Prédication du 6 octobre 2024
Culte avec la commission Église Verte
de Valérie Lobry
Lecture : Romains 8, 17-25
Lecture biblique
Romains 8, 17-25
17 Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec lui, afin d’être glorifiés avec lui.
18 J’estime que les souffrances du temps présent ne sauraient être comparées à la gloire à venir qui sera révélée pour nous.
19 Aussi la création attend-elle avec un ardent désir la révélation des fils de Dieu.
20 Car la création a été soumise à la vanité, non de son gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise, avec l’espérance
21 qu’elle aussi sera affranchie de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté de la gloire des enfants de Dieu.
22 Or nous savons que, jusqu’à ce jour, la création tout entière soupire et souffre les douleurs de l’enfantement.
23 Et ce n’est pas elle seulement mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous soupirons en nous-mêmes, en attendant l’adoption, la rédemption de notre corps.
24 Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance ; ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ?
25 Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.
Prédication
Introduction
Frères et sœurs, chers amis, ce texte tiré de l’épitre aux Romains que Pierre-Charles vient de nous lire mériterait d’être relu plusieurs fois avant de commencer à en faire l’analyse, compte tenu de sa complexité.
A vrai dire, en me plongeant dans ce texte, qui était celui préconisé par l’association Eglise verte j’avais prévu d’écrire une prédication sur un monde que nous pouvions améliorer, et qui n’attendait que notre action et notre volonté pour passer ces douleurs de l’enfantement pour éclore de façon triomphale, après quelques efforts collectifs.
Et puis j’ai été, comme vous je suppose, submergée par l’actualité : celle de l’été tout d’abord, qui a multiplié les mauvaises nouvelles sur le front du climat : inondations, sécheresses, déplacements de population, ouragans, record des températures maritimes et terrestres, pertes de biodiversité, etc… sur le front des droits humains, en particulier en Iran et surtout en Afghanistan, et enfin et surtout sur le front de la guerre, en Ukraine et en Palestine, et maintenant au Liban…
Une avalanche de catastrophes, de violence, des milliers de morts, de déplacés, des enfants, des familles, tant d’espoirs de lendemains meilleurs qui s’effondrent, tant de vies fracassées, tant de fragiles équilibres explosés en vol, tant de malheurs, de plus en plus proches de nous.
De sorte que la phrase du texte qui dit « la création -et l’humain- soupirent et souffrent la douleur de l’enfantement » résonne particulièrement actuellement. Oui la création souffre, oui l’humain souffre, beaucoup plus qu’il y a quelques années, et nos soupirs ne suffisent plus à repousser l’ombre des malheurs qui emportent toute notre humanité.
Et comme chaque jour depuis des mois apporte son nouveau lot de mauvaises nouvelles, on a de plus en plus de mal à imaginer « la gloire à venir qui sera révélée pour nous », comme le dit Paul dans cette épitre aux Romains.
On a du mal à se dire que le Royaume de Dieu est au bout de ce chemin de désolation, que tout cela va finir par s’arranger.
Et dans cette prédication, qui devait être centrée sur le respect de la création, celui de la terre comme celui des droits humains et de la justice sociale, il m’est apparu assez vite insurmontable de vous dérouler un argumentaire apaisant vraisemblable…
Alors j’ai décidé de me concentrer sur trois mots, trois mots qui marquent ce texte de leur empreinte et qui me parlent vraiment. Trois mots qui peuvent aujourd’hui nous permettre non pas d’expliquer l’insupportable mais d’ouvrir des portes dans notre incrédulité, et au moins de dépasser cet état de sidération dans lequel bon nombre d’entre nous sont plongés actuellement.
Le premier mot c’est « héritage »
Le deuxième c’est « espérance »
Et le troisième c’est « persévérance »
Commençons par « héritage »
La lettre de Paul insiste beaucoup sur ce terme, nous sommes héritiers de Dieu, et nous sommes héritiers du Christ. Mais de quel héritage parle-t-on ? De quoi avons-nous hérité, et dans quelles conditions sommes-nous héritiers ?
