Prédication du 23 septembre 2018

de Didier You

Tout le monde est invité

Lecture : psaume 54 (texte du jour) ; Luc 13, 22-29 ; Romains 2, 14-15

Introduction

Jésus était juif. Le christianisme est né dans et du judaïsme. L’un des apports du christianisme, et il est fondamental, c’est l’universalisme. Le judaïsme, surtout au 1er siècle, mais encore… était fermé sur lui-même, on ne frayait pas avec les « Gentils », les païens. On ne partageait pas le repas avec ces gens-là. On s’indignait que des pieds « païens », ceux des légionnaires, foulent la terre sacrée d’Israël. Même des Juifs dissidents, les Samaritains, étaient ostracisés.

Et que nous dit Jésus : des Juifs (ceux qui commettent l’injustice) seront chassés de la table de l’Éternel. Mais il viendra des hommes et des femmes de toute la Terre, des quatre points cardinaux pour se mettre à table avec le Seigneur. C’est une phrase extrêmement choquante et novatrice pour l’époque.

En grec, la terre habitée se nomme « oikouméné ». Nous en avons fait l’œcuménisme. De nos jours, l’œcuménisme apparaît parfois comme une version soft de l’universalisme, il est réduit au dialogue entre religions. Élargissons la vision.

Pour ce faire, je vous propose un peu de géométrie. Parlons de cercles concentriques. Nous nous mettrons au centre, sans orgueil, mais par pur esprit pratique. Et voyons quels sont ces cercles qui nous entourent, en deux parties, divisées chacune en deux sous parties.

I – Les Chrétiens

 A – Les protestants

Bizarrement, le dialogue entre protestants n’est pas le plus facile à établir.

Une anecdote : j’étais en vacances et je participais au culte à Saint-Georges de Didonne, Charente-maritime. Un paroissien me demande quelle paroisse je fréquente à Paris. Je réponds, le Foyer de l’Âme à la Bastille. Je vois alors se lever un sourcil soupçonneux. Mon interlocuteur, qui s’y connaissait, répond : « je n’ai jamais beaucoup lu le Pasteur Wagner ».

On voit que ce n’est pas gagné !

Autre exemple. Je viens de lire « Jésus pour le XXIème siècle » de John Shelby Spong, un des grands théologiens – libéraux – de notre temps. Il était évêque anglican aux États-Unis, dans une région appelée la « Bible Belt ». On y est très croyant, très pratiquant, voire plutôt bigot. Et Spong rapporte qu’il a reçu fréquemment des lettres de menaces pour lui et sa famille, en raison de ses positions théologiques, mais aussi de son engagement pour l’égalité des droits. Et il rapporte qu’un prédicateur baptiste révéré de la région, condamné 40 ans après le meurtre d’un défenseur des droits civiques, était « grand sorcier » du Ku Klux Klan local (sur le KKK, voir le film de Spike Lee). Difficile d’être œcuménique avec des gens de cette sorte.

Le fanatisme, il existe aussi chez les protestants. Jésus nous a pourtant appris à le dépasser. Le christianisme fut durant trois siècles seulement (avant de devenir la religion officielle de l’Empire romain) une religion vraiment pacifique. Après, que de crimes, que d’autodafés, de conversions forcées. Vous connaissez l’Histoire sanglante, la conquête de l’Amérique, le génocide des Indiens, la traite des esclaves, les bûchers de soit-disant sorcières, la mort sur le bûcher de Michel Servet à Genève du temps de Calvin en 1553…tout cela au nom du Christ… Et je ne parle que des protestants …

Allons, j’avoue. J’ai un peu noirci le tableau. Je me suis fait l’avocat du Diable.

Les lumières sont passées par là.

Depuis, il y a quand même eu la réunion avec les Luthériens. Et les grands rassemblements de « Protestants en fête », les Assemblées du Désert, les synodes, régionaux et nationaux nous rassurent, nous réunissent. Nous sommes unis, malgré quelques étiquettes divergentes.

B – Les autres christianismes

Après des siècles de guerres de religion, les choses se sont apaisées. Nous connaissons. Sait-on que les chevaliers chrétiens partis libérer la Terre sainte, en passant par Constantinople, ont un peu pillé …

Nous ne parviendrons jamais à l’unité dogmatique, pardon … doctrinale. Ce qui est sans doute une bonne chose. La Sainte Trinité, la perpétuelle virginité de Marie, la présence symbolique, réelle, consubstantielle ou transubstantielle du Christ à l’eucharistie, le nombre de sacrements, les frères de Jésus, l’infaillibilité pontificale, etc. nous sépareront toujours.

L’unité doctrinale au sommet ne se fera pas. Tant mieux. La richesse du christianisme est faite de ces divisions. Remercions Irénée, évêque de Lyon, qui, à la fin du IIème siècle, a recommandé de garder 4 Évangiles, même divergents…

Mais à la base, l’unité des chrétiens n’est-elle pas déjà réalisée ? Au-delà des positions théologiques, catholiques romains, orthodoxes grecs ou russes (quoique …), protestants ont pris conscience de leur patrimoine commun. Le Christ de la Justice et de l’Amour nous réunit souvent face à la guerre, aux souffrances, au cynisme, au racisme et à la haine.

L’Abbé Pierre, le Dr Schweitzer, Berdiaëff (philosophe russe) sont de grandes figures chrétiennes; nul ne songerait aujourd’hui, dans une dénomination ou une autre, à leur nier cette qualité.

