Prédication du 25 février 2018
d’Anne-Sophie Dentan-Verseils
Qui dites-vous que je suis ?
Lecture : Marc 8, 27-35
Une des convictions forte de la réforme était celle de vouloir tenter de rétablir une relation vraie, véritable entre l’homme et son Dieu. Relation à l’époque que les réformateurs sentaient pervertie, et que Luther, nous le savons tous, retrouve un jour alors qu’il était en chemin sur la route d’Erfuth.
Relation que nous cherchons aujourd’hui encore à vivre à travers notre lecture biblique, à travers l’écoute de la Parole de Dieu.
Le Dieu de la Bible parle, il parle et sa Parole dresse celui ou celle qui y répond comme un vis à vis, comme un être libre et responsable devant Lui Dieu, et devant les autres.
Le texte de ce matin nous parle d’un vis à vis entre l’homme et Dieu, un tête à tête essentiel, fondateur de la foi me semble-t-il et rendu possible par le Christ.
Il commence par ces mots : « Jésus s’en alla avec ses disciples vers les villages voisins de Césarée de Philippe ».
Jésus et ses disciples se déplacent et c’est là, en chemin, que Jésus interroge ses disciples : « Qui suis-je au dire des hommes ? ».
Dans un premier temps, les réponses ne manquent pas « Jean-Baptiste, Elie, un des prophètes ». Ils sont à l’aise les disciples pour donner des réponses préparées par d’autres…Mais Jésus ne saurait se satisfaire d’une foi par procuration, alors il interroge à nouveau : « Et vous qui dites-vous que je suis ? »
Il demande à chacun une démarche personnelle, un engagement dans ses mots, dans ses gestes et dans sa vie à lui.
« Pierre prenant la Parole répondit à Jésus : Tu es le Christ ».
Et nous pouvons penser que Pierre a formulé là une bien belle et juste réponse témoignant d’une foi solide, conforme à la théologie officielle.
Et pourtant, Jésus va aussitôt « commander sévèrement » à ses disciples «de ne parler ainsi de lui à personne ». Il redoute que ce titre de Christ, qui désignait le Messie attendu ne soit source de malentendus.
Jésus ne veut pas qu’on le prenne pour ce Messie puissant et glorieux que tous appelaient de leurs prières et de leurs vœux.
Son chemin à lui passe ailleurs, par l’abaissement d’un serviteur crucifié…Et Jésus sent déjà chez Pierre le refus des souffrances qui l’attendent et qui attendent les disciples. Il discerne déjà leur incapacité à comprendre que se tenir devant Dieu c’est se tenir devant la croix.
Ainsi, un des fils conducteurs de ce passage de Marc et d’ailleurs de l’ensemble de l’Evangile c’est l’incompréhension des disciples.
Il n’est pas chose facile d’essayer de vivre sa vie devant Dieu, pour nous comme pour les disciples d’alors.
Je vous proposerai ce matin quatre pistes de réflexion sur ces difficultés à partir du texte de ce matin :
- D’abord, tout commence par une question de Jésus. « Et vous, qui dites-vous que je suis ? ».
Une question pour les disciples, une question pour chacun d’entre nous individuellement, une question qui voudrait susciter nos réponses. Jésus ne livre pas une doctrine toute faite, un savoir dogmatique sur Dieu, mais il les met en chemin.
Il ne leur demande pas d’acquiescer à un catéchisme, mais il réclame leur réponse personnelle, en les renvoyant à leurs propres paroles à leurs propres responsabilités.
Ainsi se tenir devant Dieu c’est se tenir à l’écoute de sa Parole. Une Parole qui interpelle, qui nous donne la parole, qui ouvre un espace de liberté et de responsabilités.
C’est une Parole bouleversante qui fait place aux questions de chacun. Questions qui courent tout au long de ce passage. Questions rentrées des disciples qui ne comprennent pas les souffrances du Christ, mais qui n’osent pas interroger Jésus. Questions sur leur impuissance à guérir les souffrances de la terre. Questions devant le mal qui parfois nous submerge quand la vie est trop dure et le malheur trop grand.
