Prédication du 17 novembre 2024

de Philippe Vollot

« Je suis le chemin, la vérité et la vie, 
nul ne vient au Père que par moi »

Lectures bibliques

Jean 14, 1-6

1 Que votre cœur ne se trouble point. Croyez en Dieu, et croyez en moi. 
2 Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. Si cela n’était pas, je vous l’aurais dit. Je vais vous préparer une place. 
3 Et, lorsque je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai, et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis vous y soyez aussi. 
4 Vous savez où je vais, et vous en savez le chemin. 
5 Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons où tu vas; comment pouvons-nous en savoir le chemin? 
6 Jésus lui dit : Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi.

1 Jean 4, 1-21

1 Bien-aimés, n’ajoutez pas foi à tout esprit; mais éprouvez les esprits, pour savoir s’ils sont de Dieu, car plusieurs faux prophètes sont venus dans le monde. 
2 Reconnaissez à ceci l’Esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu en chair est de Dieu; 
3 et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n’est pas de Dieu, c’est celui de l’antéchrist, dont vous avez appris la venue, et qui maintenant est déjà dans le monde. 
4 Vous, petits enfants, vous êtes de Dieu, et vous les avez vaincus, parce que celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde. 
5 Eux, ils sont du monde; c’est pourquoi ils parlent d’après le monde, et le monde les écoute. 
6 Nous, nous sommes de Dieu; celui qui connaît Dieu nous écoute; celui qui n’est pas de Dieu ne nous écoute pas : c’est par là que nous connaissons l’esprit de la vérité et l’esprit de l’erreur.
7 Bien-aimés, aimons nous les uns les autres; car l’amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu. 
8 Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour. 
9 L’amour de Dieu a été manifesté envers nous en ce que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui. 
10 Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés. 
11 Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres. 
12 Personne n’a jamais vu Dieu; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est parfait en nous. 
13 Nous connaissons que nous demeurons en lui, et qu’il demeure en nous, en ce qu’il nous a donné de son Esprit. 
14 Et nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde. 
15 Celui qui confessera que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu. 
16 Et nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour; et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. 
17 Tel il est, tels nous sommes aussi dans ce monde : c’est en cela que l’amour est parfait en nous, afin que nous ayons de l’assurance au jour du jugement. 
18 La crainte n’est pas dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte; car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n’est pas parfait dans l’amour. 
19 Pour nous, nous l’aimons, parce qu’il nous a aimés le premier. 
20 Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas? 
21 Et nous avons de lui ce commandement : que celui qui aime Dieu aime aussi son frère.

Prédication

Jusque vers la fin du siècle dernier, notre société européenne se croyait presqu’exclusivement chrétienne. Il était alors possible, à condition d’oublier le reste du monde, de penser que seuls seraient sauvés celles et ceux qui confessaient Jésus-Christ comme seul Seigneur. Mais voilà, aujourd’hui, nous avons de sympathiques relations de travail, de voisinage, d’amitié voire de famille, avec des personnes de convictions et de cultures très diverses.

Franchement, si l’on ouvre les yeux, si l’on ouvre son cœur, si l’on ouvre son intelligence, et si l’on apprécie les personnes très différentes que nous rencontrons, il me semble difficile, voire scandaleux, de soutenir que les quelques 7 milliards de non-chrétiens que compte cette planète ne pourraient pas être sauvés, mais mériteraient la damnation éternelle !

Impensable que Dieu puisse leur dire : « je suis vraiment désolé, mais comme vous n’avez pas reconnu Jésus-Christ comme mon fils spirituel, vous êtes définitivement condamnés ».
Ce serait à la fois théologiquement faux et humainement choquant, car nous savons fort bien que nombre de personnes non-chrétiennes sont exactement comme nous.
Qu’elles essaient comme nous de mener leur existence en y mettant tout leur cœur, toute leur foi ou tout leur idéal, en faisant preuve de bienveillance, de compassion et de solidarité avec des personnes qu’elles connaissent ou qu’elles ne connaissent pas.

