Prédication du 13 avril 2025
Dimanche des Rameaux
Baptême de Robinson
de Dominique Imbert-Hernandez
L’agapè sur un ânon
Lectures : 1 Corinthiens 12, 31-13, 13 et Jean 12, 12-15
Lectures bibliques
1 Corinthiens 12, 31-13, 13
31 Passionnez-vous pour les meilleurs dons de la grâce.
Et je vais vous montrer la voie qui surpasse tout.
1 Quand je parlerais les langues des humains et des anges, si je n’ai pas l’amour, je suis une pièce de bronze qui résonne ou une cymbale qui retentit.
2 Quand j’aurais la capacité de parler en prophète, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j’aurais même toute la foi qui transporte des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien.
3 Quand je distribuerais tous mes biens, quand même je livrerais mon corps pour en tirer fierté, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert à rien.
4 L’amour est patient, l’amour est bon, il n’a pas de passion jalouse ; l’amour ne se vante pas, il ne se gonfle pas d’orgueil,
5 il ne fait rien d’inconvenant, il ne cherche pas son propre intérêt, il ne s’irrite pas, il ne tient pas compte du mal ;
6 il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit avec la vérité ;
7 il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.
8 L’amour ne succombe jamais. Les messages de prophètes ? ils seront abolis ; les langues ? elles cesseront ; la connaissance ? elle sera abolie.
9 Car c’est partiellement que nous connaissons, c’est partiellement que nous parlons en prophètes ;
10 mais quand viendra l’accomplissement, ce qui est partiel sera aboli.
11 Lorsque j’étais tout petit, je parlais comme un tout-petit, je pensais comme un tout-petit, je raisonnais comme un tout-petit ; lorsque je suis devenu un homme, j’ai aboli ce qui était propre au tout-petit.
12 Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse, mais alors ce sera face à face. Aujourd’hui je connais partiellement, mais alors je connaîtrai comme je suis connu.
13 Or maintenant trois choses demeurent : la foi, l’espérance, l’amour ; mais c’est l’amour qui est le plus grand.
Jean 12, 12-15
12 Le lendemain, la grande foule qui était venue pour la fête entendit dire que Jésus venait à Jérusalem ;
13 les gens prirent des branches de palmiers et sortirent au-devant de lui, en criant :
Hosanna !
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur,
le roi d’Israël.
14 Jésus trouva un ânon et s’assit dessus, selon ce qui est écrit :
15 N’aie pas peur, fille de Sion ;
ton roi vient,
assis sur le petit d’une ânesse.
Prédication
En ce dimanche des Rameaux, nous voici avec deux textes où il est question de chemin.
Jésus de Nazareth entre à Jérusalem. Dans l’évangile de Jean, ce n’est pas la première fois, Jésus y est venu déjà deux fois. Mais cette fois-ci est particulière puisque Jésus y entre assis sur un ânon et que des gens, habitants de Jérusalem ou venus à l’occasion de la fête de Souccot avant la fête de Pâques, viennent au-devant de lui avec des branches de palmier et en criant Hosanna, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël ! Sur le chemin de Jésus, se croisent et se mêlent l’aspiration du peuple, les paroles du prophète, la détermination et la fidélité de Jésus. L’aspiration du peuple sera déçue, les paroles du prophète sont interprétées dans un écart avec l’attente commune, la détermination et la fidélité de Jésus le conduiront au Golgotha. Car Jésus n’est pas en chemin vers un sacre royal, il est en chemin vers une autre élévation puisque c’est avec ce terme que l’évangéliste Jean parle de la croix, même s’il y aura ensuite Pâques et la résurrection.
Aux chrétiens de Corinthe qui ont un peu de mal à se tenir ensemble, en communion fraternelle dans la diversité des dons de l’Esprit qui se manifeste parmi eux, Paul indique la voie qui surpasse tout, la voie par excellence, par laquelle ils peuvent témoigner de leur appartenance à une autre logique que celle du monde, témoigner du fondement de leur existence et de l’essentiel qui les fait vivre. Cette voie, ce chemin, c’est l’amour, qui ne succombe jamais, qui est la plus grande des trois choses qui demeurent avec la foi et l’espérance.