Depuis le premier chapitre de la Genèse, nous savons que Dieu nous a confié la terre, la faune et la flore, pour en prendre soin, mais aussi pour l’exploiter et en tirer notre nourriture : « soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et assujettissez-la ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. Je vous donne toute herbe portant de la semence, et tout arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence : ce sera votre nourriture. »
Le texte établit clairement d’une part une relation de maître à serviteur entre les humains et la terre, entre les humains et les animaux, et il établit d’autre part que nous tirions donc notre nourriture de la terre, charge à nous de faire fructifier notre planète pour nourrir une population toujours plus nombreuse.
Mais cet héritage a un prix : tel un père qui transmet son entreprise à ses enfants et qui garde un bureau sur place, Dieu met de multiples conditions à ce don ou à ce leg.
A l’époque de la bible, nulle mention des ressources énergétiques, des métaux rares, de l’industrialisation, des émissions de CO2… Mais dès que les hommes vont trop loin, se conduisent mal avec leur peuple ou avec leur terre, lorsque les guerres fratricides se déclarent, ou que les uns réduisent les autres en esclavage, le Dieu qui leur a laissé la terre en gage se venge : il fait lever des tempêtes, provoque des tremblements de terre, envoie les sept plaies d’Egypte.
A l’époque de la bible, personne ne doute que toutes ces catastrophes sont envoyées sur terre par un Dieu ou par un autre, en colère contre les hommes. Les récits bibliques sont pleins de guerres, de famines, de catastrophes naturelles ou provoquées, et de leurs conséquences : mouvements de population, déportation, famine, migration de réfugiés.
Bien sûr on ne parle donc pas de changement climatique, mais les conditions de vie des humains sont déjà fortement impactées par les phénomènes météo extrêmes attribués à Dieu, et par les guerres humaines souvent liées à une religion ou une appartenance ethnique.
Aujourd’hui la terre sur laquelle nous vivons sert non seulement à nous nourrir, mais aussi à nous chauffer, à nous éclairer, à nous transporter, à communiquer, bref nous tirons de la terre l’essentiel de ce qui sert aux activités humaines.
De l’exploitation en bon jardinier préconisée par la Genèse, on est passé en deux ou trois millénaires, mais surtout dans les 50 dernières années, à la surexploitation chronique et irresponsable des ressources naturelles, d’une part à cause de l’augmentation exponentielle de notre population, mais aussi à cause de la soif de profit et de consommation démesurée des humains. Avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui sur le climat, la biodiversité, les migrations, la santé et même aujourd’hui la survie de l’espèce humaine.
La responsabilité des catastrophes n’est plus attribuée à Dieu. Toute la communauté scientifique nous alerte chaque année un peu plus sur les catastrophes liées aux activités humaines qui nous attendent, et que nous constatons déjà à nos portes, je ne vais pas ici vous les énumérer.
Depuis quelques années, et malgré les connaissances scientifiques, l’être humain s’est affranchi de toute forme de censure, personnelle ou divine, pour en quelque sorte « essorer » la planète, jusqu’à compromettre son bien-être, et la survie des générations futures.
A cet héritage matériel, la planète sur laquelle nous vivons, Paul avait pourtant ajouté deux éléments, qui auraient pu nous aider à inverser la tendance : un premier élément immatériel, l’Esprit.
Nous héritons donc de l’esprit, du souffle de Dieu, qui devrait nous permettre de nous élever au-dessus de la terre et des besoins humains pour considérer la création et l’humanité toute entière.
Et il ajoute enfin que nous sommes les héritiers du Christ.
Toutes les paroles du Christ disent la recherche du juste équilibre à chercher entre l’exigence, l’amour, le partage, le respect porté à chaque être humain, à chaque être vivant.