Cependant cette question du Salut, ou de l’absence de Salut pour les non-chrétiens, nous est objectivement posée par ces textes du Nouveau Testament que nous venons d’entendre.
Les implications en sont considérables pour notre propre existence et dans notre relation aux autres. Mais aussi pour savoir témoigner de notre Foi dans une société largement déchristianisée.
Ces implications ne sont pas non plus sans conséquences sur la manière dont nous pouvons nous engager dans les domaines politique et sociaux.

Or, cette question était déjà présente dans la Bible, car le monde de cette époque était alors relativement « mondialisé » à son niveau, au croisement des civilisations moyen-orientales, hellénistique et romaine, avec de grands brassages de cultures, de religions, et de peuples.

C’est dans ce contexte d’une église chrétienne extrêmement minoritaire que l’apôtre Jean écrit au verset 7 de sa première épître, une affirmation qui est d’une ouverture extraordinaire, sans le moindre critère de Foi vis-à-vis de toute personne de bonne volonté :
« L’amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu, car Dieu est amour ».

Ce passage nous dit très clairement que toute personne qui aime est profondément en communion avec Dieu, quelles que soient ses idées, sa religion ou sa philosophie.

Et quand bien même cette personne ne serait pas suffisamment aimante et au service de son prochain, comment ne pas lire une promesse du pardon universel de Dieu dans cette théologie résumée en trois mots « Dieu est amour » ? Cette théologie n’est d’ailleurs pas une invention de Jean, puisqu’elle est présente entièrement dans les actes et les paroles de Jésus.

Mais ce qui est tout à fait surprenant est que ce passage, si ouvert aux non-chrétiens, est introduit pas un message qui est des plus fermés :
« Reconnaissez à ceci l’Esprit de Dieu : tout esprit qui se déclare publiquement pour Jésus-Christ, cet esprit est de Dieu; et tout esprit qui ne se déclare pas publiquement pour Jésus, cet esprit n’est pas de Dieu, mais c’est celui de l’Antéchrist qui est déjà dans le monde ».

L’apôtre est donc hélas tout aussi clair, net et précis dans cet exclusivisme rigoureux en faveur des chrétiens, qu’il l’a été précédemment au verset 7 dans son ouverture complète aux non-chrétiens.
Il récidive d’ailleurs un peu plus loin aux versets 15 et 16 en mêlant curieusement libéralisme et fondamentalisme dans une même phrase :
« Celui qui déclare publiquement que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui, et lui en Dieu ; celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. »

Notons que cette dernière phrase reprend deux fois le même schéma, la même annonce, la même promesse : « Dieu demeure en lui, et lui en Dieu ». Et de fait, lorsque Jean opère ce rapprochement entre ces deux formules, il pose une équivalence entre :

  • d’une part confesser Jésus-Christ publiquement,
  • et d’autre part vivre dans l’amour.

Ce rapprochement est tout à fait intéressant pour comprendre le fond de la pensée de Jean sur cette question, mais aussi pour saisir le sens de bien des passages des Évangiles. Car cela signifie que, lorsque le Christ nous invite à croire en lui, il ne cherche pas à se mettre en avant lui-même, mais il se met au service de la Parole, à savoir porteur d’un message et une façon d’être.

Ce message et cette façon d’être, Jean les résume ainsi en un seul mot, l’Amour.
Cet amour est la nature même de Dieu, cet amour est Dieu lui-même.
Mais le fait que cet amour s’incarne dans l’histoire en Jésus-Christ en fait bien plus qu’une notion philosophique abstraite. En effet, il s’agit d’une réalité qui se voit, qui s’entend, qui se proclame, et qui se traduit en actes.

Et donc, lorsque Jean dit que celui qui ne se déclare pas publiquement pour Jésus est un Antéchrist, ce n’est pas pour injurier les adeptes d’autres religions ou les athées, d’autant que ce terme d’Antéchrist est généralement celui attribué aux forces du Mal ou aux empereurs romains.

Ce n’est donc pas le sujet, car Jean souligne bien, dans sa mise en garde du verset 20, qu’il arrive aussi aux chrétiens de ne pas aimer suffisamment leurs frères, et que celui qui aime Dieu doit aussi aimer son frère.

