Prédication du 15 juillet 2018

de Catherine Axelrad

La conversion de Pierre

Introduction

Nous allons poursuivre aujourd’hui la réflexion commencée dimanche dernier quand nous avons commenté la rencontre du diacre Philippe avec le haut fonctionnaire eunuque de la reine d’Éthiopie, et le baptême de celui-ci. Aujourd’hui notre lecture du chapitre 10 des Actes des Apôtres manifeste également le rôle de l’Esprit dans la naissance de l’Église ; comme dimanche dernier, l’Esprit est bien présent, même si, comme dimanche dernier, il n’agit pas exactement de la manière décrite par Luc. Commençons par un point de géographie : l’histoire que nous allons entendre et commenter se passe entre deux villes de la côte, qui existent encore aujourd’hui : Césarée et Jaffa, alors appelée Joffé. Césarée, ville romaine comme son nom l’indique, est aujourd’hui un site touristique connu surtout pour ses monuments (temples, amphithéâtre…) ; Joffé est aujourd’hui le port de Tel Aviv, mais c’est un port très ancien : c’est de là que d’après le texte biblique, le prophète Jonas aurait pris un bateau pour échapper aux ordres de Dieu. Et plus tard, Pierre ira de Joffé à Jérusalem, qui est à l’intérieur des terres. 50 kms environ le long de la côte entre Joffé et Césarée, 50 kms vers l’intérieur des terres pour aller de Joffé à Jérusalem.  Il faut également rappeler que quand cette histoire se produit, tous les chrétiens sont encore d’origine juive : les premières communautés chrétiennes sont des communautés judéo-chrétiennes, des communautés de juifs qui se sont convertis au Christ – des hommes que le texte appelle souvent des « circoncis convertis ». Mais nous avons entendu dimanche dernier que des rencontres improbables peuvent se produire, et nous allons l’entendre aujourd’hui encore. Comme le texte est très long, je vous résume le début de l’histoire :

Il s’agit d’un officier romain nommé Corneille, un centenier qui est en poste à Césarée ; il fait donc partie de la légion « italique », celle qui occupe la Judée (6000 hommes) ; il est craignant Dieu, prie, aide les populations locales et leur fait l’aumône. Il cherche Dieu depuis longtemps, a peut-être entendu parler du Christ mais le texte ne le précise pas. C’est un soldat romain qui aime le peuple juif et essaie de l’aider (ce qui doit être assez rare car la Palestine n’est pas forcément une destination peu recherchée par les soldats romains). Et voilà que Corneille a une vision (vue et audition) : un ange lui ordonne de faire venir un certain Simon appelé Pierre. Corneille ne pose pas de question, obéit et envoie deux domestiques et un soldat à Joffé ; donc deux jours de marche environ.

Le lendemain, donc pendant que ces personnes sont en route, Pierre lui-même, qui n’est encore au courant de rien, est monté sur la terrasse de la maison où il est hébergé à Joffé. C’est bientôt l’heure de déjeuner, Pierre commence à avoir faim, mais le repas n’est pas prêt et en attendant il s’est mis à prier. Il contemple le ciel ouvert, et voilà qu’il a une vision, lui aussi – une extase : il voit une grande toile tendue à plat dans les airs, comme une nappe, couverte d’animaux bons à manger ; de la volaille, des reptiles, des mammifères – peut-être même des porcs, qui sait – même si le texte ne le précise pas. Et il entend une voix céleste qui lui ordonne de tuer ces bêtes et de les manger. Oui mais voilà, tous ces animaux, ce sont ceux qu’il est absolument interdit de manger dans la religion juive. On vient de l’entendre avec les extraits du chapitre 11, le Lévitique est rempli de ces interdits ; depuis des siècles, ces aliments sont considérés comme immondes et impurs. Alors quand Pierre entend la voix céleste lui dire de manger, il proteste, il dit « Jamais, Seigneur, car de ma vie jamais je n’ai rien mangé d’immonde ni d’impur » – mais là, stupeur : au lieu de le féliciter, la voix lui fait des reproches : « Ce que Dieu a rendu pur, ce n’est quand même pas toi qui va le déclarer impur ! » Et la scène se répète trois fois, et Pierre n’y comprend rien – et quand il reprend ses esprits et se retrouve sur la terrasse, il n’y comprend rien non plus.  Mais ce n’est que le début d’une histoire magnifique – une histoire fondamentale, une histoire qui va bousculer les communautés judéo-chrétiennes et permettre la naissance de l’Église universelle. Nous allons écouter cette histoire telle que Luc la raconte dans les Actes des apôtres.

