Prédication du 31 mars 2024
Culte de Pâques
de Dominique Hernandez
Pâques malgré la peur
Lecture : Marc 16, 1-8
Lecture biblique
Marc 16, 1-8
1 Lorsque le sabbat fut passé, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates, pour venir l’embaumer.
2 Le premier jour de la semaine, elles viennent au tombeau de bon matin, au lever du soleil.
3 Elles disaient entre elles : Qui roulera pour nous la pierre de l’entrée du tombeau ?
4 Levant les yeux, elles voient que la pierre, qui était très grande, a été roulée.
5 En entrant dans le tombeau, elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche ; elles furent effrayées.
6 Il leur dit : Ne vous effrayez pas ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ; il s’est réveillé, il n’est pas ici ; voici le lieu où on l’avait mis.
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu’il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez, comme il vous l’a dit.
8 Elles sortirent du tombeau et s’enfuirent tremblantes et stupéfaites. Et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
Prédication
L’évangile de Marc est toujours très surprenant. Son caractère abrupt est sensible dès le début avec un commencement sans introduction directement sur Jean le baptiste et le baptême de Jésus, et, nous l’avons entendu jeudi soir et vendredi soir, un récit de la Passion extrêmement tendu, intense, sec. Et ce que nous avons lu ce matin, le récit du matin de Pâques est particulièrement frustrant : pas de joie, pas d’apparition du Ressuscité, un minimum de détails. Déjà qu’il n’est pas possible de célébrer Noël, la naissance de Jésus, avec l’évangile de Marc, la célébration de Pâques serait-elle aussi réduite avec ce dernier mot sur la peur ? La peur qui n’est pas l’émotion que nous associons naturellement, spontanément avec la résurrection.
Rappelons-nous que l’évangile de Marc dans version originale prend fin avec ce verset 8, les suivants constituant une finale ajoutée ultérieurement ; il y a même deux finales différentes, c’est dire l’embarras devant cette peur clôturant le récit.
Sauf que la fin du texte n’est pas la fin de l’évangile. Un dernier mot est écrit, le point est inscrit, mais ce n’est pas la fin, c’est le commencement, et même un triple commencement.
- C’est le commencement de l’Évangile, la Bonne Nouvelle, la confiance que le Christ est ressuscité, vivant et agissant.
- C’est le commencement de l’évangile de Marc (des trois autres également) car le récit est le témoignage de foi de Marc (quel que soit son nom) ; c’est parce que Marc met sa foi dans le Dieu révélé par le crucifié-ressuscité qu’il écrit un récit dont l’origine est donc Pâques.
- C’est le commencement du cheminement du lecteur invité à reprendre la lecture pour mieux comprendre tout ce que Marc a écrit et quelles en sont les conséquences pour lui si lui aussi place sa foi dans le Dieu révélé par le crucifié-ressuscité.
Mais commencer avec le mot peur ? Comment s’y accrocher ? Comment l’articuler avec la Bonne nouvelle ? Avec la résurrection ? Et de quoi Marie de Magdala, Marie mère de Jacques et Salomé ont-elles peur ?
Dans ce jour commençant, les trois femmes marchent vers le tombeau, pour honorer la mémoire de Jésus, et pour compléter l’ensevelissement rapide, seulement dans un drap, dont s’est chargé Joseph d’Arimathée après la mort de Jésus. Les aromates participent à l’hommage qu’elles veulent rendre à celui qu’elles ont suivi depuis la Galilée. Il n’y a là rien d’extraordinaire mais l’insistance de Marc à signaler de trois manières différentes que le jour commence indique déjà que ce jour sera différent de celui que les femmes pensent inaugurer en se rendant au tombeau. L’écho avec le premier mot du récit de Marc au chapitre 1 : Commencement, ainsi que le contraste avec les ténèbres recouvrant la terre avant la mort de Jésus préparent le lecteur à ce qui suit. La pierre est roulée, le tombeau est ouvert. Or la pierre était très lourde. Entendons-nous bien : la pierre n’a pas été roulée pour laisser le Ressuscité sortir du tombeau. Il n’avait pas besoin de cela. Et d’ailleurs les évangiles ne racontent pas la résurrection elle-même, mais l’annonce de la résurrection. La pierre est roulée et le tombeau ouvert afin que les femmes puissent y entrer. A la place du corps mort et du silence, elles trouvent dans le tombeau un corps vivant et une parole.