Ce qui revient à dire qu’indépendamment des croyances des uns et des autres, aimer en abondance c’est vivre pleinement, et a contrario que l’indifférence, l’égoïsme, la méchanceté, sont l’inverse de la façon d’être et de la volonté de Dieu incarnées en Jésus-Christ.

Ce nom de Jésus-Christ n’est donc pas une formule magique pour que le Paradis s’ouvre devant nous, mais la médiation pour se laisser transformer par Ses paroles et par Son exemple.

Ce rapprochement entre d’une part « témoigner du Christ comme fils de Dieu », et d’autre part « demeurer dans l’amour », ce rapprochement est très éclairant sur la valeur possible d’autres religions voire d’autres spiritualités ou d’autres cheminements purement athées.

N’est-ce pas d’ailleurs ce que qu’écrit l’apôtre Paul dans son Épître aux Romains au chapitre 2, versets 14 et suivants : « quand les païens, sans avoir la Foi, font naturellement ce que prescrit la Loi, ils montrent que l’œuvre voulue par la Loi est écrite dans leur cœur, leur conscience en rendant témoignage, ainsi que leurs jugements intérieurs qui tour à tour les accusent ou les défendent. C’est ce qui paraîtra au jour où Dieu jugera par Jésus-Christ, le comportement caché des hommes ».

Jésus est Christ, car il incarne magnifiquement cette révélation de Dieu. Il incarne parfaitement la façon d’être de Dieu qui consiste à vivre selon un amour créateur toujours renouvelé.Et donc cette foi en Jésus-Christ, ce nom de Jésus-Christ n’est pas une formule incantatoire, mais est le moyen de valoriser une certaine façon d’être, une certaine idée de la justice et de la fraternité.
C’est rechercher la source de cette façon d’être pour y puiser, et pour la proposer à ceux que nous aimons ainsi qu’à tous nos contemporains y compris ceux que nous aimons moins, voire pas du tout.

Donc oui, évidemment, cela a pleinement son sens de placer sa confiance en Jésus-Christ, et de témoigner de Ses actions et de Ses paroles.
Mais il y a aussi des personnes qui aiment en dehors du christianisme, particulièrement parmi nos frères et sœurs juifs et musulmans, et qui sont donc nées de Dieu et qui connaissent Dieu au moins en partie.

Ce rapprochement entre « témoigner du Christ comme fils de Dieu », et « demeurer dans l’amour », ce rapprochement permet de comprendre ce passage essentiel de l’Évangile selon Jean que nous avons entendu : « Jésus dit : je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne vient au Père que par moi » (chapitre 14, verset 6)

Néanmoins, il faut bien le reconnaître, il y a deux façons de lire ce texte :

  1. ce passage, pris littéralement, peut certes être entendu comme une fermeture, voire comme une menace : seuls les chrétiens seraient vraiment vivants, et tous les autres seraient perdus pour toujours.
  2. mais ce « Nul ne vient au Père que par moi » peut également être lu comme une ouverture, comme une promesse, comme une bonne nouvelle.
    A savoir que toute personne vraiment vivante, toute personne qui a un cheminement authentique, a du Christ en elle, même sans en être consciente, elle a cette manière d’être et de se comporter qui vient de Dieu.

L’idée même de l’existence d’un Dieu unique peut également être comprise de deux façons très différentes :

  1. d’une façon simpliste et sectaire aux termes de laquelle il y aurait un seul vrai Dieu, le mien, et donc que tous les adeptes d’autres religions seraient dans l’erreur.
  2. cependant il y a une autre façon de vivre le monothéisme, c’est la suivante : puisqu’il y a un seul Dieu, toute personne qui fait place à une certaine transcendance dans sa vie est déjà en relation avec Dieu.

Mais, vous allez me dire que si Jésus parle ici de LA vérité, c’est qu’il n’y en a qu’une seule et unique. En réalité, c’est beaucoup plus compliqué que cela car, dans la pensée biblique, il n’y a qu’un seul et même vocable pour signifier la vérité, la spiritualité, la fidélité, la confiance.

