Prédication du 2 juin 2024
Baptêmes d’Orso et Thomas
de Dominique Imbert-Hernandez
Un signe ? Quel signe ?
Lecture : Marc 8, 10-13
Lecture biblique
Marc 8, 10-13
10 Aussitôt il monta dans le bateau avec ses disciples et se rendit dans la région de Dalmanoutha.
11 Les pharisiens survinrent, commencèrent à débattre avec lui et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandèrent un signe venant du ciel.
12 Il soupira profondément en son esprit et dit : Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe ? Amen, je vous le dis, il ne sera pas donné de signe à cette génération.
13 Puis il les quitta et reprit le bateau pour regagner l’autre rive.
Prédication
Qu’est-ce qu’un signe ? Qu’est-ce un signe venu du ciel ?
Les pharisiens en demandent un à Jésus qui vient à peine de toucher terre revenant de la contrée étrangère et païenne où il a nourri 4000 personnes avec sept pains et quelques petits poissons. Jésus refuse assez sèchement et remonte aussitôt dans la barque, sur le lac de Génésareth.
Comme si la multiplication des pains ne suffisait pas comme signe. Surtout que c’est la deuxième : Jésus a déjà nourri une foule de plus de 5000 personnes avec cinq pains et deux poissons en Galilée. Mais ce n’était pas un signe venu du ciel pour les pharisiens. C’était un signe venu de Jésus de Nazareth et les pharisiens veulent vérifier que Jésus de Nazareth, lui, est vraiment venu de Dieu. C’est pour cela ils demandent un signe du ciel, c’est à dire une manifestation divine et puissante qui l’attestera. Ils veulent une preuve. Indiscutable. Que Jésus en appelle aux trompettes célestes, au feu du ciel, à la nuée divine, à la voix ou la gloire de Dieu, à quelque chose qui garantira qu’il est le Messie envoyé par l’Éternel. Alors ils pourront croire, tranquillement, sans plus se poser de question.
C’est une question posée à plusieurs reprises et de diverses manières dans les évangiles : à quel titre Jésus fait-il ce qu’il fait ? D’où lui vient sa puissance de guérison, de libération ? Qui est-il ?
Dans ce passage sur la multiplication des pains, qui va jusqu’au dialogue suivant dans la barque entre Jésus et ses disciples inquiets de ne pas avoir emporté de pain dans la barque et qui n’ont pas compris le signe de la multiplication, dans ce passage qui est au milieu de l’évangile, les pharisiens reviennent à la charge : ils veulent un signe du ciel, une réponse ferme et définitive. Marc est très clair : il s’agit d’une épreuve, d’une tentation, comme celle du désert lorsque Jésus a été tenté par le satan après avoir été baptisé.
Jésus refuse, soupirant, consterné, exaspéré, attristé. Il n’y aura pas de signe venu du ciel qui justifierait ses actes et ses paroles et qui emporterait l’adhésion des pharisiens ou de qui que ce soit.
Le signe venu du ciel ne permettrait pas la foi en Jésus-Christ. Ce serait tout le contraire : il l’empêcherait.
Dans l’évangile de Marc, ce sont les faux-prophètes et les faux christs qui prodiguent des signes de puissance ; Jésus en avertit ses disciples un peu plus tard. Les signes de puissance participent à une logique de pouvoir que la vie et la mort de Jésus réfutent absolument. C’est en voyant Jésus mourir que le centurion confesse : Vraiment, celui-ci était le Fils de Dieu. La mort sur la croix, ce n’est certainement pas ce à quoi pensent les pharisiens ni ceux qui attendent quelque chose d’indiscutable. La résurrection du Christ, quant à elle, ne relève pas de l’indiscutable puisqu’elle se manifeste seulement dans la foi et pas pour provoquer la foi.
D’ailleurs quelle foi serait-ce qui ne pourrait être discutée, qui ne laisserait aucune place au doute ? Ce ne serait pas de la foi, c’est-à-dire de la confiance, mais une assurance garantie.
Le signe de puissance qui vaut pour preuve s’oppose à la foi et même il dispense de la foi comme il dispense de s’interroger, de questionner, et de répondre. Car on ne répond pas à une preuve, elle s’impose et ne tolère que la conformité à ce qu’elle prouve et à la manière dont elle le prouve. Au contraire, il est possible de répondre à un appel, un appel qui ne contraint pas mais qui laisse libre d’y répondre librement. Ce que réclame les pharisiens ne correspond ni plus ni moins qu’à la défaite de la conscience, de la liberté et de la responsabilité. Le régime de la preuve en matière de foi, agit sur et par la sidération, la crédulité et le conformisme, il est manipulateur et manipulable.
Il n’y aura pas, dit Jésus, de signe donné pour combler l’inquiétude des pharisiens qui confondent la foi et la garantie.
Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de signe. Mais un signe ne peut pas être une preuve. Un signe, c’est ce qui permet de distinguer, de reconnaître autre chose que lui-même ; c’est l’indice, la marque qu’il y a autre chose que de ce qui est vu au premier regard. Ce qui fait, par exemple, d’un miracle un signe, c’est de reconnaître qui œuvre à travers le miracle. Si l’on s’en tient au miraculeux, il n’y a pas de foi. Le signe, lui nécessite la foi car il pointe la réalité spirituelle au-delà de lui-même. Un signe, comme le terme l’indique, signifie : il ne vaut pas par lui-même, il ne se suffit pas, il n’est pas replié sur lui-même, il désigne autre chose. Ce que demande les pharisiens, une assurance, n’ouvre pas à un sens, une quête, une dynamique. Une assurance ne renvoie à rien ni à personne, elle oblige et occupe toute la place, elle ne décale pas. Elle colle et elle fait coller : il n’y a plus d’espace, plus de mouvement. Une assurance aspire, elle agglomère, tout ne peut qu’adhérer… alors Jésus soupire, un soupir comme une expiration au lieu d’une aspiration, et l’écart au lieu de l’adhésion, et le mouvement au lieu de l’agglomération. Si Jésus fournissait une garantie, il n’aurait plus rien à dire ni à faire. Ce serait la fin, mais sans aucun accomplissement. Un tel signe compris comme une preuve n’engagerait à rien, ni à la confiance, ni à l’écoute de la Parole, ni à l’ouverture à l’esprit qui transforme l’être, ni à l’amour de Dieu et du prochain, ni à l’existence avec ses risques et ses choix.
Les pharisiens qui surgissent et occupent le terrain et la parole ne veulent pas d’espace vide et libre, mais ils veulent être comblés, remplir, et maîtriser ; ils veulent être pleins d’assurance ce qui certes procure la sécurité, mais la sécurité d’une vie fondée en stabilité, en immobilité, une vie fondée sur sa propre sécurité.
Or Jésus-Christ, au nom du Dieu qui l’envoie, appelle à la foi qui ne consiste pas en l’assurance de vérités immuables et définitives mais en rencontre et en confiance avec lui et avec autrui. La foi qui est réponse à cet appel consiste en une sortie de soi, une dynamique, une existence où l’inquiétude n’est pas pour soi mais pour autrui, où le manque n’est pas à combler à tout prix mais est converti en accueil de ce qui est donné.
Jésus-Christ vient vers ceux qui manquent et si le miracle des pains multipliés permet à la foule d’être rassasiée, le signe qu’il porte parle de don, de brisure, de partage, de sa vie rompue et donnée en partage pour tous et toutes. Le miracle de la multiplication des pains pour des païens est le signe que Dieu n’exclue et n’oublie personne. Il est le signe de l’accueil inconditionnel dans le Royaume qui n’est pas celui de la gloire éclatante mais celui de l’amour.
Les pharisiens, et ceux qui cherchent des preuves et des assurances ne voient pas ce signe.
Ils ne voient pas non plus le signe du Royaume qui est que les pauvres, les pécheurs, les lépreux, les prostituées, les étrangers ont accès à Jésus-Christ, qu’ils sont destinataires de la Bonne Nouvelle, qu’ils sont au bénéfice de l’Évangile : restaurés, pardonnés, relevés, bénis.
Alors Jésus se met au large de cette demande étouffante, il embarque avec ses disciples et les met en garde contre le mauvais levain des pharisiens et d’Hérode, contre l’emprise du plein et de la preuve, contre la religion quand elle devient formelle, scrupuleuse et inquiète pour elle-même, contre l’exercice du pouvoir quand il ne se soucie que de lui-même. Nous voici avertis, rendus vigilants pour que la religion ne dérive pas en intégrisme, pour que le pouvoir ne corrompt pas celles et ceux qui l’exercent, parce que la religion et le pouvoir sont utiles aux sociétés.
Les signes ne manquent pourtant pas, sans fascination, sans gloire éclatante, et nous en avons été témoins ce matin. Ce qui fait signe c’est le baptême, signe de la grâce de Dieu, signe du divin amour inconditionnel et d’un accueil largement ouvert, à tel point qu’il n’est pas nécessaire d’être en capacité d’y répondre pour en bénéficier et Orso a été baptisé. Nous voyons le signe que cet enfant est connu, reconnu, béni.
Nous sommes témoins de la foi de Thomas, la foi qui est aussi un signe, signe d’une bénédiction déjà reçue, signe que l’existence d’un homme a été soulevée hors du plein, orientée vers autrui, nourrie de la Parole qui est pain de vie. La foi est signe, qui fait s’émerveiller devant une naissance, qui rend sensible aux manifestations de vie comme à ce qui empêche la vie des vivants.
Puissent ces signes-là nous aider à en voir d’autres, à discerner dans notre quotidien là où l’Esprit a soufflé, là où la bénédiction s’épanouit dans une existence, là où la vie surgit inattendue, surprenante, décalée, là où la bonté et la justice construisent un monde où chacun a sa place.