Si nous héritons du message de fraternité, de sobriété et de dénuement du Christ, alors cela devrait changer notre regard sur le respect porté à chaque être humain et à la terre qui nous accueille.
Au fond cet héritage, que ce soit celui de Dieu ou de Jésus-Christ, devrait nous permettre de confronter sans cesse notre volonté à celle de Dieu. Exercer notre libre-arbitre à la lumière de notre cohabitation avec Dieu et Jésus-Christ. Comprendre ce qu’il attend de nous. Savoir que nous sommes responsables de la terre devant Dieu, mais surtout devant nos enfants, et les enfants de nos enfants. Nous sommes comptables devant les générations qui suivent des efforts que nous faisons -ou non- pour respecter et préserver nos ressources.
L’Espérance
C’est quoi l’espérance, et tout d’abord en quoi l’espérance se différencie de l’espoir ?
L’espoir, c’est facile, c’est l’idée que les choses peuvent ou vont s’arranger dans une situation difficile, alors que l’espérance concerne la vie spirituelle, au-delà de ce que l’espoir peut apporter au monde matériel. L’espérance renvoie à une dimension qui est celle de la transcendance, une dimension de l’invisible qui nous dépasse, et à laquelle pourtant nous voulons attacher notre vie.
En hébreu d’ailleurs, le mot espérance désigne aussi la corde qui sert à attacher des choses ensemble. L’espérance c’est comme un lien qui nous accroche à quelque chose de solide, comme une corde accrochée à une ancre permet à un bateau de ne pas aller à la dérive. Notre espérance est dans le Dieu de Jésus-Christ. Nous ne voyons pas Dieu, mais nous sentons que ce lien est solide et sûr. Cette confiance que nous pouvons avoir en Dieu est basée sur la certitude de sa fidélité, qui garantit sa présence dans nos vies pour longtemps, en tous cas aussi longtemps que cette « espérance » se fait sentir dans nos cœurs.
L’espérance est donc plus à rapprocher de la confiance que de l’espoir. Espérer en Dieu, c’est mettre en lui notre confiance, s’appuyer sur lui et se sentir en sécurité.
L’apôtre Paul dit que trois choses seulement demeurent, l’espérance la foi et l’amour.
Avoir foi en Dieu c’est adhérer au message de l’évangile comme à une vérité, penser que ce message est le bon message pour sa propre vie.
Espérer en Dieu c’est croire que l’amour que Dieu nous porte est plus fort que le mal qui peut nous atteindre, c’est croire dans l’humanité même si elle donne des raisons de désespérer.
La petite Espérance, de Charles Péguy
Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance. Et je n’en reviens pas.
Cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout. Cette petite fille espérance. Immortelle.
Car mes trois vertus, dit Dieu. Les trois vertus mes créatures. Mes filles mes enfants. Sont elles-mêmes comme mes autres créatures. De la race des hommes.
La Foi est une Épouse fidèle. La Charité est une Mère. Une mère ardente, pleine de cœur. Ou une sœur aînée qui est comme une mère.
L’Espérance est une petite fille de rien du tout. Qui est venue au monde le jour de Noël de l’année dernière. Qui joue encore avec le bonhomme Janvier.
C’est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes. Cette petite fille de rien du tout. Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus. Comme l’étoile a conduit les trois rois du fin fond de l’Orient. Vers le berceau de mon fils.
La Persévérance, qui est probablement le plus important, puisque c’est notre boulot à nous, dans cette histoire !
Oui Il y a un temps pour soupirer, un temps pour souffrir, …. Et il y a un temps pour l’action. Certains continuent longtemps à soupirer, à désespérer, ne trouvant pas en eux la capacité à sortir de cet état. Et certains se lèvent, et trouvent dans l’action, la concertation et la construction un remède à leurs angoisses et aux malheurs du temps, qui peut réellement changer le cours de l’histoire.
La persévérance c’est notre action à nous, humains, devant toutes ces catastrophes ; c’est le contraire de l’inaction, de l’abattement, du fatalisme, du cynisme. C’est garder son sang-froid, et se lever chaque matin pour avancer, pour dénoncer, pour construire.
