Prédication du 4 décembre 2022
de Marc de Bonnechose
Lectures : Esaïe 11, 1-10 ; Romains 15, 4-9 ; Matthieu 3, 1-12
Lectures bibliques
Esaïe 11, 1-10
1 Un rameau sortira du tronc d’Isaï, et un rejeton naîtra de ses racines.
2 L’Esprit de l’Eternel reposera sur lui : esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de connaissance et de respect de l’Eternel.
3 Il respirera le respect de l’Eternel ; il ne jugera pas sur l’apparence, il ne prononcera pas de sentence sur un ouï-dire.
4 Mais il gouvernera les pauvres avec équité, et il prononcera la justice avec droiture pour les malheureux de la terre ; il frappera la terre de sa parole comme d’une verge, et du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant.
5 La justice sera la ceinture de ses flancs, et la fidélité la ceinture de ses reins.
6 Le loup habitera avec l’agneau, et la panthère se couchera avec le chevreau ; le veau, le lionceau, et le bétail qu’on engraisse seront ensemble, et un petit enfant les conduira.
7 La vache et l’ourse auront un même pâturage, leurs petits un même gîte ; et le lion, comme le bœuf, mangera de la paille.
8 Le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère, et l’enfant sevré mettra sa main dans la caverne du basilic.
9 Il ne se fera ni tort ni dommage sur toute ma montagne sainte ; Car la terre sera remplie de la connaissance de l’Eternel, comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent.
10 En ce jour, le rejeton d’Isaï sera là comme une bannière pour les peuples ; les nations se tourneront vers lui, et la gloire sera sa demeure.
Romains 15, 4-9
4 Or, tout ce qui a été écrit d’avance l’a été pour notre instruction, afin que, par la patience, et par la consolation que donnent les Écritures, nous possédions l’espérance.
5 Que le Dieu de la persévérance et de la consolation vous donne d’avoir les mêmes sentiments les uns envers les autres selon Jésus Christ,
6 afin que tous ensemble, d’une seule bouche, vous glorifiiez le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ.
7 Accueillez-vous donc les uns les autres, comme Christ vous a accueillis : pour la gloire de Dieu.
8 Je dis, en effet, que Christ a été serviteur des circoncis, pour prouver la véracité de Dieu en confirmant les promesses faites aux pères,
9 tandis que les païens glorifient Dieu à cause de sa miséricorde.
Matthieu 3, 1-12
1 En ce temps-là parut Jean Baptiste, prêchant dans le désert de Judée.
2 Il disait : « Convertissez-vous, car le royaume des cieux est proche ».
3 Jean est celui qui avait été annoncé par Ésaïe, le prophète, lorsqu’il dit : « C’est ici la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers ».
4 Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.
5 Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de tout le pays des environs du Jourdain, se rendaient auprès de lui ;
6 et, confessant leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans le fleuve du Jourdain.
7 Mais, voyant venir à son baptême beaucoup de pharisiens et de sadducéens, il leur dit : « Engeance de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ?
8 Produisez donc du fruit digne de la conversion,
9 et ne prétendez pas dire en vous-mêmes : « Nous avons Abraham pour père ! ». Car je vous déclare que de ces pierres-ci, Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
10 Déjà la cognée est mise à la racine des arbres : tout arbre donc qui ne produit pas de bons fruits sera coupé et jeté au feu.
11 Moi, je vous baptise d’eau, pour vous amener à la conversion ; mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter ses souliers. Lui, il vous baptisera du Saint Esprit et de feu.
12 Il a son van à la main ; il nettoiera son aire, et il amassera son blé dans le grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint pas ».
Prédication
« Engeance de vipères » … J’adore l’expression de Jean-Baptiste et son côté un peu décalé.
En fait, Jean-Baptiste correspond à l’archétype du prophète, dont le rôle est d’accueillir la Parole de Dieu pour la laisser passer à travers lui et la redonner au monde. Et si on le décrit vêtu en poils de chameau avec une lanière de cuir comme ceinture, en train de manger des sauterelles et du miel sauvage, c’est en partie pour montrer qu’il appartient à l’une des sectes mystiques de l’époque, mais c’est surtout pour signaler que sa vie personnelle n’est pas une réelle priorité pour lui. Ce qui compte pour Jean-Baptiste, c’est sa vocation, ce à quoi il est appelé. Et le prophète est appelé à deux choses : à accueillir la Parole de Dieu en lui, et dans le même temps il est appelé à accueillir le monde pour la lui partager. Et le résultat est impressionnant : ce sont des foules qui se font baptiser du baptême de purification qu’il propose, et qui se pressent devant le Jourdain. Des mouvements de foules qui feraient rêver n’importe quelle Eglise en quête de croissance !