Un jeune homme vêtu de blanc est assis et leur parle. Un jeune homme vêtu de blanc n’est pas forcément un ange. Marc connaît très bien le mot ange qu’il utilise plusieurs fois. S’il avait voulu placer un ange ou deux dans le tombeau, comme Luc ou Matthieu le feront, il l’aurait écrit ainsi. Le jeune homme vêtu de blanc n’est pas un ange, c’est un jeune homme vêtu de blanc, le premier à annoncer la Bonne Nouvelle de la Résurrection. Lorsque les femmes entrent dans le tombeau, il y a déjà quelqu’un qui croit et qui témoigne, qui transmet la nouvelle. Ce qui est notre situation : nous avons tous été précédés par quelqu’un qui nous a transmis la nouvelle d’une manière ou d’une autre. C’est l’expérience commune des disciples. Quelqu’un a dit, quelqu’un a fait passer la nouvelle. Marc met cela en scène sans aucun élément extraordinaire ni surnaturel.
Juste un jeune homme qui annonce, parce qu’il le croit, que la dynamique de la vie ne se retient pas, ni dans un tombeau, ni dans un rite, ni dans un livre, ni dans une construction, ni dans une institution humaine. Le jeune homme annonce la vie de la vie, il en est un visage, comme le sont toutes celles et ceux qui l’annoncent depuis des siècles.
Vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié, il s’est réveillé, il n’est pas ici.
Ce que signifie l’annonce du jeune homme, c’est que la mort n’est plus ce qui détermine l’existence humaine. La mort, cette limite commune à tous les humains, la mort dont la peur décuple la puissance sur la vie des vivants, la mort perd son pouvoir. Non qu’elle disparaisse, elle reste la limite de la vie humaine dans le temps, mais elle ne la définit plus. La vie n’est plus pour la mort, elle est pour la vie. L’essentiel de la vie n’est pas la limite, mais ce qui est au cœur, au centre de la vie. Lorsque l’essentiel de la vie est la limite de la vie, que ce soit en rejet ou en fascination, c’est la mort qui règne sur la vie. Si la limite est au centre, il n’y a plus d’espace. Mais avec Pâques, ce n’est plus la mort qui est au cœur de la vie, c’est le don de la vie de la vie, le don de ce qui rend la vie vivante, la grâce, l’amour, le pardon, ce qui en l’humain lui vient non de ses compétences ou de ses mérites, mais de la transcendance qui le rejoint. L’espace est ouvert, libéré pour la vie de la vie, la vie rendue vivante. La résurrection du Christ, c’est la libération de l’existence humaine. Pour le dire avec les mots du Ps 23 : c’est le passage de la vallée de l’ombre de la mort à la table de fête où la coupe déborde.
N’ayez pas peur dit le jeune homme aux femmes. C’est que ce qui est à l’œuvre n’est pas une volonté humaine ni une logique humaine, c’est la volonté et l’œuvre de Dieu, c’est la dynamique divine qui vient saisir l’humain. Et cela peut faire peur tant qu’on ne réalise pas que cette dynamique est toujours, obstinément, définitivement vivifiante, pour la vie des vivants. En Christ et par la résurrection du Christ, Dieu prend le parti de l’humain, de l’humanité et c’est aussi, forcément, le parti de la confiance. C’est le parti pris de l’Éternel Dieu de Jésus-Christ, ce n’est pas une mainmise sur les humains. C’est aussi pourquoi Marc n’a pas placé d’ange dans son récit mais un jeune homme qui s’adresse aux femmes. Rien que de très ordinaire, de très quotidien. Pas d’ange, pas de surnaturel qui ferait irruption dans le quotidien et qui s’imposerait au détriment de la confiance.
N’empêche que les femmes ont peur.
