Méditations du 18 juin 2023
de Dominique Hernandez
Culte musical sur l’eau
Lectures : Genèse 7, 6 à 8, 1 ; Deutéronome 8, 6-20 ; Matthieu 3, 13-17
Première lecture
Genèse 7, 6 à 8, 1
6 Noé avait six cents ans lorsqu’il y eut le déluge — les eaux — sur la terre.
7 Noé entra dans l’arche, lui et ses fils, sa femme et les femmes de ses fils avec lui, pour échapper aux eaux du déluge.
8 Des bêtes pures et des bêtes impures, des oiseaux et de tout ce qui fourmille sur la terre,
9 il en vint vers Noé, deux par deux, un mâle et une femelle, pour entrer dans l’arche, comme Dieu l’avait ordonné à Noé.
10 Sept jours après, les eaux du déluge étaient sur la terre.
11 L’an six cent de la vie de Noé, le dix-septième jour du deuxième mois, en ce jour-là toutes les sources du grand abîme jaillirent, et les fenêtres du ciel s’ouvrirent.
12 Il y eut de la pluie sur la terre quarante jours et quarante nuits.
13 Ce jour même Noé, Sem, Cham et Japhet, fils de Noé, la femme de Noé et les trois femmes de ses fils avec eux entrèrent dans l’arche
14 avec tous les animaux sauvages selon leurs espèces, tout le bétail selon ses espèces, toutes les bestioles qui fourmillent sur la terre selon leurs espèces, tous les oiseaux selon leurs espèces, tout ce qui vole et qui a des ailes ;
15 de tout ce qui avait souffle de vie, il en vint vers Noé, deux par deux, pour entrer dans l’arche.
16 Ceux qui vinrent, mâle et femelle, de toute sorte, entrèrent, comme Dieu l’avait ordonné à Noé. Puis le Seigneur ferma la porte sur lui.
17 Il y eut le déluge sur la terre pendant quarante jours. Les eaux montèrent et emportèrent l’arche, qui fut soulevée au-dessus de la terre.
18 Les eaux grossirent et montèrent énormément sur la terre, et l’arche s’en alla sur les eaux.
19 Les eaux grossirent de plus en plus sur la terre. Toutes les hautes montagnes qui sont sous le ciel furent recouvertes.
20 Les eaux montèrent quinze coudées plus haut, et les montagnes furent recouvertes.
21 Tout ce qui fourmillait sur la terre périt, tant les oiseaux que le bétail et les animaux, toutes les petites bêtes qui grouillaient sur la terre, et tous les humains.
22 Tout ce qui avait souffle de vie dans les narines et qui était sur la terre ferme mourut.
23 Dieu effaça tous les êtres qui étaient sur la terre : depuis les humains jusqu’au bétail, aux bestioles et aux oiseaux du ciel, ils furent effacés de la terre. Il ne resta que Noé et ceux qui étaient avec lui dans l’arche.
24 Les eaux grossirent sur la terre pendant cent cinquante jours.
1 Dieu se souvint de Noé, de tous les animaux et de tout le bétail qui se trouvaient avec lui dans l’arche ; Dieu fit passer un souffle sur la terre, et les eaux s’apaisèrent.
Première méditation
Qu’est-ce qui engloutit les vies des vivants de la terre ? A lire le récit de Genèse 6 à 8, le récit du Déluge, nous pouvons penser que c’est Dieu, fâché de voir les ravages de la violence, de la perversion, de la corruption, de la prédation commis par des humains considéré comme des héros ou des géants mais dont la caractéristique est de s’emparer des filles et des femmes.
Aujourd’hui, ce qui engloutit des vies, des dizaines, des centaines, des milliers, par exemple dans les eaux profondes de la Méditerranée, c’est bien la violence, la perversion, la corruption, la prédation commises par des humains.
Ce que le récit raconte alors, c’est une véritable dé-création, à rebours de ce que chante le poème du premier chapitre de la Genèse la séparation entre les eaux d’en haut et les eaux d’en bas se brouille, les fenêtres du ciel s’ouvrent et les eaux remontent du grand abîme d’en bas. Alors la séparation entre l’eau et la terre sèche disparaît et l’eau recouvre tout, comme avant le premier jour. Comme si la dynamique créatrice s’était retirée, suspendue, interrompue.
