Prédication du 20 avril 2025
Dimanche de Pâques
Confirmation de Fabrice
de Dominique Imbert-Hernandez
Le tombeau vide
Lecture : Jean 20, 1-18
Lecture biblique
Jean 20, 1-18
1 Le premier jour de la semaine, Marie-Madeleine vient au tombeau dès le matin, alors qu’il fait encore sombre, et elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau.
2 Elle court trouver Simon Pierre et l’autre disciple, l’ami de Jésus, et elle leur dit : On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis !
3 Pierre et l’autre disciple sortirent donc pour venir au tombeau.
4 Ils couraient tous deux ensemble. Mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau ;
5 il se baisse, voit les bandelettes qui gisent là ; pourtant il n’entra pas.
6 Simon Pierre, qui le suivait, arrive. Entrant dans le tombeau, il voit les bandelettes qui gisent là
7 et le linge qui était sur la tête de Jésus ; ce linge ne gisait pas avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre lieu.
8 Alors l’autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau, entra aussi ; il vit et il crut.
9 Car ils n’avaient pas encore compris l’Ecriture, selon laquelle il devait se relever d’entre les morts.
10 Les disciples s’en retournèrent donc chez eux.
11 Cependant Marie se tenait dehors, près du tombeau, et elle pleurait. Tout en pleurant, elle se baissa pour regarder dans le tombeau.
12 Elle voit alors deux anges vêtus de blanc, assis là où gisait précédemment le corps de Jésus, l’un à la tête et l’autre aux pieds.
13 Ils lui dirent : Femme, pourquoi pleures-tu ? Elle leur répondit : Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis.
14 Après avoir dit cela, elle se retourna ; elle voit Jésus, debout ; mais elle ne savait pas que c’était Jésus.
15 Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? Pensant que c’était le jardinier, elle lui dit : Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et moi, j’irai le prendre.
16 Jésus lui dit : Marie ! Elle se retourna et lui dit en hébreu : Rabbouni ! – c’est-à-dire : Maître !
17 Jésus lui dit : Cesse de t’accrocher à moi, car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va vers mes frères et dis-leur que je monte vers celui qui est mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu.
18 Marie-Madeleine vient annoncer aux disciples qu’elle a vu le Seigneur et qu’il lui a dit cela.
Prédication
Nous voici à célébrer aujourd’hui le commencement. Un commencement, c’est déjà en soi un événement, et c’est aussi un commencement parce qu’un événement qui se produit. Quelque chose advient, survient, surgit, qui n’était pas là auparavant. Il n’y avait pas absolument rien avant : il y avait déjà le monde, l’histoire, des personnes, des histoires. Mais ce qui commence est nouveau, le nouveau provoque le commencement.
Ce commencement, celui que nous célébrons aujourd’hui, est celui dans lequel s’enracine notre foi, la foi de chacun et de chacune, avec sa part de questions, de doute, d’évolution, de dynamique. Environ 2000 ans nous séparent de l’événement qui a produit ce commencement et nous sommes aussi insérés dans cette longue histoire de celles et ceux qui reconnaissent, qui confessent que le Christ est vivant.
Aujourd’hui nous lisons ce qu’a écrit Jean vers la fin du premier siècle, au sujet de cet événement du commencement, du moins la première partie de son récit qui recouvre une seule journée, qui clôt l’évangile dans sa rédaction initiale. Le chapitre suivant a été ajouté ultérieurement.
Cette journée commence dans l’aube à peine naissante : il fait encore sombre quand Marie la Magdaléenne vient au tombeau et voit que la pierre a été enlevée.
Pierre et l’autre disciple, que Marie, affolée, est allée chercher, constatent que le tombeau est vide. Il est vide de ce qu’il devrait contenir : un corps mort, un cadavre, celui de Jésus qui a été crucifié l’avant-veille.
De quoi le tombeau vide est-il le signe ? L’évangile de Jean est l’évangile des signes, c’est-à-dire que ce qui est vu signale, désigne autre chose que ce qui est vu, un « autre chose » qui dans l’évangile est toujours en relation avec la transcendance. Les signes, pour Jean, font comprendre quelque chose de Dieu ou qui vient de Dieu.
Pour Marie, l’évidence est que le corps de Jésus a été pris, enlevé par un « on » indéterminé. C’est logique : si quelque chose a disparu, c’est que quelqu’un l’a pris. C’est une explication tout à fait rationnelle, mais cela ne fait pas un signe, selon la terminologie johannique.
Pierre et l’autre disciple voient que le tombeau est vide du corps, pas complètement vide car les bandelettes gisent là et le linge qui recouvrait la tête de Jésus est roulé à part. C’est étrange : si le corps été emporté et transporté ailleurs, pourquoi en avoir ôté ce qui le recouvrait et avoir roulé soigneusement le linge qui recouvrait la tête ? C’est peut-être ce que se dit Pierre qui retourne chez lui certainement perplexe. L’autre disciple voit et croit, écrit Jean. Lui comprend que le tombeau vide où il ne reste que ce qui entoure un cadavre est le signe.
De quoi le tombeau vide est-il le signe ?
