Prédication du 16 février 2025
de Dominique Imbert-Hernandez
Célébration
Lecture : Psaume 24
Lecture biblique
Psaume 24
1 À David psaume.
À l’Éternel le pays et ce qui le remplit,
Le monde et ceux qui l’habitent !
2 Car il l’a fondée sur les mers,
Et affermie sur les fleuves.
3 Qui pourra monter à la montagne de l’Éternel ?
Qui se lèvera dans le lieu de sa sainteté ?
4 Il est innocent des mains et pur de cœur,
Il ne porte pas son être vers le mensonge,
Et il ne jure pas pour tromper.
5 Il porte la bénédiction de l’Éternel,
La justice du Dieu de son salut.
6 Voilà la génération
de ceux qui te cherchent, De ceux qui cherchent ta face,
(ceux qui sont comme) Jacob !
Pause.
7 Portes, élevez vos linteaux ;
Élevez-vous, ouvertures éternelles !
Car il vient le roi de gloire !
8 Qui est ce roi de gloire ?
L’Éternel fort et brave,
L’Éternel brave dans les combats.
9 Portes, élevez vos linteaux ;
Élevez les ouvertures éternelles !
Car il vient le roi de gloire !
10 Qui donc est ce roi de gloire ?
– L’Éternel des puissances,
Voilà le roi de gloire !
Pause.
Prédication
Le souffle qui porte le psaume 24 déploie pour nous quelque chose comme un commencement et ses conséquences. Le commencement de quoi ? Un commencement de journée, c’est un psaume pour chaque matin, à réveil pour se lever comme le dit l’expression familière « d’un bon pied », c’est-à-dire pour engager la journée de bonne manière.
Ou alors un commencement de semaine, cette autre unité de temps du dimanche au samedi qui rythme fortement notre temps, par exemple de culte en culte puisque ce qui se dit, se vit, se met en scène dans un culte n’est pas circonscrit à la durée du culte mais irrigue la semaine.
Ce pourrait même être un commencement d’année, comme l’orientation de la traversée des douze mois.
Ou encore, en prolongeant le temps, ce pourrait être le commencement du reste de la vie, comme un manifeste de ce qui la soutient et la soutiendra.
Et nous savons qu’il importe de ne pas oublier un commencement avec le sens qu’il imprime, pour ne pas le perdre en route et se perdre.
Le psaume lui-même commence par une reconnaissance, une double reconnaissance :
à David, psaume ; à l’Éternel la terre et ce qui la remplit, le monde et ceux qui l’habitent.
A David il appartient de chanter, à l’Éternel la terre appartient. Double reconnaissance qui exprime la confiance, la foi. David reconnaît à qui le monde appartient, qui le fonde et il reconnaît que sa place est de célébrer l’Éternel, le célébrer par le psaume, le chant, la poésie, et pas seulement : la célébration est celle du culte oui, mais également celle de l’existence entière.
Comme confiance et comme relation, la foi est toujours d’abord reconnaissance. Elle est reconnaissance de l’autre de la relation, du destinataire de la confiance, sans que cette reconnaissance implique de tout connaître de l’autre, ce qui ne serait qu’illusion ou emprise. Lorsque l’autre est l’Éternel, lorsque la relation est celle de la foi, nous n’avons que des images, des mythes, des métaphores, des paraboles, des récits plus ou moins balbutiants ou elliptiques d’expériences intérieures. Si bien que la poésie est un langage particulièrement intéressant pour parler de Dieu, au moins autant que les exposés théologiques… si ce n’est mieux.
David est un poète, et lui et d’autres poètes de la Bible ou d’ailleurs nous aident à l’être un peu aussi. Jésus de Nazareth lui-même a été poète et pas seulement avec les paraboles. Parce que si c’est bien à David, berger, poète, messie et roi, qu’est attribué le psaume, celui-ci est à notre disposition, à la disposition de chacun et chacune pour une appropriation personnelle et communautaire, pas seulement pour la beauté du poème, du psaume, du chant, mais pour ce qu’il porte de possibilités d’interprétation et de potentialité de penser la foi, pour ce qu’il permet de résonances en nous et en d’autres afin que la foi soit nourrie et vivifiée. Il n’en manque pas dans le psaume 24 qui à travers son splendide poème pose quelques questions et réflexions essentielles.