Concrètement la persévérance peut prendre de nombreuses formes : diffusion de l’information scientifique, militantisme associatif, pression auprès des politiques.
Dans tous les cas, cela passe par une compréhension des phénomènes, donc une prise de connaissance honnête de toute l’information scientifique à notre portée. La fresque du climat, que nous allons faire ensemble cet après-midi, en est le parfait exemple, mais il existe de multiples sources d’information sérieuses sur le sujet de la transition écologique, que ce soit le rapport du GIEC, les ouvrages qui existent sur le sujet (on peut commencer par ceux de Jancovisci, le Monde sans fin, qui a le mérite d’être très pédagogique sur le sujet). Faire son bilan carbone est également une excellente prise de conscience.
L’étape d’après c’est de mettre ce qu’on a compris en œuvre à notre porte et dans notre quotidien : trier ses déchets, traquer le gaspillage alimentaire, faire des économies d’énergie, repenser ses transports, ses voyages et sa consommation en général.
Puis c’est mettre en œuvre les mêmes principes dans son milieu professionnel, en y ajoutant les aspects relations humaines et l’impact de son activité sur la planète : on peut aujourd’hui développer un management humain et écologique, respectueux des collaborateurs et de l’ensemble de son éco-système. Cela donne du sens au travail collectif et c’est attirant pour les fournisseurs et les clients. Là aussi, il y a maintenant beaucoup d’entreprises qui mettent en place un « management à impact » ou une démarche d’entreprise à mission. (je pense au mouvement Impact France, et à certaines entreprises exemplaires, en citer une ou deux !)
C’est aussi influer sur les choix politiques en investissant dans une finance verte et solidaire, et en faisant pression sur les politiques en particulier à chaque élection où nous exerçons nos votes.
En élargissant cette prise de conscience à son éco-système professionnel ou associatif, on s’aperçoit qu’on est nombreux à s’en préoccuper, nombreux à travailler la question sérieusement, qu’un mouvement de fond est déjà à l’œuvre, qu’il nous faut rejoindre.
C’est donc à un processus de transformation personnelle et collective que je vous invite, et que n’aurait probablement pas renié notre ami Charles Wagner, s’il avait vécu un siècle plus tard :
Constatation, sidération
Prise de conscience
Compréhension scientifique
Pédagogie constante concernant votre entourage
Reconstruction de l’éco-système personnel et professionnel
Pression sans relâche sur les politiques pour ne pas renoncer et au contraire renforcer les objectifs de transition écologique.
La persévérance n’est pas donnée par Dieu, mais notre espérance, notre confiance en lui nous y aide. Dieu a besoin de notre courage et de notre volonté, devant lui, pour faire avancer ce monde. Ce n’est pas de la naïveté, ni du déni, bien au contraire.
Conclusion
3 mots. 3 mots comme des bouteilles à la mer,
Un héritage qui montre que Dieu nous fait confiance pour cultiver ce monde, un héritage qui honore et oblige chacun d’entre nous devant Dieu, les hommes, les femmes et surtout les générations futures.
Une espérance qui nous porte, dans les bons et les mauvais jours, une confiance dans un au-delà plus grand, plus haut que nous, bien loin de la naïveté et encore plus loin du cynisme.
Une persévérance, à embrasser chaque matin, avec nos mains, nos voix et nos yeux, qui nous tient debout, prêts à construire et à reconstruire inlassablement un monde habitable.
Rappel Psaume 9, lu pendant la liturgie :
Que les cœurs, à l’écoute du plus intime,
s’éveillent sans cesse à l’exigence de vérité et de justice ;
qu’ils regardent la réalité en face ;
qu’ils se laissent habiter par une saine révolte ;
qu’ils se mobilisent partout pour combattre le mensonge et l’injustice
et faire advenir un monde de droiture et de justice.