Prédication du 2 décembre 2018

d’Henri Persoz

Le figuier stérile

Lecture biblique

Évangile de Luc, chapitre 13, versets 6 à 9

Et il dit cette parabole : « Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher du fruit et n’en trouva pas. Il dit alors au vigneron : «  Voilà trois ans que je viens chercher du fruit sur ce figuier et je n’en trouve pas. Coupe-le. Pourquoi faut-il encore qu’il épuise la terre ? » Mais l’autre lui répond : «  Maître, laisse le encore cette année, le temps que je bêche tout autour et que je mette du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir. Sinon, tu le couperas.

Prédication

Quel est l’intérêt de cette histoire sur le figuier stérile ? Et que peut-elle encore nous dire aujourd’hui d’instructif ? D’édifiant ? Je ne suis pas le premier à me poser cette question et les commentateurs, dès les premiers siècles de l’Église, ont résolu le problème en utilisant la technique de l’allégorie : ils disaient que le sens du texte était caché. Et qu’il revenait aux docteurs, aux évêques, de donner les explications pour comprendre. Et voici le sens caché : le figuier représente le peuple juif qui ne veut pas se convertir, ou bien tous les païens qui ne portent pas de fruit parce qu’ils ne veulent pas croire en Jésus.  Et le propriétaire, c’est Dieu qui va commencer à  perdre patience et à se fâcher. Mais le vigneron, qui est Jésus, intercède et promet de s’occuper de tous ces gens-là et il va peut-être les sauver. Alors Dieu veut bien attendre encore un peu. Et croyez bien que cette interprétation est encore très courante aujourd’hui. C’est gentil, mais cela ne nous apporte vraiment pas grand-chose, et je ne suis pas sûr que l’on puisse comme cela jouer avec l’impatience de Dieu. Pourquoi aurait-il voulu supprimer tous ceux qui n’adhèrent pas au message de Jésus ? Ce sont les commentateurs chrétiens qui ont eu ces méchantes pensées, mais certainement pas Dieu. Impatience de Dieu ou impatience des hommes ? Vraiment, rien ne prouve que cette interprétation allégorique, qui est un appel à la conversion, ait été dans l’intention de l’auteur Luc.

Essayons donc de rester dans l’histoire et dans le sens littéral de l’histoire, au lieu d’aller chercher des explications complètement hors du texte. Le figuier était un arbre bien répandu en Israël et son fruit était fort apprécié, comme il l’est aujourd’hui.  Il était courant qu’on en trouve au milieu des vignes, la Bible hébraïque associe très souvent le figuier et l’olivier avec la vigne; les anciens pratiquaient déjà la biodiversité. Et c’est autour de ces trois fruits de la terre, si souvent cités dans la Bible hébraïque comme dans le Nouveau Testament, que tournait une bonne partie de la vie économique des régions rurales. Nous devons bien avoir cela en tête  si nous voulons comprendre la parabole.

Le propriétaire, dans notre histoire, ne se réjouit pas spécialement de posséder de tels arbres, au milieu de sa vigne, même s’ils rehaussent le paysage et offrent de l’ombre pour se reposer dans la chaleur du travail. Il ne s’intéresse pas au figuier mais aux figues. Il ne regarde qu’au gain, il veut que son capital rapporte et n’a sans doute pas bien compris qu’un figuier demande  des soins attentifs, qu’il faut le bichonner, le soigner avec amour pour qu’il donne du fruit. Les botanistes disent même qu’il faut parler aux arbres et aux plantes. Mais ce propriétaire n’a le temps que de passer une fois par an et de constater que le gain n’est pas là, qu’il n’a pas son dû, son profit, que ce figuier ne lui rapporte rien. Et en plus, cet arbre vit en parasite puisqu’il épuise la terre du propriétaire et empêche sa vigne de profiter de toute la nourriture du sol.  Voilà des générations que les paysans de cette Palestine parsèment leurs vignes d’oliviers et de figuiers. Il y a des raisons à cela, héritées d’une longue expérience de culture sur cette terre desséchée. Mais avec ce propriétaire nouvelle façon, il n’y a pas de place pour les entreprises qui ne produisent  pas assez vite. Tuez-le ; coupez-le. Point à la ligne. Une version du texte de Luc dit carrément : apportez la hache. Pas de vie possible chez ce propriétaire pour qui ne produit pas. Notre parabole dit clairement que la recherche trop impatiente du gain tue. Et cet homme est assez ignorant, il ne s’est pas renseigné sur le mode de fonctionnement des figuiers. Car il était bien connu que ces arbres ne donnaient pas de fruit avant trois ans.