Il ne reste que l’arche avec Noé, sa famille, les animaux : un couple de chaque espèce.
Un déluge de 40 jours, c’est-à-dire une durée très longue, un anéantissement des vivants, bien pire que n’importe quel ouragan, cyclone, raz de marée, tornade, typhon, inondations, crues, tsunami… parce qu’il est question non de phénomènes climatiques ou naturels mais de la conséquence des comportements destructeurs des humains dont le récit mythologique reconnaît par la suite qu’ils ne disparaissent pas.
Seulement le mythe invite à considérer l’arche comme lieu de préservation de vivants, un lieu où est maintenue la droiture et de l’intégrité humaine, des lieux où est maintenue la justice et l’Éternel y prend part, lui qui donne à Noé les plans précis de l’arche et ferme la porte lorsque que les passagers sont montés à bords. L’arche est ce lieu voulu par l’Éternel dans le récit comme lieu qui résiste à la violence, à la corruption, et Noé s’y engage car les humains sont capables d’œuvrer pour la vie des vivants, capables d’œuvrer avec justice c’est-à-dire dans le respect de la justice divine, c’est dire dans la pratique du droit envers les plus démunis, envers ceux qui sont exclus, envers ceux qui sont déconsidérés, considérés comme ayant moins de valeur que d’autres humains. L’arche est le lieu grâce auquel l’avenir est possible.
Le Déluge n’est pas le récit d’un dieu qui écrase l’humanité qui ne répond pas à son projet. C’est le récit du Dieu qui s’oppose à la violence et qui prévoit l’arche pour préserver l’avenir.
Ce n’est pas le récit d’un dieu qui châtie dans une fureur ravageuse ou dans une indifférence à la vie des vivants, mais le récit d’un Dieu qui veut sauver la possibilité de la vie des vivants.
A l’heure où les bateaux coulent en Méditerranée, et sur d’autres mers, où les naufragés des guerres, des idéologies meurtrières, des conséquences dramatiques de la violence et de la prédation trouvent si difficilement des abris, des refuges, des lieux de vie et pas de survie, à l’heure où les menaces des multiples crises rendent précaires tant d’existences,
quelles sont les arches où la possibilité de vivre est choyée, où les vivants sont reconnus comme précieux ? Ce ne sont certes pas des boîtes bien étanches, mais des lieux construits dans le soin d’autrui, des temps dont la reconnaissance donne le rythme, des paroles et des actes par lesquels la violence est nommée, contestée, repoussée.
L’Éternel l’est pour l’avenir des humains.
Deuxième lecture
Deutéronome 8, 6-20
6 Tu observeras les commandements du Seigneur, ton Dieu, en suivant ses voies et en le craignant.
7 Car le Seigneur, ton Dieu, te fait entrer dans un bon pays, un pays de cours d’eau, de sources et d’abîmes qui jaillissent dans les vallées et dans les montagnes ;
8 un pays de froment, d’orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers ; un pays d’huile d’olive et de miel ;
9 un pays où tu mangeras sans avoir à te rationner, où tu ne manqueras de rien ; un pays où les pierres sont du fer, et où tu extrairas le cuivre des montagnes.
10 Lorsque tu mangeras et que tu seras rassasié, tu béniras le Seigneur, ton Dieu, pour le bon pays qu’il t’a donné.
11 Garde-toi d’oublier le Seigneur, ton Dieu, de ne pas observer ses commandements, ses règles et ses prescriptions, tels que je les institue pour toi aujourd’hui.
12 Lorsque tu mangeras et que tu seras rassasié, lorsque tu bâtiras et habiteras de belles maisons,
13 lorsque ton gros bétail et ton petit bétail se multiplieront, que l’argent et l’or se multiplieront pour toi et que tout ce qui t’appartient se multipliera,
14 prends garde, de peur que ton cœur ne s’élève et que tu n’oublies le Seigneur, ton Dieu, qui te fait sortir de l’Egypte, de la maison des esclaves.
15 Il t’a fait marcher dans ce désert grand et redoutable, pays des serpents brûlants, des scorpions et de la soif, où il n’y a pas d’eau ; il a fait jaillir pour toi de l’eau du rocher de granit,
16 il t’a fait manger dans le désert la manne que tes pères ne connaissaient pas, afin de t’affliger et de te mettre à l’épreuve, pour te faire du bien par la suite.