Car la foi ne fait pas magiquement disparaître les interrogations fondamentales liées au sens de la vie humaine et au tragique de l’histoire. Elle les porte comme une épreuve, comme un défi qui parfois nous éloignent et parfois nous rapprochent de Dieu.
Hubert Reeves écrit « On rencontre Dieu au niveau des interrogations et non plus au niveau des certitudes, on le trouve mêlé à nos angoisses et à nos questions sur le sens profond des choses ».
Première remarque donc, la foi comme une question, comme une multitude de questions qui ouvrent sur des possibles infinis.
- Mais du coup et ce sera ma seconde remarque, cette foi, elle ne peut pas être statique. Elle n’a pas l’immobilité des certitudes dogmatiques.
C’est un mouvement, une quête, un chemin.
Le mot chemin revient d’ailleurs plusieurs fois dans ce passage.
C’est en chemin que Jésus interroge ses disciples, c’est en chemin qu’il est confronté à leurs incompréhensions.
Christ est toujours en chemin, en mouvement, on ne sait jamais où il est, impossible de l’attraper, de le capturer, de l’enfermer. On suit un mouvement, on ne le dompte pas.
La foi est un chemin, pas une possession.
Il faut se risquer à suivre Jésus, à mettre nos pas dans les siens, à se laisser transformer par lui, renouveler par sa parole.
C’est à dire accepter d’être en décalage, en porte-à-faux avec les logiques de ce monde.
Et c’est bien ce que les disciples auront du mal à comprendre et notamment quand Jésus leur parlera de sa Passion et de leurs souffrances : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive ».
L’Evangile n’est pas un petit surplus de spiritualité pour un monde en manque de sens, un message simplement rassurant qui viendrait satisfaire la curiosité religieuse de nos contemporains, c’est un appel à renouveler notre comportement quotidien, nos engagements dans l’histoire, nos relations avec les autres.
Et, sur ce chemin difficile, le Christ fait route avec nous.
Deuxième remarque, la foi comme un mouvement, une dynamique de vie, une route qui nous ouvre à des espaces jusque-là inconnus.
- Et nous touchons là un troisième étonnement, une troisième surprise, se tenir devant Dieu n’est pas de l’ordre d’un savoir, d’une évidence, mais d’une rencontre personnelle avec christ. Christ fait route avec nous sur les chemins tortueux de nos vies.
Une rencontre qui sauve et libère, qui pardonne et guérit.
Comme ici Jésus rassemblant les foules, guérissant les malades, appelant ses disciples et les associant à sa mission. Alors même qu’ils ne comprennent pas très bien ce qui se passe et ce qu’il leur dit.
Une rencontre qui n’est pas le fruit des œuvres humaines et des exploits religieux, mais le résultat d’un acte d’amour dont Dieu a l’initiative.
Si nous pouvons nous tenir devant lui, c’est parce que lui-même s’approche de nous tels que nous sommes.
Cette rencontre n’est pas forcément spectaculaire.
Elle n’a pas lieu un jour, un fois pour toutes. Mais elle est chaque jour événement par lequel, une femme, un homme se sent accueilli, aimé gratuitement par Dieu, quelles que soient ses performances ou ses défaillances spirituelles.
La foi est cette confiance, disait Luther, cette confiance qui « nous arrache à nous-même et nous établit hors de nous, pour que nous ne prenions pas appui sur nos forces, sur notre conscience, nos sens, notre personne, nos œuvres, mais que nous prenions appui sur ce qui est au dehors de nous : la promesse et la vérité de Dieu qui ne peuvent tromper ».