L’Éternel fonde la terre sur les mers et les fleuves. Loin des antiques images représentant la terre comme une galette posée sur l’eau et soutenue par de solides piliers, que signifie cette confession l’Éternel fonde le monde ? Car il s’agit de foi et pas de sciences ; il s’agit d’expériences d’existence et pas de savoir, d’images poétiques et pas de preuve. Il n’y a là rien qui puisse être imposé à qui que ce soit, mais une conviction adossée à une confiance qui induit une compréhension et un regard portés sur le monde, qui entraînent une manière d’être.
- D’une part, ce que l’Éternel fonde, ce qui lui appartient : la terre, le monde, cela n’est pas méprisable, cela n’est pas à fuir ni à haïr. C’est la juste place pour David et son psaume, c’est là que les successeurs de David et nous-mêmes avons à célébrer l’Éternel. Dans l’évangile de Jean, Jésus dit à Nicodème : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils… Célébrer, c’est aussi bien chanter, louer, rendre grâce, que prendre place sur terre, prendre part dans le monde, parler et agir en tant que célébrants de l’Éternel dans la vie quotidienne, les petites choses et les grandes décisions.
- D’autre part, la terre n’appartient pas à un autre, elle n’appartient pas à une puissance politique, militaire, financière, scientifique ou religieuse. La terre n’appartient à personne ni à aucun système parce qu’elle appartient à Dieu. Cette reconnaissance représente une contestation de tout ce et ceux, y compris les croyants en l’Éternel, qui se prétendent propriétaires ou maîtres de la terre ou d’une partie de la terre et de tout ce qui s’y trouve afin d’en disposer à leur guise.
David ne se fait d’ailleurs pas d’illusion : fonder la terre sur les mers et les océans paraît étrange, voilà qui est bien instable, et pour les hébreux, c’est le lieu effrayant, le lieu des monstres marins et des abîmes, là où le chaos menace et pourrait reprendre le dessus. Dans le creux des mers se dessine notre fragilité, notre vulnérabilité d’humain, les tempêtes qui menacent nos barques personnelles ou collectives, deuils, échecs, épreuves ou erreurs, incertitude, malheur, adversité… C’est là, chante David, que l’Éternel construit, édifie, fonde. Et là où nous pourrions être engloutis, nous sommes portés et nous pouvons tenir. Ce n’est pas sur notre solidité que repose le monde, ni sur nos compétences, nous ne sommes pas les piliers de la terre. Puisque notre vie même, c’est-à-dire la vie de notre vie, ne repose pas en nous mais en Dieu. Le regard porté sur le monde dans la foi voit bien ce qui ne va pas, violences, malheurs et misères, et il voit aussi les germes de justice et d’amour, la trace de la grâce, les résurrections, les possibles et les « peut-être » par où la puissance de la vie pourrait passer et alors nous pouvons tenir en tant que célébrants de l’Éternel.
Une fois posé, confessé, que la terre appartient à Dieu, le psaume pose une question : Qui pourra monter à la montagne de l’Éternel ? Qui se lèvera dans le lieu de sainteté ? Autrement dit : Qui peut se tenir devant Dieu ? La question est celle de l’humain : qu’en est-il de lui, qui appartient à Dieu, dont la part est la célébration ? Y a-t-il des conditions ? La réponse semble extrêmement exigeante : celui qui est innocent des mains et pur de cœur, il ne porte pas son être vers le mensonge, et il ne jure pas pour tromper. Au moins, nous sommes avertis du danger, de ce qui empêche l’humain de répondre à sa vocation de célébration. Ce n’est pas une surprise pour les lecteurs des Écritures qui ont compris dès le 3° chapitre de la Genèse que ce qui gâche les relations des humains entre eux et avec Dieu, c’est le mensonge, c’est la tromperie, avec le serpent de l’Eden qui en est le premier vecteur mais les humains l’ont bien relayé ! Ce à quoi le psaume éveille ou réveille, c’est à la lucidité sur soi et autour de soi et au travail pour l’intégrité d’être.