Le chemin de Jésus dans l’évangile de Jean est aussi un chemin d’amour, ce que l’évangéliste déploiera explicitement dans la suite du récit avec la femme qui va oindre la tête de Jésus avec un parfum de grand prix, avec les pieds des disciples lavés par le Seigneur afin de les élever comme ses co-acteurs de la volonté de Dieu, avec le commandement d’amour donné comme signe de foi et de reconnaissance. Mais déjà, celui qui entre à Jérusalem, assis sur un ânon, sous les acclamations de la foule, celui qui est la Parole de Dieu faite chair, Parole en qui sont la vie et la lumière du monde, est aussi amour de Dieu vivant. Et en cela, le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem nous indique, au-delà du grand malentendu entre l’aspiration de la foule et la vérité de Celui qui vient au nom du Seigneur, ce récit nous fait comprendre quelque chose de l’amour qui vient, toujours, encore, en Christ, non pas dans une ville, que ce soit la Jérusalem d’aujourd’hui, Rome ou Genève, mais l’amour qui, en Christ, vient vers chacun, chacune, en chaque personne, au risque de ne pas être accueilli. Un amour qui vient, comme assis sur un ânon,
même pas un âne mais un ânon, c’est-à-dire un avenir, un devenir, une forme de chemin ;
un amour qui vient comme assis sur un ânon, c’est à dire sans arme, sans user d’une quelconque séduction, sans endetter, sans contraindre, sans prétendre. Le Christ qui vient, comme assis sur un ânon, c’est l’amour sans autre pouvoir que le sien, qui est quand même le pouvoir de créer la vie, l’être, le monde, pour tous et toutes.
Lorsque Paul indique la voie par excellence aux Corinthiens, il emploie le terme grec d’agapé, un parmi les nombreux mots du grec pour dire l’amour. Car en français nous n’en avons guère qu’un, que ce soit pour Dieu, le prochain, les amis, le cinéma ou les fraises, ce qui provoque souvent des confusions mais conduit aussi à en dire un peu plus, à préciser en dialogue, en image ou en poème, quelle est la nature de l’amour dont on parle.
L’amour dont parle Paul, l’agapè dont il égraine les actions et les refus dans un magnifique poème ou chant (l’hymne à l’amour), c’est d’abord l’amour qui fait être : sans l’amour, je ne suis rien. L’agapè, c’est le cœur de l’existence et c’est bien plus qu’une éthique, qu’une pratique, c’est une reconnaissance de ce que c’est qu’être. C’est une reconnaissance, presqu’une confession, à rebours de tout ce que nous tentons et de ce tout ce qui nous est imposé pour exister. Ce qui nous crée humains vivants ne tient pas à tout ce que nous pouvons ou cherchons à accumuler de sciences, de connaissances, d’actes plus ou moins remarquables. Ces quantités accumulables jusqu’à une totalité (toutes les langues, tous mes biens…) sont même dangereuses en ce qu’elles activent en permanence en nous le souci de nous-mêmes, un égocentrisme qui altère les relations aux autres en les menaçant ou en les soumettant, et qui altère aussi la relation à Dieu en la faisant virer à l’idolâtrie d’un dieu qui en voudrait toujours plus et devant lequel il faudrait toujours se justifier. Idolâtrie parce que ce dieu-là n’est pas le Seigneur qui envoie le Christ Jésus assis sur un ânon.
Le chant de l’agapé de Paul ouvre à autre chose que nous-mêmes, à autre chose que ce que nous pouvons posséder, avoir en propre de capacités ou de sciences. Il vient fendre ce que nous croyons savoir de l’existence et de l’amour, non pas pour nous humilier ou nous laisser au désespoir, mais pour laisser passer autre chose, un agapé soufflé d’ailleurs, dont quelques échos peuvent suffire à s’interroger soi-même et à se tourner vers la source de l’agapé.
