Prédication du 2 avril 2023

Rameaux
Culte-cantate

de Dominique Hernandez

La paix soit avec vous !

Lecture : Luc 24, 36-49

Lecture biblique

Luc 24, 36-49

36 Comme ils disaient cela, lui-même se présenta au milieu d’eux et leur dit : Que la paix soit avec vous ! 
37 Saisis de frayeur et de crainte, ils pensaient voir un esprit. 
38 Mais il leur dit : Pourquoi êtes-vous troublés ? Pourquoi des doutes vous viennent-ils ? 
39 Regardez mes mains et mes pieds, c’est bien moi ; palpez-moi et regardez ; un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. 
40 Et en disant cela, il leur montra ses mains et ses pieds. 
41 Comme, dans leur joie, ils ne croyaient pas encore et qu’ils s’étonnaient, il leur dit : Avez-vous ici quelque chose à manger ? 
42 Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé. 
43 Il le prit et le mangea devant eux.

44 Puis il leur dit : C’est là ce que je vous disais lorsque j’étais encore avec vous ; il fallait que s’accomplisse tout ce qui est écrit à mon sujet dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes. 
45 Alors il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Ecritures. 
46 Et il leur dit : Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, qu’il se relèverait d’entre les morts le troisième jour 
47 et que le changement radical, pour le pardon des péchés, serait proclamé en son nom à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. 
48 Vous en êtes témoins. 
49 Moi, j’envoie sur vous ce que mon Père a promis ; vous, restez dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la puissance d’en haut.

Prédication

La paix soit avec vous !
Et pourtant cette parole provoque frayeur, crainte, trouble, doute, étonnement, pas moins de cinq mots pour dire combien les disciples sont bouleversés devant la survenue du Christ ressuscité au milieu d’eux. Ce qui n’empêche quand même pas la joie, même si cette émotion semble participer du trouble, comme lorsque nous disons devant une bonne nouvelle : je n’y crois pas… ou encore comme nous entendons souvent : j’ai du mal à réaliser.
Luc écrit un récit très élaboré, très construit dans lequel la salutation de Jésus, salutation au sens plein -pas une formule désinvolte, ouvre sur deux parties bien distinctes :

  • la première consiste à signifier qu’il s’agit bien de Jésus-Christ et pas d’un esprit ou d’un fantôme. Les marques sur les mains et les pieds, le morceau de poisson mangé désignent une corporéité réelle, bien que différente de la nôtre puisque le ressuscité surgit tout d’un coup au milieu.

Mais ce surgissement, ces marques, ce simple repas, qu’ont-ils à voir avec la paix ?

  • Ensuite dans la seconde partie, le récit met en scène de multiples ouvertures à travers les paroles de Jésus : ouverture de l’intelligence des disciples, ouverture des Écritures, de l’universalité et ouverture à un don à venir, celui de la puissance d’en haut. Luc prépare ainsi le récit de Pentecôte et du don de l’Esprit au chapitre 2 du livre des Actes des apôtres.

Mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec la paix ?

Cette paix n’est pas celle qui met un terme à un conflit, inscrite dans un traitée ou signée par une poignée de main. La paix de la salutation est la paix intérieure qui est don, qui est œuvre divine restauratrice, recréatrice d’humanité. C’est une paix en forme de pardon, de délivrance, de guérison de celui ou celle qui était courbé/e sous le poids du passé, ou d’une faute, celui ou celle qui était étouffé/e par la peur ou la haine. C’est la paix du cœur, la paix de l’âme, la paix de l’être ressuscité, et l’énergie de cette paix, c’est le Christ qui surgit au milieu des disciples partageant la bonne nouvelle : il est vivant, agissant, présent.
Lorsque Luc écrit son évangile, les temps sont troublés et sombres pour les disciples du Christ. La destruction du Temple de Jérusalem a précipité la rupture entre juifs et chrétiens et ceux-ci sont soumis à des persécutions de la part de l’empire romain. Le monde craque dans ses jointures, ses articulations, et il craque encore aujourd’hui, y compris dans son soubassement écologique. Il n’y a de monde que sur cette terre. Entre dangers et angoisses, agitations et dénis, et la violence qui joue toujours comme un facteur de division interne aux groupes, aux communautés, la salutation de paix semblerait bien dérisoire si le récit de Luc ne nous délivrait de précieux indices, de précieuses indications sur le chemin, la voie de la paix, parce que le don de la paix ne nous dispense pas de réfléchir et d’agir.