Lecture biblique

Actes des apôtres, chapitre 10 – versets 17 à 48

Pierre était perplexe sur le sens de la vision qu’il avait eue. C’est alors que les hommes envoyés par Corneille, après s’être renseignés pour trouver la maison de Simon, survinrent à la porte d’entrée ; ils appelèrent et demandèrent si c’était là que logeait Simon surnommé Pierre. Comme Pierre réfléchissait à la vision, l’Esprit lui dit : Il y a là trois hommes qui te cherchent ; descends et pars avec eux sans la moindre hésitation, car c’est moi qui les ai envoyés. Pierre descendit donc et dit aux hommes : C’est moi que vous cherchez ; pour quel motif êtes-vous ici ? Ils répondirent : Le centurion Corneille, un homme juste, craignant Dieu et de qui toute la nation des Juifs rend un bon témoignage, a été divinement averti par un saint ange : il doit te faire venir chez lui pour t’entendre. Alors il les fit entrer et les logea.

Le lendemain, il se leva et partit avec eux. Quelques frères de Joppé l’accompagnèrent. Il arriva à Césarée le jour suivant. Corneille les attendait et avait appelé chez lui ses amis et les gens de sa parenté. A l’arrivée de Pierre, Corneille, qui était allé à sa rencontre, tomba à ses pieds et se prosterna. Mais Pierre le releva en disant : Lève-toi ; moi aussi, je suis un être humain. Tout en conversant avec lui, il entra et trouva beaucoup de gens réunis. Il leur dit : Vous savez qu’il est interdit à un Juif de se lier avec un étranger ou d’entrer chez lui ; mais Dieu m’a montré qu’il ne fallait dire d’aucun homme qu’il est souillé ou impur. C’est pourquoi, quand vous avez envoyé quelqu’un me chercher, je suis venu sans aucune objection ; je vous demande donc pour quelle raison vous m’avez fait venir. Corneille dit : Il y a maintenant quatre jours, je priais chez moi, à la neuvième heure ; soudain un homme en habit resplendissant s’est présenté devant moi et a dit : Corneille, ta prière a été exaucée, et Dieu s’est souvenu de tes actes de compassion. Quand il sera arrivé, il te parlera. Envoie donc quelqu’un appeler à Joppé Simon surnommé Pierre ; il loge dans la maison de Simon, le tanneur, au bord de la mer. Je t’ai immédiatement envoyé quelqu’un, et toi, tu as eu la bonté de venir. Maintenant donc, nous, nous sommes tous ici devant Dieu, pour entendre tout ce que le Seigneur t’a ordonné de dire.

Alors Pierre prit la parole : En vérité, dit-il, je comprends que Dieu n’est pas partial, mais qu’en toute nation celui qui le craint et pratique la justice est agréé de lui. Il a envoyé la Parole aux Israélites, en leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ : c’est lui qui est le Seigneur de tous… Vous, vous savez ce qui est arrivé dans toute la Judée, après avoir commencé en Galilée, à la suite du baptême que Jean a proclamé : comment Dieu a conféré une onction d’Esprit saint et de puissance à Jésus de Nazareth qui, là où il passait, faisait du bien et guérissait tous ceux qui étaient opprimés par le diable ; car Dieu était avec lui. Nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le pendant au bois, Dieu l’a réveillé le troisième jour ; il lui a donné de se manifester, non à tout le peuple, mais aux témoins désignés d’avance par Dieu, à nous qui avons mangé et bu avec lui après qu’il s’est relevé d’entre les morts. Et il nous a enjoint de proclamer au peuple et d’attester que c’est lui que Dieu a institué juge des vivants et des morts. Tous les prophètes lui rendent ce témoignage : quiconque met sa foi en lui reçoit par son nom le pardon des péchés.

Pierre était encore en train de dire cela quand l’Esprit saint tomba sur tous ceux qui écoutaient la Parole. Tous les croyants circoncis qui étaient venus avec Pierre furent stupéfaits de voir que le don de l’Esprit saint était aussi répandu sur les non-Juifs. Car ils les entendaient parler en langues et magnifier Dieu. Alors Pierre reprit : Peut-on refuser l’eau du baptême à ces gens, qui ont reçu l’Esprit saint tout comme nous ? Il ordonna qu’ils reçoivent le baptême au nom de Jésus-Christ. Ils lui demandèrent alors de demeurer là quelques jours.