Dans l’évangile de Jean, la foule qui crie au passage de Jésus assis sur un ânon : Hosannah ! Béni soit Celui qui vient au nom de Seigneur, le roi d’Israël ne le reconnaît pourtant pas au-delà de l’instant de l’acclamation, prise comme elle l’est dans le filet des pouvoirs, des paraîtres et de leurs luttes à vouloir tout, tout sauf l’agapé qui ne se gonfle pas d’orgueil, qui ne fait rien d’inconvenant, qui ne cherche pas son propre intérêt, qui ne se réjouit pas de l’injustice…
Alors forcément, le porteur de l’agapé, l’agapé fait homme, est assis sur un ânon, et c’est bien par lui que le salut vient. Hosanna est le cri de l’attente du salut. Il est une interpellation, une supplication adressée à l’Éternel : Dieu, sauve donc ! Jésus, dont le nom même signifie Dieu sauve, n’a cessé de mettre en œuvre le salut de Dieu. Le salut de Dieu, nous pouvons le comprendre avec toutes les Écritures comme une libération
des oppressions qui empêchent de vivre en personne libre et responsable
des déterminismes : les jugements contraignants portés sur les personnes,
des aveuglements des illusions et des idolâtries,
des paralysies causées par la peur de vivre,
de la culpabilité sans fin des erreurs et des échecs ,
de la nécessité de se justifier d’être vivant,
du repli sur soi qui fait de l’âme un désert,
de l’absence de sens.
Une libération comme une création, une re-création, et même une résurrection de l’humain, non par l’intervention d’une armée céleste, mais par une Parole de vérité qui donne vie. C’est aussi une manière de comprendre ce qu’est le salut : le don de la vie là où elle manque, là où elle est étouffée. La vie qui vient par l’agapè que chante Paul.
L’agapé soufflé d’ailleurs transfigure nos vies et nos amours par la puissance de création et de sens qu’il porte. L’agapé qui est puissance du Christ vivant travaillant, œuvrant en nous. Il est l’amour qui nous permet d’accepter d’être aimé plutôt que de vouloir être aimé, ce qui n’est pas du tout la même chose et il importe de ne pas les confondre. Car vouloir être aimé ne tient compte que de soi et pas de l’autre, qu’il considère alors comme un objet qui doit se plier à sa volonté, alors que l’amour transfiguré d’agapé n’a pas de passion jalouse et ne se vante pas.
Et cela nous met en chemin, chemin de vie véritable, un chemin sans prétention comme Jésus avance assis sur un ânon. Oui, l’agapé nous transfigure à l’image de Jésus le Christ assis sur un ânon !
C’est un chemin mais un chemin de rencontre vers d’autres que nous-mêmes. Aimer en agapé, c’est reconnaître que l’autre est, qu’il ou elle vit et c’est vouloir qu’il ou elle vive. Agapé est donc en ce sens un chemin de services rendus pour la vie de l’autre. C’est ainsi que l’agapé est la force qui tient le monde créé par Dieu, et c’est pourquoi l’amour ne se réjouit pas de l’injustice qui défait et désintègre le monde et l’humanité, et qu’il se réjouit de la vérité qui est fiabilité de parole et de sens.
De ce que l’agapé fait et de ce qu’il ne fait pas dans le poème de Paul, tout est lié. Chaque caractéristique entraîne les autres et dépend des autres : il y a là une force d’intégrité pour celles et ceux qui accueillent l’agapé soufflé en eux, l’agapé qui est vie de Dieu, ce pour quoi Paul en élève encore le chant en affirmant que l’amour ne succombe jamais.
Nous pouvons nous en souvenir dans les temps de bonheurs comme dans les heures incertaines et dans les jours assombris, nous souvenir de l’agapé dont nous sommes aimés, de l’agapé que nous avons partagé, de l’agapé que nous avons donné, nous souvenir et nous y tenir pour continuer le chemin.