17 Et tu te dirais : « C’est par ma force et la vigueur de ma main que j’ai acquis toutes ces richesses ! »
18 Tu te souviendras du Seigneur, ton Dieu, car c’est lui qui te donne de la force pour acquérir ces richesses, afin d’établir son alliance, celle qu’il a jurée à tes pères — voilà pourquoi il en est ainsi en ce jour.
19 Si jamais tu oublies le Seigneur (YHWH), ton Dieu, si tu suis d’autres dieux, si tu les sers et si tu te prosternes devant eux, je vous en avertis aujourd’hui : vous disparaîtrez.
20 Vous disparaîtrez comme les nations que le Seigneur fait disparaître devant vous, parce que vous n’aurez pas écouté le Seigneur, votre Dieu.
Deuxième méditation
C’est la terre promise : un pays de cours d’eau, de sources qui jaillissent dans les vallées et les montagnes. C’est dire que la terre promise est une terre de récoltes abondantes. Ce n’est pas un désert aride et sec, où l’eau manque, où la famine menace. Chacun sera rassasié, il y aura assez pour tous.
Y a-t-il encore une terre promise ? Oui. La terre promise, ce n’est pas une région particulière de la planète, ce n’est pas un coin de terre qui serait plus saint que tous les autres. Elle n’est pas localisée par rapport à d’autres lieux. La terre promise ne dépend pas de coordonnées spatiales, mais de la manière dont on vit là où l’on vit. La terre promise est la terre où l’on vit sans oublier la Parole de vie, c’est-à-dire sans oublier qui donne la terre promise, sans oublier qui fait sortir de l’esclavage, des esclavages qui rendent la terre invivable.
L’eau coule dans la terre promise. Pour nous qui vivons dans ce coin de terre au XXI° siècle, l’eau coule chaque fois que nous ouvrons un robinet dans nos maisons. Ce qui n’est pas le cas partout sur la terre. Seulement 70% de la population mondiale dispose d’eau potable à domicile au moins 12h par jour.
Combien de fois dans une journée ouvrons-nous un robinet pour faire couler de l’eau ? En moyenne entre 15 et 20 fois par jour. Autant d’occasions de se souvenir de la terre promise et de l’Éternel qui libère de l’esclavage !
Il y a un quotidien où l’on peut facilement oublier Dieu à cause de la facilité avec laquelle des besoins vitaux sont satisfaits. Pourtant, le même quotidien peut rappeler le don et la promesse, la terre promise qui est aussi ce Royaume dont Jésus le Christ annonçait qu’il est tout proche, au milieu de nous.
Il y a au moins quinze à vingt occasions par jour pour se souvenir, pas pour se sentir coupables, mais pour que la terre où nous vivons devienne terre promise, féconde, où chacun mange à sa faim. Se souvenir pour rendre grâce, pour dire merci et pour partager.
Ces versets du livre du Deutéronome ne constitue pas un traité de théologie sur la nature de Dieu ; ils évoquent poétiquement pour le quotidien la gratitude, et donc le partage, et le risque de l’oubli de Dieu qui fait que l’humain se prend pour le centre du monde et même pour un genre de dieu qui peut agir sans limite. Car l’abondance peut rendre égoïste et cruel, quand les logiques de consommation de convoitise et de profit prennent le dessus et conduisent à un permis d’abuser. Mais le manque aussi peut rendre égoïste et cruel, quand les ressources diminuent et que leur raréfaction aiguillonne les logiques d’accaparement. Autant de logiques d’esclavage !
Mais ce qui fait vivre en humain, ce n’est pas d’avoir plus, c’est la reconnaissance. La terre promise invite à la gratitude. L’eau qui coule d’un robinet ouvert peut être un signe de rappel que la terre promise est le monde à habiter en partage.
Prends garde que ton cœur ne s’élève et que tu dises : c’est par ma force et la vigueur de ma main que j’ai acquis toutes ces richesses. En oubliant l’Éternel, le don, la promesse, l’humain finit par se croire supérieur à autrui ou sans rapport avec les autres. Et la terre devient un désert de faims, de soifs, de grognements et de violence.
Ce que déploient ces versets du livre du Deutéronome, c’est une manière de vivre pour la gloire de Dieu. Non pas ne passant son temps au temple, mais en spiritualisant le quotidien, que les gestes et les temps soient vécus dans la conscience de la grâce, de la bonté de Dieu. C’est la terre promise.