Prédication

Cette histoire qu’on vient d’entendre, on l’appelle habituellement celle de la conversion du Centenier Corneille. C’est normal, puisque Corneille, qui aimait déjà le peuple juif et s’intéressait au dieu d’Israël, reçoit par l’intermédiaire de l’ange puis par sa rencontre avec l’apôtre Pierre la révélation que ce Dieu est tout proche ; même si le texte ne le dit pas en toutes lettres, on comprend qu’il découvre la présence de Christ dans sa vie, cette présence qu’on appelle la grâce – et nous savons que le baptême qu’il va recevoir manifestera cette grâce aux yeux de tous les croyants. Même s’il ne peut pas faire lui-même tout le chemin jusqu’à Joffé pour rejoindre Pierre (il n’a sans doute pas le droit de quitter son poste), en le faisant chercher et surtout en allant à sa rencontre c’est déjà une manière de chercher à se rapprocher de lui. Mais en réalité, ce que cette histoire magnifique nous raconte, c’est surtout la conversion de Pierre – une conversion qui va avoir une importance fondamentale, une conversion qui va bouleverser tous ses principes religieux, et qui bouleversera encore plus toutes les premières communautés chrétiennes. A moins que cette histoire n’ait été racontée pour justifier des bouleversements qui se manifestaient déjà – c’est bien possible, car comme je vous l’ai dit tout à l’heure, au premier siècle ces communautés étaient en réalité des communautés judéo-chrétiennes, elles étaient composées de juifs convertis au Christ – ces personnes que Luc, on l’a entendu, appelle dans les Actes des apôtres des croyants circoncis, c’est-à-dire des juifs qui étaient baptisés mais qui continuaient à pratiquer les obligations rituelles et les interdits alimentaires, et surtout des gens qui croyaient que le Christ était venu seulement pour les juifs, pas pour les autres. Alors bien sûr, vous vous en doutez, l’histoire ne s’arrête pas au moment où notre lecture s’est arrêtée, quand Pierre ordonne que le centenier romain Corneille reçoive le baptême. Parce que pour beaucoup de ces judéo-chrétiens, aller chez Corneille, manger avec lui, le baptiser, ces actions étaient encore plus scandaleuses que le baptême de l’eunuque éthiopien par Philippe – maintenant, pour beaucoup de ces judéo-chrétiens, Pierre dépasse les bornes. Les gens ne comprennent pas. Quand vous rentrerez chez vous et que vous relirez ce chapitre 10 des Actes des apôtres, vous lirez aussi la suite, le début du chapitre 11, et vous verrez qu’après cette histoire, Pierre a été convoqué par les autres apôtres et les frères de Jérusalem pour s’expliquer – et ça ne s’est pas passé tout seul : « tu es entré chez des incirconcis notoires, et tu as mangé avec eux !!! » (verset 3). Et Pierre sera obligé de tout leur raconter pour qu’ils retrouvent leur calme en disant « voilà que Dieu a donné aussi aux nations païennes la conversion qui mène à la vie !». Oui, voilà le sens profond de cette histoire, une histoire absolument fondamentale pour nous puisqu’elle va transformer ces petites sectes judéo-chrétiennes et leur permettre de devenir, tout simplement, l’Église universelle.  Mais pour que cette transformation soit possible, il a fallu cette conversion de Pierre, et je voudrais juste que nous la regardions d’un peu plus près, à la fois comme un événement théologique et comme un exemple à suivre.

