mot grec vient du verbe Lego qui veut dire parler, ou dire ; si on décide de traduire o logos par la Parole, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, on met l’accent sur la Parole, celle de Dieu quand il crée mais aussi celle de Jésus qu’on trouve très souvent dans l’évangile de Jean : amen amen legô umin : amen, amen, ou en vérité, en vérité, amen amen je vous le dis. Ça ne fait pas longtemps qu’on traduit plutôt o logos par la Parole, parce que le logos est un nom masculin, et que pendant longtemps, consciemment ou inconsciemment, l’idée de traduire au féminin quelque chose qui se rapportait à l’action créatrice de Dieu le Père paraissait impossible, on préférait (et c’est encore souvent le cas) on préférait traduire o logos par « le Verbe », en référence à la notion théologique du « Verbe créateur de Dieu » qui fait bien sûr directement référence à la Genèse (et Dieu dit : que la lumière soit, et Dieu dit qu’il y ait un soir, qu’il y ait un matin, que la terre produise des êtres vivants) – et aussi parce que dans ce début de l’évangile, même si son nom n’arrive que beaucoup plus tard, la Parole créatrice est intimement liée à la personne de Jésus, qui est un homme. Et donc je vais parler de la Parole justement – je vais parler de Jésus-parole, et nous verrons comment en trois étapes, dans le texte de Jean, par cette présence de Jésus dans la Parole, Dieu se rapproche progressivement de nous : Jésus-Parole au commencement avec Dieu, Jésus-Parole lumière, et Jésus-Parole venu faire sa demeure parmi nous.
Au commencement était la Parole – mais quel commencement ? Bien sûr c’est une allusion au premier mot de la Genèse, Berechit, et ainsi, dès la première phrase, la personne de Jésus est mise en relation avec le Dieu de la bible juive, le Créateur, le fondement même de la vie. Aujourd’hui nous pouvons dater ce commencement, nous savons qu’il a eu lieu il y a environ 14 milliards d’années, et nous lui avons même donné un nom, un gros Bang qui a dû faire beaucoup de bruit même s’il n’y avait personne pour l’entendre. Mais le Bang, aussi big soit-il, ne résout pas toutes les questions, et ce prologue de l’évangile de Jean nous ramène encore plus loin, bien avant la Genèse, à un commencement d’avant le commencement : un commencement qui précèderait la création – quelque chose d’insaisissable, quelque chose qui se dérobe à notre pensée, car notre pensée est humaine et donc limitée. Personne n’essaierait d’enseigner la géométrie à son chat, ou de lui apprendre à lire, parce que nous savons bien qu’il n’en est pas capable. Eh bien je crois que pour nous, c’est un peu pareil : quelle que soit l’intensité de notre recherche, dans ce sentiment que nous appelons la transcendance, la réalité de Dieu nous échappe forcément, le commencement d’avant le commencement est et restera pour nous inaccessible. Pour l’évoquer nous sommes obligés d’utiliser des concepts humains, et donc la Parole est pour nous la première manifestation de Dieu – au commencement d’avant le commencement, il n’y a pas de différence entre être auprès de Dieu et être Dieu. Dieu et la Parole apparaissent ensemble, même si la Parole est à la fois différente de Dieu et semblable à lui. Mais voilà qu’apparaît la lumière, c’est-à-dire la vie, et nous voyons que Jésus-parole est associé dès le début à cet acte de création, car Jésus-parole est lumière. La lumière, nous l’avons entendu dans le texte d’Esaïe, la lumière représente l’espoir, la naissance, la vie – sur ceux qui habitent le pays de l’ombre de mort une lumière a brillé – elle est très surprenante cette image, elle nous dit que la lumière est plus forte que les ténèbres, que l’instinct de vie est plus fort que l’instinct de mort ; la lumière peut briller y compris dans les ténèbres et l’ombre de mort, elle provoque des émotions positives qui permettent aux humains de supporter leur condition et même quelquefois de l’aimer. La lumière permet aux humains de percevoir le monde, et d’y trouver leur chemin, c’est-à-dire le sens de leur vie. Nous arrivons donc à cette question fondamentale du sens de la vie, et nous voyons que Jésus Parole vient répondre à cette question, car la Parole est une lumière destinée à tous les humains, venue dans le monde pour tous les humains, mais respectant leur liberté de l’accueillir ou de ne pas la reconnaître comme « la vraie lumière ». A ce stade de la lecture, la référence à Jésus est de plus en plus précise : la présence créatrice de Dieu dans le monde, celle qui peut donner un sens à la vie humaine, cette présence symbolisée par la brillance de la lumière, nous pouvons les percevoir dans la personne de Jésus – mais nous restons également libres de ne pas l’accueillir, comme la Parole qui est venue chez elle mais que les siens n’ont pas accueillie. Le texte ne nomme pas Jésus mais c’est de lui qu’il