1) Le tombeau est le lieu du mort et de la mémoire qu’on garde de lui. Il est le lieu qui dit que la mort a emporté et garde le ou la défunte, le lieu qui rappelle que la mort est inéluctable et qu’elle met fin à toute vie humaine, le lieu qui dit le poids de la mort sur les vivants. Le tombeau vide, vidé, ne remplit pas ce pour quoi il est tombeau. Ce n’est plus le lieu pour le mort et pour la mort. D’autant plus que Jean précise que la pierre a été enlevée. Pas roulée comme l’écrivent Matthieu, Marc et Luc, mais enlevée, comme si elle avait disparu, et alors ce tombeau ne pourra plus être tombeau car un tombeau doit pouvoir être fermé sinon il n’est plus qu’un trou dans la roche. Il n’y aura plus aucun tombeau pour enfermer le Christ vivant. Le tombeau vide est le signe que la mort n’a pas retenu celui qui a été crucifié, qu’il y a autre chose que la fin qu’est la mort, autre chose que les souvenirs que l’on garde de Jésus. Jean ne dit pas ce que croit l’autre disciple, ce n’est pas toujours facile de formuler ce qu’on croit. Il y a quelque chose, autre chose que la mort et malgré elle. Nous, nous avons le mot de résurrection à disposition depuis 2000 ans, c’est facile. Ce qui est déjà moins facile c’est de dire ce que ce mot signifie pour soi. Le tombeau vide nous détourne de la fascination et de l’emprise de la mort, de toutes les sortes de mort. La mort n’est pas notre destinée et ce n’est pas pour l’au-delà, c’est pour maintenant. Marie en est l’exemple, ressuscitée qu’elle est par l’appel du Christ : Marie ! Le Christ est ressuscité pour que nous ressuscitions aussi.
2) Le tombeau est vide. Le vide est aussi signifiant d’une autre manière. Un lieu vide important au temps de Jésus, c’était le vide du saint des saint dans le Temple de Jérusalem, là où le grand-prêtre entrait seul et seulement un fois par an, le jour de Kippour, le grand pardon qui rétablissait la relation entre le Dieu d’Israël et son peuple. Ce lieu vide qui était le lieu pour Dieu, non le lieu où Dieu est, mais le lieu où il vient et pas de manière matérielle. Lorsque Jean écrit, il n’y a plus de Temple à Jérusalem, mais la notion de vide reste pertinente pour dire paradoxalement quelque chose de la venue, de la présence de la transcendance. D’abord parce que le vide est, d’une certaine manière, relié à l’infini, comme on parle du vide intersidéral infini, même si la physique aujourd’hui comprend autrement ce que nous appelons communément l’infini. Du vide à l’infini et à Dieu, nous pouvons faire une association qui n’est certes pas scientifique mais plutôt balbutiante et au mieux poétique. Et puis le vide, c’est aussi de l’espace libre, libre pour que Dieu vienne, libre pour que la transcendance nous rejoigne dans notre intériorité, vienne habiter dans notre âme. Notre espace intérieur n’est pas forcément à remplir, à combler d’occupations ou de distractions. Parce que sinon, serions comme ensevelis vivants par ce que la mort viendra de toute manière supprimer. Et aussi parce que nous pourrions ne pas reconnaître le Christ vivant quand il vient, au travers d’un jardinier par exemple.
3) Le tombeau vide oriente aussi notre compréhension vers la manière dont le Christ ressuscité, vivant, se rend présent. Marie la Magdaléenne finit par le reconnaître en celui qu’elle a pris pour le jardinier. La présence du Ressuscité ne relève pas de la matérialité d’un corps – il n’y a pas de corps ! – mais elle relève du domaine spirituel, d’un autre mode tout à fait réel. Le spirituel, c’est absolument réel, ce n’est pas un concept, une idée ou un idéal. D’ailleurs les récits évangéliques sont bien d’accord : le Christ surgit dans une pièce fermée pour Jean, il disparaît de l’auberge d’Emmaüs pour Luc. L’espace n’est pas seulement peuplé de nos corps et de nos objets. Le vide pointe vers cette présence insaisissable et pourtant réelle, dépourvue de sensationnel mais essentielle, invisible et pourtant perceptible. Ce mode de présence, Jean et d’autres l’expriment en termes de rencontre, avec Marie de Magdala, avec les autres disciples, avec les deux qui marchent sur la route d’Emmaüs, tous ressuscités par la présence du Ressuscité qu’ils reconnaissent dans la foi. Ces rencontres des évangiles nous font comprendre quelque chose de nos propres résurrections, que chacun peut exprimer avec ses propres mots selon sa propre expérience de saisissement, de relèvement, d’élan de vie vers la vie, de jaillissement de joie, de conviction intérieure, de communion avec d’autres, de certitude d’être reconnu pour soi comme Marie est appelée par son nom par le Christ. C’est elle, et pas une autre, pas n’importe qui. C’est elle, avec son aveuglement, ses larmes, son deuil, sa solitude, qui est ressuscitée et envoyée vers les disciples.
Avec le Christ ressuscité, c’est notre singularité qui est appelée, reconnue, relevée, envoyée. Voici l’événement du commencement dont les disciples, ceux des évangiles, et Paul, et les autres jusqu’aux disciples d’aujourd’hui, portent la trace dans leur être et dans leur existence.
La résurrection du Christ, c’est la possibilité et l’événement de notre résurrection. Quand nous croyons que le Christ est ressuscité, vivant d’une autre vie que la nôtre, c’est que nous le sommes aussi dans notre existence. L’événement de la résurrection du Christ provoque l’événement de la résurrection d’hommes et de femmes. Un double événement, l’un attesté depuis 2000 ans, l’autre singulier, individuel dans le temps de celui ou celle en qui il advient. Ce qui a commencé il y a bien longtemps continue à se répercuter, suscite encore des commencements, comme un flux de vie soulevant une par une les humaines incarnations qui le perçoivent et le reçoivent. Deux événements profondément reliés, l’un entraînant l’autre ; et deux sortes de résurrection :
- l’une, celle du Christ, en plénitude spirituelle
- et les autres, les nôtres, spirituelles et dans notre chair, répondant à celle du Christ.
Pâques ce n’est pas dans le passé seulement, c’est aussi toujours au présent que le Christ est vivant, ressuscitant.