Mais l’ouvrier vigneron qui travaille tous les jours sur cette terre, ne pense pas qu’au gain immédiat. Il pense à la bonne santé de ce  figuier qui a besoin d’attention, d’un peu de chaleur, de réconfort, justement parce que le fruit n’est pas encore là. Il lui faut du fumier pour le nourrir et bien disposer la terre à proximité, l’aérer pour qu’elle ne soit pas trop desséchée. Les bonnes conditions de  vie d’abord, la productivité ensuite. Il ne faut pas tuer l’entreprise trop vite sous prétexte que le gain tarde à venir. Peut-être  n’a-t-on pas été assez attentifs à certains soins, à certaines conditions pour que tout se développe au mieux.

On ne sait pas finalement ce qui a été décidé, si le propriétaire s’est laissé fléchir par les sentiments d’humanité du vigneron. La parabole ne conclue pas. Elle ouvre sur l’espérance. L’espérance que le patron ne regardera pas que son profit,  écoutera mieux ses collaborateurs, acceptera que l’on s’occupe un peu mieux de ce pauvre arbre qui depuis des années n’a pas reçu les soins qui lui auraient permis de bien s’épanouir et qui donc actuellement se meurt.  Il faut toujours espérer avant de commettre l’irréparable, aller jusqu’au bout de l’espérance. Il faut toujours espérer. Ce que ne sait pas faire l’homme pressé, l’homme qui attend son gain.

Et vous avez remarqué que le raisonnement d’humanité, celui qui défend la vie et veut éloigner la hache de son geste fatal, ne vient pas du patron, mais de l’humble employé vigneron qui vit sur le terrain  avec la vigne et le figuier et voit ce qu’il se passe et ose s’opposer au patron et lui proposer de faire un supplément de travail, lui expliquer qu’un arbre n’est pas qu’une machine à produire, mai un être vivant. Et d’ailleurs il prévient tout de suite qu’il ne se chargera pas, l’année prochaine d’abattre cet arbre, mais laissera le cas échéant cette charge à son maître « L’année prochaine, tu le couperas » lui dit-il. Je veux bien le soigner, mais pas le faire disparaitre.

Certes Jésus n’était pas un entrepreneur. Certes la situation de la Palestine rurale, il y a deux mille ans, n’était pas celle  de nos pays développés et industriels. Il est quand même frappant que Luc éprouve le besoin, suivant une tradition qui lui vient de l’enseignement de Jésus, d’attirer l’attention sur la bonne santé des êtres, avant de regarder ce qu’ils produisent et ce qu’ils ne produisent pas.

Bien sûr, le figuier n’est pour rien dans ce qu’il reçoit et ne reçoit pas. Nous retrouvons d’une certaine manière la grâce. Elle vient du vigneron, comme le salut vient souvent de l’autre, de ce petit qui n’est pas un possédant mais qui a compris votre problème et vous aide et vous soigne.

La parabole dit peut-être deux évidences. Elle dit que le salut peut venir du plus humble qui ose montrer au patron qu’il n’a pas raison.  Elle dit surtout que la recherche du profit ne doit pas empêcher les vivants de vivre. Bien sûr, nous savons tout cela, plus ou moins. Et nos contemporains aussi. Il n’empêche que c’est sur ces questions fondamentales que notre société capote et risque d’aller à sa perte : on supprime les arbres, les forêts, les hommes, les sociétés, les entreprises parce qu’ils ne rapportent pas assez. L’Évangile a senti cela il y deux mille ans. Il a senti que cette question était primordiale et il l’explique par cette petite parabole qui n’a l’air de rien, mais qui dit beaucoup. Il nous invite à l’espérance, à penser à la vie plus qu’au gain. Il faut espérer et labourer avec patience la terre des hommes pour que la vie revienne dans toute sa plénitude. Telle est la loi de Dieu. Nous devons être les jardiniers de Dieu.

Et nous sentons bien que cette petite histoire du figuier porte en elle des questions tout à fait fondamentales, pas mieux résolues aujourd’hui qu’il y a 2000 ans. Tant que le profit primera sur les soins à donner aux vivants, notre christianisme aura quelque chose à dire.

Amen