Pensons-y la prochaine fois que nous ouvrirons un robinet pour faire couler de l’eau !
Troisième lecture
Matthieu 3, 13-17
13 Alors Jésus arrive de Galilée au Jourdain, vers Jean, pour recevoir de lui le baptême.
14 Mais Jean s’y opposait en disant : C’est moi qui ai besoin de recevoir de toi le baptême, et c’est toi qui viens à moi !
15 Jésus lui répondit : Laisse faire maintenant, car il convient qu’ainsi nous accomplissions toute justice. Alors il le laissa faire.
16 Aussitôt baptisé, Jésus remonta de l’eau. Alors les cieux s’ouvrirent pour lui, il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
17 Et une voix retentit des cieux : Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; c’est en lui que j’ai pris plaisir.
Troisième méditation
Jean, dit le baptiste, est celui qui plongeait les gens dans l’eau. Il demandait à ceux qui venaient au bord du Jourdain de changer de comportement, de se convertir, de reconnaître leurs péchés pour s’attacher à la volonté de l’Éternel. Le baptême était le signe de cette résolution de revenir vers l’Éternel dans une vie nouvelle.
Nous savons bien que l’eau c’est la vie, nous apprenons et comprenons tout petits qu’elle nous est indispensable, vitale et si nous faisons l’expérience d’en manquer, même pour peu de temps, nous nous sentons fragiles, angoissés, en danger. Et quelle sensation bienfaisante que de boire de l’eau lorsque l’on a très très soif : on se sent littéralement vivant, on sent couler la vie en soi. Et on ne maitrise pas du tout ce que fait l’eau en nous. Même si c’est bien nous qui la buvons, son effet nous échappe complètement, nous la laissons faire en nous son action bienfaisante et vivifiante.
C’est ainsi que Jésus dit à Jean : Laisse. C’est que Jean, reconnaissant en Jésus celui dont il annonce la venue, celui qui vient derrière lui et qui est plus puissant que lui, celui qui baptisera dans l’Esprit saint et le feu, Jean ne veut pas baptiser Jésus. Jean veut être baptisé par Jésus. Il est déjà prophète, c’est du moins ainsi que les évangiles le présentent avec son vêtement de poils de chameau et sa ceinture de cuir, il est déjà ascète au régime criquets et miel, il est déjà baptiseur du baptême de repentance, et prédicateur de la conversion et de la colère qui vient. Jean sait bien que celui qui vient le rencontrer au Jourdain est plus grand que lui et ira plus loin que lui. Ce n’est pas logique pour Jean de baptiser Jésus, c’est lui qui a à recevoir de Jésus le baptême pour sa conversion.
Mais Jésus lui dit : Laisse. Laisse faire souvent dans les traductions, mais c’est seulement : Laisse. N’insiste pas. Ne me dis pas ce que j’ai à faire.
Laisse: attend un peu, arrête de parler, de faire toujours plus. Laisse faire, oui, mais qui ? Et bien : laisse faire Dieu.
Jésus vient vers Jean et lui dit : Laisse faire Dieu. D’abord la confiance : ne rien faire mais laisser faire.
Jésus n’est pas un Messie qui vient envoyé par la colère de Dieu, une hache dans une main et une torche dans l’autre.
Jésus est le Christ du Dieu qui est comme l’eau qui fait vivre, un Dieu qui vient en l’humain et qui agit en l’humain sans que l’humain maitrise cet agir divin à l’intérieur de lui-même. Un Dieu d’eau vive, un Dieu source de la vie vivante pour chacun, chacune et tous.
Bien plus essentiel, bien plus vivifiant que les rites, les formules, les traditions. Laisse, fais confiance, Dieu est à l’œuvre. Pas besoin d’ajouter les mérites aux œuvres, de multiplier les preuves par les efforts avec la culpabilité au carré. D’abord : laisse.
C’est certainement déconcertant pour Jean, et pour bien d’autres, et pour la part de chacun de nous qui cherche à maîtriser, à contrôler, à gérer, à diriger.
Un Dieu comme l’eau que nous buvons, qui agit en nous et nous désaltère.
C’est Dieu seul qui fait grâce et qui pardonne, qui justifie et qui ressuscite.