II – Les non-chrétiens

A – Les autres religions

Il y a eu au cours des siècles des tentatives pour couper le cordon ombilical entre judaïsme et christianisme (Marcion par exemple, au IIème siècle, qui avait inventé l’idée d’ un « Nouveau testament », contre « l’ancien » qu’il refusait). Elles ont toutes échoué. Et nos Bibles comportent bel et bien deux Testaments. Même si une certaine judéophobie s’est parfois faite jour parmi ceux qui reconnaissaient néanmoins les deux Testaments, en considérant que les Juifs n’avaient rien compris à leur propre Bible. Luther par exemple (L’antisémitisme est une autre question, de nature ethnique). Ces polémiques sont un peu dépassées, mais il subsiste parfois l’idée que le christianisme serait le véritable Israël « verus Israël », c’est mieux en latin.

Le judaïsme ignore Jésus bien sûr. Mais c’est le même Dieu, celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.

Et il y a bien une filiation dans le monothéisme. L’apport de Jésus fut de franchir une étape dans ce domaine. Le Dieu de Moïse est un Dieu unique. Mais il est le Dieu de son peuple élu uniquement. L’Éternel des armées, le Saint d’Israël. Les autres dieux, les « Baal » comme on disait, sont de faux dieux, de vulgaires idoles matérielles.

Avec Jésus, on se met à réaliser que si il y a un seul Dieu, il est le Dieu de tous les hommes. Forcément.

Comme disait Paul, qui n’était pas un tiède, dans l’épître aux Romains : « Dieu est le Dieu de tous, le nôtre et aussi celui des païens ».

Il y eut Michel Servet, dont j’ai parlé, qui a tenté au XVIème siècle une réunion syncrétique des trois monothéismes. Il a mal fini… Il y eut aussi au début du XXème siècle, des tentatives de syncrétisme, pour réunir toutes les religions en une seule. Elles ont échoué. Comme le rappelait le pasteur Marchal, un tas de pierres, même précieuses, ne fait pas un monument. Il faut une histoire, une cohérence, une vision propres pour avoir des fondations solides.

Et puis « païen », ce terme qui se veut méprisant, désigne de grands esprits. : Platon, Virgile, Confucius… Ils n’étaient pas chrétiens. Ils ignoraient même le nom de Jésus. Mais ils ont fait avancer par leur intelligence, leurs écrits, leur poésie et leur enseignement la cause de l’humanité.

L’Islam (l’original, celui du Coran …) vénère Jésus, le plus grand des prophètes, derrière Mohamed. Jésus est même cité plus souvent que Mohamed dans le Coran, … et de plus moins que Marie, mère de Jésus et qualifiée de soeur d’Aaron. L’église chrétienne va progressivement diviniser Jésus, tout comme les traditions musulmanes viendront ultérieurement diviniser Mohamed. Mais, c’est une autre histoire…

Notre tâche consiste à chercher partout ce qui est conforme à l’esprit du Christ. Et nous le trouverons partout où il y a volonté de pureté, refus de la haine, intelligence chaleureuse. Et lorsqu’il y a cela, il y a Dieu, un Dieu d’un autre nom peut-être, voire une simple transcendance. Et donc pour nous, si il y a Dieu, il y a Christ. « Je suis le chemin » disait Jésus. D’autres ont pris un autre chemin. Mais, comme chantait Brel, on « cherchait le même port ».

B- L’athéisme

J’utilise le terme athéisme pour schématiser, pour désigner l’ « autre » absolu, celui dont les conceptions ne ressemblent même pas de loin à ce nous appelons une religion. Qu’il s’agisse d’athées, d’agnostiques, ou de croyants trop « exotiques », de religions trop bizarres.

La « mondialisation » nous met en contact avec tant d’autres visions, tant d’autres philosophies. Que d’oppositions culturelles, théologiques, linguistiques, sociologiques…

Mais il y a quelque chose d’irréductible, notre identité profonde d’être humain. Notre sang est œcuménique, notre faim est œcuménique, notre mort est œcuménique. Songeons à Shylock dans « Le Marchand de Venise » (il est juif, mais le raisonnement est le même) : Quand vous nous piquez, ne saignons-nous pas ?

Le médecin « sans frontières » ou de la Croix Rouge, demande-t-il la nationalité du mourant ? La Croix serait-elle moins œcuménique que ce médecin ? Quelle injure au Fils de l’Homme  que de penser qu’il est mort uniquement pour une élite pieuse !

Revenons à Paul et à l’épître aux Romains : « La loi religieuse doit être vécue. Quand ceux qui n’ont pas cette loi font naturellement ce que la loi ordonne, ils font voir que la prescription de la loi est gravée dans leur cœur ». C’est ce que l’on appelle parfois le « droit naturel », l’ensemble des valeurs qui constituent la dignité humaine, don de Dieu à ses enfants, à tous ses enfants. C’est dans le Préambule des statuts du Foyer de l’Âme, où François Lavelle (une pensée pour lui) lors d’une AG, nous avait invités à reprendre la devise de Évangile & Liberté : Tous les hommes, sans distinction, sont enfants de Dieu.

Conclusion

Pour tenter de conclure, revenons à nos cercles concentriques. Lorsque l’on jette une pierre au milieu d’un étang, les ondes se répandent en cercles concentriques qui s’éloignent du centre. Et, arrivées sur les bords, elles refluent vers le centre.

Elles reviennent avec d’autres « ondes », qui attendaient que l’on vienne les chercher.

Et le maître dont parle Jésus, les accueillera à la table du Royaume, sans rien leur demander.

Amen