Les participants des groupes bibliques cette année s’y sont déjà longuement penchés grâce à la lecture de l’épitre de Jacques. L’hésitation de l’humain penchant d’un côté ou d’un autre sans parvenir à se décider, la division de l’humain en lui-même et se trompant lui-même sont des motifs dans lesquels Jacques invite à discerner des dangers pour les croyants et les communautés. Et nous pouvons le constater pour d’autres groupes humains. L’auteur de l’épitre exhorte à la quête de la cohérence intérieure, car il s’agit d’y appliquer sa volonté et d’y travailler. La foi permet ce travail de l’être en profondeur, vers plus de clarté, plus d’unité.
Le psaume de David n’est pas décourageant. Car sincèrement, qui est pur de cœur, qui est parfaitement intègre sans division, sans ombre intérieure ? Personne ! Mais heureusement, il ne s’agit pas de performance même si la lucidité et le travail intérieur font partie de la foi. Heureusement, nous pouvons porter la bénédiction de l’Éternel et être au bénéfice de la justice du Dieu de notre salut sans avoir besoin d’être parfaits.
Ce que David est, ce que nous sommes, ce sont des chercheurs, des chercheurs de Dieu et des chercheurs d’humanité, comme Jacob, reconnaît David. Jacob le rusé, le trompeur et le trompé, faisant preuve de partialité entre ses femmes et ses enfants, Jacob le béni et le boiteux, qui se réconcilie avec son frère et sera recueilli en Égypte, pas une figure de héros mais cela n’est demandé à personne.
La bénédiction de l’Éternel est donnée, nous pouvons la porter pour la célébrer en action de grâce, et aussi pour la transmettre, pour la faire passer à d’autres en serviteurs et servantes de la justice et du salut, ce qui est une belle et bonne manière de célébrer l’Éternel.
Après la pause, car il faut du temps pour méditer et savourer la première partie du psaume, du temps et du silence, le ton change. Il semble que David célèbre l’entrée triomphante d’un roi guerrier et vainqueur dans sa ville. L’image fort ancienne pourrait avoir un goût bien trop amer aujourd’hui : la guerre au Congo, à Gaza ou en Ukraine, ne produit qu’un cortège de ruines, de morts, de pleurs, de désolation, de profondes altérations de l’humanité. Mais l’Éternel Dieu révélé par Jésus-Christ n’est pas un Dieu guerrier contre les humains ; au contraire il combat les puissances de destruction, de déshumanisation en inspirant des hommes et des femmes qui donnent forme à des possibles, qui osent des « peut être », qui cherchent la justice et pratiquent la bonté.
Nous pouvons entendre, à la suite de la première partie, la célébration de David pour l’Éternel qui le rencontre, qui vient chez lui, en lui. Et c’est à lui, l’Éternel, que nous sommes appelés à nous ouvrir, à ouvrir les portes de notre vie, de notre être et même plus, à les élever, à les agrandir. De même que les ouvertures éternelles, manière de parler de ce qui met en contact, ce qui fait passage à en nous à la transcendance. Cela dépend quand même de David qui chante pour cela, de même que cela dépend de nous et nous pouvons chanter, prier, méditer, contempler, écouter… pour nous rendre disponibles, et pas qu’une seule fois, à la venue de l’Éternel. Il est le roi de gloire proclame le psaume par trois fois. La gloire, ce n’est pas du prestige, des honneurs et une bonne communication. La gloire, c’est le poids, la densité ; la gloire s’oppose à la vanité comme à la prétention. Le roi de gloire est donc fiable, il est celui à qui l’on peut se confier sans crainte et qui confère à l’existence du poids, de la densité, qui la tiennent, jusque dans l’éternité. Dans l’autre testament, l’évangéliste Jean pose l’équivalence entre « vie dans la foi » et « vie éternelle ». Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu’il ait la vie éternelle… Une reprise du psaume 24 !
En dernier mot il est écrit Pause, une seconde fois. Curieux d’écrire pause à la fin puisque le psaume est terminé. C’est que le mot hébreu traduit par pause ne signifie pas seulement pause. Il a un autre sens qui pointe vers l’éternité, vers ce qui demeure et en ce sens, il est très proche du mot : amen.