Nous pouvons bien faire l’expérience de la peur qui surgit devant l’inconnu, l’inattendu, devant l’aventure de la transformation de soi. Passer du règne de la mort au règne de la grâce ne laisse pas indemne. Il y a de quoi être tremblante et stupéfaite, le terme grec est plus précisément celui de l’extase, d’être hors de soi, l’ébranlement de devenir autrement que le soi familier. La peur des femmes est le miroir que Marc tend aux croyants dont les représentations de Dieu, du monde et d’eux-mêmes sont bouleversées par l’annonce de la résurrection, par l’événement dont Pâques est le nom et qui devient événement existentiel et singulier pour chacun.
On peut bien trembler de lâcher l’image d’un Dieu accessible seulement par le moyen de sacrifices, un Dieu qui prend, un Dieu qui rétribue
pour entrer dans la foi au Dieu qui s’est révélé dans un crucifié même ressuscité.
On peut bien se retrouver hors de soi en quittant une représentation de soi garantie par ses propres efforts et les jugements des autres
pour accepter d’être accepté tel qu’on est, inconditionnellement.
On peut bien avoir peur de changer de compréhension du monde qui continuera quand même de tourner selon ses logiques de pouvoir
pour le monde créé par la confiance et la reconnaissance.
Qui n’aurait pas peur, jamais, des conséquences du renversement de Pâques ?
Le jeune homme l’a bien dit aux femmes : le crucifié est ressuscité. C’est-à-dire que le ressuscité est toujours le crucifié. La croix n’est pas effacée par la résurrection. Oublier la croix, c’est manquer Pâques. Ce qui a crucifié Jésus de Nazareth est toujours à l’œuvre dans le monde et le crucifie encore en crucifiant les frères et sœurs de Jésus-Christ. Les injustices, les chantages au mérite, la jalousie, la soif de pouvoir et pour le dire avec les mots de Jésus dans l’évangile de Marc, la logique qui vise à sauver son âme, sa vie en cherchant à maîtriser les choses, les gens, le présent, l’avenir et Dieu aussi… La peur est là à l’œuvre, profondément ancrée dans l’esprit humain, dans les structures des groupes, y compris, surtout les groupes religieux qui la gèrent à grand renfort de sacré.
A la peur et à sa gestion humaine, Jésus a toujours opposé la confiance au Dieu qui fait grâce, c’est à dire la confiance au Dieu qui fait confiance. C’est ainsi qu’il a révélé la vérité de l’existence humaine devant Dieu. Et c’est ce que la résurrection ouvre à chacun, une existence libérée pour la confiance et qui lui donne forme ainsi qu’à la compassion, à la justice, à la gratuité, au pardon.
Dans un éditorial d’Évangile et Liberté, Raphaël Picon écrivait : Aujourd’hui le Christ est ressuscité quand ce qu’il incarne, la confiance en soi, le refus de la résignation, la foi en l’avenir, l’emporte sur ce qui nous brise et nous condamne, sur tout ce qui lentement nous tue.
Les femmes ont peur écrit Marc en fin de l’évangile. C’est une manière de ne pas le terminer, de le laisser en suspens, ouvert, pour faire place à chacun. Ce qui commence à Pâques se continue dans l’existence de chaque croyant. Pâques, c’est l’expérience d’une réalité existentielle, fruit de la dynamique créatrice de Dieu, de sa puissance libératrice. L’évangéliste nous laisse continuer. Il fait place à d’autres que lui, de même que d’autres avant lui avait laissé la place, l’espace pour sa propre réponse, sa responsabilité.
Comme les trois femmes sont envoyées vers les disciples après avoir rencontré le jeune homme vêtu de blanc, ce que provoque la proclamation de Pâques, c’est une multitude de rencontres et de paroles, non pas selon un plan prémédité, mais selon l’accueil des personnes et l’écoute des paroles. Question de reconnaissance et de confiance !
Et à chaque fois, à chaque fois qu’entre des personnes la reconnaissance et la confiance imprègnent les relations, la présence du Ressuscité est réelle.