Descends et pars sans hésitation ! C’est l’Esprit qui parle à Pierre et le bouscule déjà. L’Esprit, qui a déjà secoué les apôtres à la Pentecôte – et vous avez entendu qu’on assiste ici à une deuxième Pentecôte, quand tous ces incirconcis se mettent eux aussi à parler en langues – l’Esprit qui vient maintenant de lui envoyer cette vision épouvantable, tous ces animaux impurs – l’Esprit qui lui a dit qu’il pouvait, non, qu’il devait les manger ! On a du mal aujourd’hui à imaginer le traumatisme : ce que Pierre a vu et entendu, c’est tout simplement le contraire de ce qu’il a toujours appris, le contraire de tout ce qui est prescrit dans la Torah, en particulier dans le Lévitique où on trouve des pages et des pages sur les animaux et les aliments impurs, et même sur l’impureté des humains, bien sûr. Et ce qui est extraordinaire, justement, c’est que devant cette manifestation de l’Esprit, Pierre n’a pas – ou presque pas – discuté. Dans cette vision qu’il ne comprenait pas, dont le texte nous dit en insistant combien elle lui fait horreur, il a reconnu quelque chose qui le dépassait – quelque chose de l’ordre d’un message divin. Il aurait pu rejeter ce message, penser qu’il venait du diable, continuer à protester, mais non ; Pierre est souvent impulsif et réagit au quart de tour, mais ce que sa fréquentation du Christ lui a enseigné avant tout, c’est à écouter et à chercher ce que Dieu attend de lui. Et non seulement il a écouté, mais le plus extraordinaire c’est qu’il s’est laissé transformer par ce message – aujourd’hui on dirait « il s’est laissé déplacer » – et il le dit : « Dieu m’a montré qu’il ne fallait dire d’aucun homme qu’il est souillé ou impur ». C’est pourtant écrit dans la Bible, à plusieurs endroits et en toutes lettres, mais Dieu lui a montré que ces différences entre les humains, ça n’avait plus de sens, c’était terminé. La voilà, la conversion de Pierre : à partir de ce moment-là, même s’il y aura de nombreuses rechutes de sa part, et bien sûr des milliers d’occasions où les chrétiens oublieront ce message et se croiront autorisés à condamner, ou même à « purifier », y compris par le feu, l’essentiel est dit et écrit : on ne doit dire d’aucun humain qu’il est souillé ou impur. Cette phrase s’adresse à chacune et chacun de nous, elle exprime tout simplement l’amour universel, et pourtant – je ne sais pas ce que vous en pensez, mais il me semble qu’elle n’est pas toujours facile à entendre et encore moins à respecter. C’est tellement plus facile, plus rassurant, de cultiver la haine, le mépris, ou simplement l’indifférence envers nos frères humains, tous nos frères humains, sans nous sentir obligés de les comprendre et de les respecter. C’est pourquoi, comme Pierre, comme les juifs nouveaux chrétiens qui l’écoutent, pour devenir vraiment humains nous avons grand besoin d’une nouvelle Pentecôte – nous avons grand besoin que l’Esprit saint nous tombe dessus pour nous aider à nous ouvrir aux autres – à tous les autres-, qu’il nous donne au contraire le don des langues pour nous permettre de vraiment les rencontrer et de les respecter. Nous aussi avons besoin de recevoir l’Esprit, pas par des visions ou de manifestations surnaturelles mais par sa présence dans nos cœurs (et d’ailleurs c’était sans doute déjà le sens de la vision de Pierre, sa manière de répondre aux questions qui commençaient à se poser dans l’Église) car nous avons besoin, comme Pierre, de nous continuer à nous convertir. Parce que cette conversion, cette ouverture à la nouveauté et à l’écoute, elle ne nous est pas demandée une fois mais en permanence. En deux jours, Pierre a appris la véritable humilité, celle qui consiste à renoncer à ses certitudes, à ses conformismes : il a entendu, compris et accepté un message divin qui lui disait le contraire de ce qu’on lui avait enseigné toute sa vie comme un principe religieux immuable. Il a découvert le sens de la véritable fraternité, puisqu’il a relevé un non-juif en lui disant moi aussi, je suis un être humain, nous sommes différents mais je suis ton frère en humanité ; et pour finir, il découvre que la grâce de Dieu en Jésus-Christ par le don de l’Esprit n’est pas réservée aux juifs mais qu’elle est  offerte à tous. « Tous les croyants circoncis furent stupéfaits de voir que le don de l’Esprit saint était aussi répandu sur les non juifs ». C’est très important cette deuxième petite Pentecôte, d’une certaine manière, Luc a conscience des risques et démine le terrain : il affirme dès le début que la foi chrétienne découverte et adoptée par les non-juifs a autant de valeur que celle des juifs circoncis, qui avaient déjà reçu l’esprit à la Pentecôte. Il y a en effet de quoi se réjouir et parler en langues ! Le baptême que Corneille et sa maisonnée vont recevoir, c’est tout simplement le signe de cette grâce que nous sommes tous invités à demander et à recevoir, pour nous aider à proclamer qu’aucun être humain n’est souillé ni impur – pour nous aider, tout simplement, à aimer.

Amen