La vérité dont parle Jésus ici, ou plus exactement la vérité qu’il incarne, n’est donc pas un dogme, mais une vérité de relation avec Dieu, une fidélité à ce qui est l’essence même de la vie, une fidélité à ce qui donne sens à la vie.

Des personnes peuvent donc penser des choses très différentes tout en étant chacune dans le vrai dans leur action dans le monde.
Si nous prenons par exemple une image, celle de personnes qui sont réparties autour de la base d’une montagne : chacune aura raison de dire que, pour arriver au sommet, il faut emprunter tel ou tel versant.

Et bien de même la recherche de la vérité dépend de l’histoire de chacun et de la civilisation dans laquelle il a été élevé.

Dire cela n’est pas du relativisme, car Jésus nous donne de précieuses indications pour savoir si nous sommes dans la vérité. La Vérité dont il est question, nous dit-il, est cheminement et vie, elle est cheminement vers le Père éternel, cheminement vers cette source de vie qu’est l’Amour.

La question n’est donc pas de savoir si un chrétien est meilleur que les autres, mais de savoir si nous devenons chaque jour un peu meilleur, si nous cheminons toujours plus vers la Vie comme Jésus nous le demande. L’essentiel est que chacun trace sérieusement son propre chemin et qu’il l’approfondisse sans cesse.

Pour l’instant, nous ne pouvons pas voir ce qui est derrière la montagne pour juger précisément ce qui est bon pour l’Autre. Si telle religion, telle philosophie, convient bien à telle ou telle personne, elle peut lui indiquer aussi un chemin différent vers la Vie et vers l’Amour.

Mais cela ne doit évidemment pas nous empêcher de témoigner de cette foi dans le Dieu de Jésus-Christ qui nous inspire, bien au contraire. C’est une attitude de respect de l’Autre que de lui offrir ainsi le meilleur de ce qui nous fait vivre, tout en sachant que son cheminement personnel, sa vérité, peuvent être différents des nôtres. Mais l’essentiel est que ce cheminement le mène, comme nous, vers une vie aimante au service des autres.

C’est d’ailleurs ce que le Christ a pu dire dans les Évangiles de Matthieu et de Luc, à savoir qu’il n’avait pas vu de plus grande foi que celle du centurion romain venu lui demander la guérison d’un de ses serviteurs.

Et pourtant ce centurion n’était évidemment pas juif, ne connaissait probablement pas la Torah, et rendait obligatoirement un culte à l’Empereur romain adoré comme un Dieu. Il était un responsable militaire de la puissance occupante, et il n’avait pas eu la moindre parole préalable pour saluer Jésus comme l’envoyé de Dieu.

Mais ce centurion possédait une grande foi qui l’a mis en mouvement, qui l’a tourné vers la vie, qui l’a rendu capable lui, le chef puissant habitué à commander à cent soldats lui obéissant au doigt et à l’œil, de se faire humble contre toute logique, serviteur de son serviteur pour que celui-ci vive.

Oui ce centurion a cheminé par l’amour ce jour-là.

La suite, il nous appartient de l’inscrire dans notre propre vie en donnant toujours plus de place dans notre cœur et dans nos actions au message d’amour de Jésus-Christ, lui qui loin de se mettre en avant, a simplement recommandé à ceux qui l’écoutaient d’aimer Dieu et d’aimer son prochain.

Ces deux commandements ne sont donc pas réservés aux chrétiens, mais s’adressent évidemment à l’Humanité tout entière

Assurément toutes celles et tous ceux qui respectent ces deux commandements, même s’ils ne sont pas chrétiens, sont dans le chemin de vérité et de vie ouvert et tracé par Jésus-Christ.

Alors gardons toujours en mémoire cette forte parole du grand pasteur de l’Oratoire que fût Wilfred Monod :
« A l’heure du Jugement dernier, mieux vaudra avoir servi Dieu sans l’avoir nommé, que l’avoir nommé sans l’avoir servi ».