Dans la première partie du récit, nous avons donc le surgissement de Jésus-Christ au milieu des disciples, un surgissement inattendu alors même que certains l’ont déjà vu, alors même que les autres ont appris qu’il est ressuscité. Cet inattendu nous tient en alerte : les lieux et temps connus, les formules bien rodées, les rites anciens, les héritages transmis, les habitudes partagées ne peuvent circonscrire la survenue du ressuscité, c’est-à-dire le renouvellement du regard et de l’existence provoqué par l’événement du relèvement. La paix donnée n’installe personne dans le confort mais dispose à la vigilance, à la veille, à l’attention.
Une autre indication est celle des marques sur les pieds et mains du Ressuscité qui les montre à ses disciples, des pieds et des mains percées. La paix, ce n’est pas le déni ni l’abstraction de la réalité Les disciples, nous ne serons pas à l’abri de la brutalité du monde. Nous ne serons pas préservés d’éprouver dans notre corps, c’est-à-dire dans notre être, et dans notre quotidien la complexité souvent douloureuse de l’existence humaine dans le monde, l’affrontement à la mort, les effets de la violence, de la haine. De toute manière, le monde n’a pas besoin de lénifiants discours, ni de pieuses illusions, ni de réflexions désincarnées. La résurrection n’efface pas la dureté du monde, elle ne change pas le réel, elle signifie la possibilité d’une autre manière de vivre dans le monde tel qu’il est.
La troisième indication de la première partie du récit, c’est ce morceau de poisson que Jésus mange. Plusieurs manuscrits ajoutent à ce morceau de poisson un rayon de miel, rappel des délices de la terre promise et de la qualité du Royaume. Dans cet acte, se lève toute l’importance de la commensalité, des repas partagés entre Jésus et ses disciples, entre Jésus et ses contemporains, et jusqu’au dernier repas, celui qui fonde la Cène, la communion de pain et de vin, de la parole et de la vie. La paix n’isole jamais personne ; au contraire, elle dispose au partage de ce qui fait vivre, à l’encouragement et à la joie du partage.

La seconde partie du récit trace les contours de la vie des disciples dans une existence suscitée à nouveau, re-suscitée. Cette existence est caractérisée par l’ouverture, une ouverture à la transcendance agissante non à travers des croyances, mais à travers une relation de don et de confiance.
L’intelligence des disciples est ouverte, et toujours requise, non pour les répétitions d’une lecture littérale, mais pour des reprises, c’est à dire des interprétations renouvelées des Écritures, elles aussi ouvertes, offertes comme la table commune d’un dialogue permanent. La loi de Moïse et ses textes de libération en forme de sortie du lieu de servitude et de passage de la mer ouverte, en forme de dix paroles de vie comme autant de promesses pour un horizon de communion, en forme d’errances dans le désert où s’enchaînent épreuves, révoltes et retours dans l’Alliance. Les livres des Prophètes à la lucidité sans complaisance où, obstinément, contre exil et rupture, avec espérance et persévérance, s’élabore la pensée d’un peuple témoin de l’Alliance. Les Psaumes, chants de joie et chants de peine, ces poèmes de l’âme humaine dans tous ses états où sont déployées la profondeur et l’intensité de la vie intérieure en prise avec l’Origine de l’être.
L’ouverture des Écritures et de l’intelligence pointe vers le don de la puissance d’en haut, l’Esprit, le Souffle vivifiant qui inspire aussi bien les prophètes que les disciples à Jérusalem, et Jean-Sébastien Bach et d’autres

dont l’écoute des œuvres nous ouvre à un au-delà de nous-mêmes dans l’harmonie des voix et des instruments
et aiguise notre sensibilité et notre écoute pour entendre autrement et être autrement attentif au monde qui est le nôtre.

Enfin, l’ouverture est également celle de l’universalité dans la diversité des nations, des langages, des cultures de l’humanité plurielle. La paix donnée n’est jamais affaire d’uniformité.
Elle engage les disciples, elle nous engage en dialogues, en quêtes de langage pour traduire la foi. Ni univocité ni monotonie, mais une dynamique, un aller vers les autres différents en bienveillance, en confiance, dans la justice.
Aller vers les autres avec imagination pour expliquer et traduire les images, les expériences familières et singulières pour celles et ceux qui ne les connaissent pas, dans des situations et face à des défis que nos prédécesseurs dans la foi ne connaissaient pas.
Vous en êtes témoins, dit le Christ, témoins d’un vivre autrement que selon les logiques de destin, d’exclusion, de performance et de prédation qui condamnent à l’indifférence ou au désespoir.
Nous sommes témoins d’un pardon toujours offert, d’une espérance toujours vive, d’une destinée d’éternité, d’un accueil toujours inconditionnel, d’une confiance toujours adressée, d’une résurrection, un relèvement, une renaissance toujours possibles.