Vous noterez au passage ce double mouvement qui va nous intéresser. Jean-Baptiste accueille d’un côté la Parole de son Dieu, et s’y rend totalement disponible. Et de l’autre côté il accueille les foules et il leur fait vivre une expérience spirituelle forte de purification. Disponibilité d’un côté, expérience spirituelle de l’autre. En fait il fonctionne un peu comme un hub, comme un hall de gare qui va mettre en correspondance chaque voyageur avec le train qui est prévu pour lui, il est comme une zone de rencontre qui va mettre en contact la Parole de Dieu avec des personnes qui se mettent en mouvement dans leur vie. Gardez cette image en tête, parce qu’on y reviendra après : on peut voir Jean-Baptiste comme un poumon, un espace intérieur qui va accueillir en même temps une Parole et une personne et qui va leur permettre de se connecter dans une rencontre.
Quand on parle d’accueil dans nos Eglises, ou d’évangélisation, normalement on devrait parler de ça, de cette expérience fondamentale de rencontre spirituelle décrite ici à propos de Jean-Baptiste. L’accueil, c’est ça.
Alors la conséquence, on la connait avec ces foules qui se pressent. Mais un certain nombre de responsables de communautés de l’époque ont vu que ça marchait, et il se sont sans doute dit : « pourquoi ne pas y aller nous aussi, au Jourdain ! Finalement, ce baptême de Jean-Baptiste c’est une purification, c’est une protection supplémentaire en plus de celle donnée par le respect de la Loi. Donc ça peut être utile ». Ceinture et bretelle pour la vie éternelle ! Ça veut dire que pour eux, la qualité de leur vie personnelle ou religieuse vaut plus que la spiritualité ou le sens de la Parole. Exactement l’opposé de Jean-Baptiste pour qui l’accueil de la Parole est plus important que les éléments sociaux ou religieux de l’existence.
Il y a là un conflit, absolu et inévitable. Et donc… « Engeance de vipères…. Convertissez-vous ».
Dans la réaction de Jean-Baptiste, ce mot de conversion est important, il est central même pour l’évangile de Matthieu. Il ne s’agit pas de repentir ou de purification comme on l’a parfois traduit. Ce n’est pas une question de reconnaître ses fautes ou sa bassesse, ou de se promettre intérieurement à soi-même une vie à l’avenir plus conforme à l’évangile. La conversion, c’est comme en ski, se retourner à 180 degrés. On est arrivés au bout de la piste et devant nous il y a un sapin ou un mur. Et pour repartir il faut changer sa route à 180 degrés. Inverser notre manière-même de penser, de penser Dieu, la spiritualité, le monde.
Je vous donne un exemple en reprenant ce qu’on disait à propos de l’accueil. On disait : il faut voir Jean-Baptiste (ou toute personne d’ailleurs) comme un espace de disponibilité qui accueille d’un côté la Parole et de l’autre les gens qui viennent, et qui offre la possibilité d’une connexion, d’une rencontre entre les deux. Une Eglise qui accueille, ce n’est donc pas une Eglise qui détient la vérité ou qui essaie d’aller chercher le plus de gens possibles en organisant des actions. Ce n’est pas une Eglise qui proclame l’évangile à tous les vents en essayant de convertir le monde extérieur. C’est une Eglise qui, à 180 degrés de ça, se rend disponible à la rencontre, à la fois avec la Parole et avec la personne qui est là. L’accueil, c’est la disponibilité de chacun dans l’Eglise.
Et pour bien se rendre compte que ce n’est pas une idée creuse ou un slogan, je vais vous faire faire un petit exercice. Vous êtes ici ce matin, et ce n’est pas un hasard, j’en suis convaincu. Certains sont en recherche, d’autres viennent parce qu’ils se sentent bien ou qu’ils ont envie de prier, de méditer un texte ou de vivre quelque chose ensemble. Prenez un instant, chacun pour soi, et essayez de vous souvenir de la première fois que vous avez ressenti qu’il y avait de la pertinence pour vous à propos de Dieu. Quel était le premier événement qui vous a fait vous rendre compte de Dieu, ou de l’amour de Dieu, ou de la foi, appelez-le comme vous voulez. C’était à quelle occasion, cette première fois… ?