Une telle confiance n’est pas une disposition de l’esprit, une qualité morale ou un pouvoir humain, mais elle est l’œuvre du Christ en nous, certitude imprenable qui leste et enracine nos existences, assurance de sa présence même lorsqu’il nous arrive de l’oublier, puissance sans laquelle nous ne pourrions ni croire, ni vivre, ni espérer.
La foi est tout entière dans cette rencontre, dans cette confiance qui nous tourne vers Dieu malgré nos limites et nos faiblesses.
Troisième remarque, la foi comme une rencontre, un vis à vis, un tête à tête qui nous fait vivre.
- C’est enfin cette confiance qui permet de répondre personnellement à la question que Jésus pose à ses disciples : « Et vous qui dites-vous que je suis ?».
La réponse personnelle de Pierre montre bien que Jésus ne s’adresse pas ici à la cantonade, de manière générale, mais il s’adresse à chacun individuellement, reconnaissant chacun comme un être unique et précieux devant Dieu.
Ainsi, et c’est le quatrième étonnement pour les disciples et pour nous, ce qui fonde notre foi, ce n’est pas d’abord, comme le pense beaucoup notre appartenance historique ou affective à une communauté religieuse, à une Eglise, à une institution, mais c’est notre relation personnelle au Christ sans intermédiaire.
C’est cette relation de confiance dont Dieu a l’initiative qui donne au croyant « le courage d’être seul » devant lui.
Chacun est alors appelé à trouver les mots pour confesser le Christ aujourd’hui, le dire dans son contexte particulier, dans son histoire, dans sa culture, dans son langage propre, mais en sachant en même temps que la vie avec Dieu a toujours quelque chose d’incommunicable et d’indicible.
Le Dieu devant lequel nous nous tenons dépasse toujours ce que nous pouvons en dire. Nos mots sont toujours inadéquats, inappropriés, infirmes pour parler de la rencontre personnelle avec lui.
Dieu se dérobe toujours à nos mots, à nos pensées, à nos sentiments, à nos expériences à nos institutions, à notre témoignage lui-même.
C’est peut-être ce qui peut nous empêcher d’ériger nos discours de foi en absolu ?
C’est peut-être dans ce sens qu’il faut comprendre ce secret dont parle jésus à ses disciples leur commandant de ne parler de lui à personne ou de ne raconter à personne ce qu’ils ont vu .
Peut-être est-ce fondamentalement une façon de dire qu’aucun langage ne peut rendre compte de Dieu et notre relation à lui. Et du coup ce secret invite les chrétiens, les témoins et les Eglises à l’humilité et à la tolérance pour partager leurs convictions sans se croire en possession de toutes les réponses.
Il les préserve de toute volonté d’imposer aux autres ce qu’ils croient, il les protège de toute tentation de prosélytisme agressif, d’hégémonie ou de domination sur la société.
Ainsi l’Eglise, les témoins peuvent conduire vers le christ ou maladroitement le désigner.
Ils peuvent ouvrir un chemin. Ils peuvent poser des jalons.
Mais leur tâche s’arrête quand commence le tête à tête libre et responsable avec Dieu.
Le témoin fait ce qu’il a à faire et ensuite il s’efface.
Le reste qui est l’essentiel ne lui appartient pas.
C’est l’œuvre de Dieu lui-même.
Cela devrait nous délivrer de toute obsession de résultat, de toute mauvaise conscience, de nos regrets et de nos tristesses quand nous constatons notre impuissance à faire partager l’Evangile à nos plus proches prochains.
Qui sait si l’essentiel ne se produira pas au moment où nous ne l’attendions pas ?
Au moment où, ayant fait ce que nous avions à faire, nous aurons le sentiment d’avoir été inutile ou inefficace ?
Finalement nous ne savons jamais quand survient l’essentiel.
Car la foi demeure un don de Dieu.
Mais il est déposé aux creux de nos fragiles existences de témoins. Des témoins confiants et libres qui peuvent joindre leurs voix à celle du père et dire à Dieu : « je crois, viens au secours de mon manque de foi ».
Amen