parle, de sa vie et de sa mort, et les ténèbres ne sont plus tout à fait les mêmes – il ne s’agit pas seulement d’oppression politique et de souffrance purement humaine, comme chez Esaïe ; il s’agit de reconnaître que d’une manière ou d’une autre, la personne de Jésus est porteuse de lumière, cette lumière qui manifeste l’action créatrice de Dieu et le rapproche déjà de nous – et bien sûr cette reconnaissance passe ici par la notion d’incarnation de la Parole, par Jésus Parole devenue chair venu faire sa demeure parmi nous. La Parole est devenue chair – Est-ce que cette phrase nous impose une manière de croire, quelque chose qui serait de l’ordre du dogme ? Bien sûr ça a souvent été le cas dans l’histoire du christianisme, et ça l’est encore quelquefois ; c’est peut-être pour cela que le mot incarnation est mal vu aujourd’hui, en particulier dans le protestantisme libéral – parler d’incarnation ce serait comme dire : vous devez croire à Jésus fils de Dieu, à la fois homme et Dieu, conçu en la vierge Marie par l’opération du Saint Esprit. Alors à ce sujet on peut faire trois remarques : la première c’est que si certains tiennent à cette interprétation un peu littérale, si elle leur permet d’être plus sensibles à la présence de Dieu parmi les humains, c’est leur droit et nous n’avons pas à y redire. La deuxième est complémentaire de la première : c’est que cette manière de vivre sa foi, si elle doit être respectée pour les raisons que je viens de donner, ne doit pas, ne peut plus d’ailleurs, être imposée à quiconque. Et la troisième remarque importante au sujet de l’incarnation, c’est que nous sommes libres de l’interpréter non comme un dogme, mais comme une notion qui nous permet aujourd’hui encore de nous approcher – avec confiance ou avec inquiétude selon les personnes, les lieux et les moments, mais toujours au plus près – qui nous permet de nous approcher de cette Parole de lumière et de vie, et même de ce commencement d’avant le commencement que nous cherchons depuis toujours. Car il y a quand même une grande différence entre le chat et nous. A ma connaissance, le chat n’a pas envie de comprendre la géométrie, pas plus qu’il n’essaie d’apprendre à lire – alors que l’être humain, malgré ses limites, est en recherche permanente de cette transcendance qui lui échappe. Il cherche le visage de Dieu pour le monde, un visage qui n’est pas Dieu dans sa totalité mais qui nous permet de nous en approcher – ce visage nous le cherchons depuis toujours, depuis les mythologies qui unissent les Dieux à des mortels pour créer des demi-dieux ; nous le cherchons quelquefois dans une naissance, comme Esaïe avant nous, dans une naissance qui symbolise la lumière de la vie retrouvée, un mystérieux enfant auquel Esaïe attribue des noms divins – Dieu héros, Prince de Paix, Père éternel ! – c’est un nouveau né dont il parle, un petit humain, mais ces formules lui donnent déjà un caractère messianique.
Et justement, où sommes-nous, dans cette histoire ? A nous qui sommes toujours en recherche, une recherche plus ou moins ardente selon les lieux et les moments, ces deux textes montrent, chacun à sa manière selon les lieux et les moments, ces deux textes viennent dire que nous pouvons vivre la notion d’incarnation, Jésus Parole venu habiter parmi nous, que nous pouvons vivre l’incarnation comme une réponse à cette recherche séculaire. Je ne peux pas aborder tous les aspects de ce magnifique prologue du 4ème évangile, mais je voudrais terminer en vous faisant remarquer que nous y avons une place – nous sommes présents dans cet évangile, et cela dès le début :: «Survint un homme du nom de Jean, qui n’était pas la lumière mais qui venait rendre témoignage à la lumière. » Nous, humains limités, nous sommes à la fois dans le monde qui n’a pas su saisir la lumière en reconnaissant Jésus, mais malgré nos limites nous sommes aussi avec Jean – Jean le baptiste, le dernier prophète et le premier témoin – Jean qui criait dans le désert tellement sa recherche le perturbait, était difficile à vivre – Jean qui s’écrie à nouveau, cette fois parce qu’il a reconnu la lumière ; bien sûr nous vivons notre propre recherche de façon moins violente que Jean, de manière plus réfléchie, plus adaptée à notre époque (même si l’intensité de sa recherche a toujours fait de Jean le Baptiste une sorte d’inadapté); bien sûr notre témoignage n’est qu’un très faible écho du sien – mais aujourd’hui encore, par la proclamation de cet évangile, en fêtant Noël c’est-à-dire en célébrant Jésus Parole au commencement, Jésus Parole de lumière, Jésus Parole venue habiter parmi nous, aujourd’hui encore nous accompagnons le premier témoin – nous sommes avec Jean dans la recherche du Dieu que personne n’a jamais vu, comme nous sommes avec lui dans le témoignage que la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
Amen