Je suis sûr que pour la grande majorité d’entre vous, c’était une monitrice d’école biblique qui vous a dit un mot qui vous concernait, c’était une réflexion partagée avec un ami, c’était une sensation d’harmonie dans une chorale, c’était une discussion avec un parent, c’était une remarque qui vous a touchée, c’était une expérience particulière et personnelle en regardant un paysage ou seul pendant une marche. Dans la grande majorité des cas, ce premier moment de conscience avec Dieu, c’est une illumination intérieure de l’ordre de la Parole qui s’invite dans votre vie, ou bien il y a une autre personne à ce moment-là et cela se passe dans une rencontre. Pour ce qui est de l’illumination intérieure, on ne peut rien en dire ici, si ce n’est la vivre. Mais dans les autres cas, il s’agit de rencontre et d’accueil. C’est la rencontre qui fait l’accueil. Une rencontre entre une personne disponible et une autre personne, porteuse de sa vie. C’est cette rencontre, qui fait l’accueil…et même qui fait l’Eglise : « là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux ». L’Eglise, elle nait là. Elle est présente là et elle est constituée de cette rencontre.
Ce que Jean-Baptiste avait déjà parfaitement compris, et que les responsables religieux ignoraient encore, c’est que l’essentiel n’est pas dans la qualité de sa foi ou dans la perfection de ses actes au regard de la Loi, mais dans la disponibilité que l’on a à se laisser rencontrer par un texte biblique, une illumination personnelle ou par un visiteur, par un ami lors d’un dîner, par un ensemble vocal et un organiste qui nous font savourer les silences entre les notes d’une partition de Bach, par un passant que l’on croise. C’est cela, l’accueil en Eglise. C’est une rencontre de disponibilité, à l’opposé de toute stratégie.
Alors vous me direz, c’est bien joli, ce changement d’orientation à 180 degrés, mais tous les rencontres sont humaines, et les humains sont imparfaits et c’est toujours biaisé par un égo, par une volonté de quelque chose, par une mauvaise écoute ou une gaffe que l’on fait au mauvais moment… ? Peut-être.
Mais la prophétie de Jean-Baptiste vient nous rejoindre et nous rappeler que Dieu est déjà en train de « nettoyer son aire, d’amasser son blé dans le grenier, et de brûler la paille dans un feu qui ne s’éteint pas ». C’est-à-dire que Dieu est déjà à l’œuvre pour faire advenir ce qui est bon et refouler nos pailles, peut-être même nos poutres dans un feu qui ne s’éteindra jamais. Soyons sûrs que dans chaque rencontre vraie, il purifiera ce qui doit l’être. Quand la rencontre est forte, on sait très bien que l’essentiel a été vécu et que le reste a été jeté aux oubliettes ; que nous avons été purifiés en quelque sorte, à notre insu.
Cette notion d’accueil par la rencontre, elle est aujourd’hui centrale je crois pour notre Eglise, comme pour nous personnellement. Parce qu’elle correspond tout à fait à Noël. Quand vous regardez la prophétie d’Esaïe, ce loup qui habite avec l’agneau, et la panthère avec le chevreau, on a bien un changement à 180 degrés de la compréhension des choses, où l’autre n’est plus une proie mais un frère. Quand on regarde la vieille souche de Jessé qui porte un rejeton, on est bien dans le franchissement d’un impossible à l’opposé de la logique puisque la mort ne peut donner la vie. Quand on regarde un enfant dans une crèche ou dans un berceau, on est plus tenté de regarder s’il ressemble à son père, que de lui demander de nous apporter le sens réel de notre vie. Et pourtant, c’est bien ce changement total de regard sur la vie qui fait notre capacité à être disponible à la rencontre.
L’apôtre Paul ne défend pas autre chose dans l’épitre aux Romains quand il dit « accueillez-vous les uns les autres comme Christ vous a accueillis ». Si la parole de Dieu nous a accueillis, il s’agit alors de nous accueillir les uns les autres, de se laisser accueillir les uns par les autres. D’une certaine manière, c’est le passant que je croise, qui m’accueille moi et la parole que je porte, et qui vient me rencontrer.
Ce qui nous reste à nous, c’est à travailler non pas notre perfection, mais notre disponibilité : cette capacité à accueillir ce qu’on n’imagine pas, par exemple un petit enfant dans une crèche qui change notre vie. Ce qui nous reste à faire, c’est à travailler à devenir des hubs de rencontre, des espaces de disponibilité qui permettront la rencontre. Et en ces temps de l’avent, cette préparation est d’autant plus essentielle : il nous faudra une grande disponibilité pour accueillir celui qui vient et devenir une Eglise de l’accueil. C’est en tout cas notre vocation, comme ce fut celle de Jean-Baptiste, en son temps et dans son style à lui.
Que ce soit aussi notre joie pour cette semaine qui vient.