Prédication du 12 juin 2016

d’Emmeline Daudé

Finalement, je ne sais pas trop vous, mais moi, en lisant ce texte, personnellement, je suis rassurée. Après tout, je n’ai pas une très bonne situation professionnelle, je suis plutôt fêtarde et certains dirait que je suis de mœurs douteuses … alors je dois être plutôt du côté de la pécheresse que du pharisien et donc plus proche de Dieu que celles et ceux qui respectent toutes les conventions et surtout, les principes moraux…. Oui mais … c’est peut être l’inverse aussi … Et si finalement, ce n’était pas aussi simple ?

Si vous le voulez bien, reprenons un instant le texte.

« Un Pharisien invita Jésus à manger avec lui : il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Survint une femme de la ville qui était pécheresse. » [1]

Nous avons donc 3 personnes avec 3 volontés distinctes. Le pharisien qui invite Jésus à un banquet, Jésus qui accepte l’invitation et la femme qui assiste au banquet. Par la suite, la femme montre son bouleversement auprès de Jésus : elle mouille les pieds de Jésus par ses pleurs et les essuie avec ses cheveux.

A cette époque, les usages voulaient qu’un invité soit accueilli par un baiser puis par un lavement des pieds. Or dans ce passage, Jésus reproche justement au pharisien de ne pas l’avoir fait.  A cette époque, les banquets étaient réservés aux hommes, aucune femme ne pouvait y assister. Or ici, une femme est présente et le texte, ne mentionnant pas son entrée, laisse penser qu’elle est là depuis le début. A cette époque, laver les pieds entre homme et femme était un acte très intime, réservé à la vie privée des couples ; et une femme qui détachait ses cheveux était un signe hautement érotique. Or ici, la femme non seulement lave les pieds de Jésus mais les essuie en détachant ses cheveux.

Nous avons donc, d’une certaine manière, 2 opposants sur le ring : au coin droit, un pharisien présumé comme respectant scrupuleusement la loi et les us et coutumes qui faillit à ceux-ci. Son nom de combat pourrait être « l’irréprochable ». Et au coin gauche, une femme bravant toutes les règles et que l’on surnomme « la pécheresse ». Au centre, un arbitre : le Christ !

Le combat est lancé lorsque le pharisien, sûr de lui, se dit en son for intérieur que cette femme n’a pas sa place dans la pièce et en vient à douter de l’identité du Christ :

« Voyant cela, le Pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même : « Si cet homme était un prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. ». » [2]

Mais finalement, le combat est entre le pharisien et le Christ et celui-ci intervient tout de suite, comme s’il connaissait la pensée du Pharisien.

« Simon, j’ai quelque chose à te dire » « Parle, maître ». [3]

Jésus débute son enseignement et le Pharisien qui était le maître devient l’élève. Le dialogue qui suit n’est pas sans rappeler les dialogues de Socrate avec sa maïeutique et le « tu as bien jugé » qui clôt le passage de la parabole des créanciers.

« Un créancier avait deux débiteurs ; l’un lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce de leur dette à tous les deux. Lequel des deux l’aimera le plus ? » Simon répondit : « Je pense que c’est celui auquel il a fait grâce de la plus grande dette. Jésus lui dit : « Tu as bien jugé. » Et se tournant vers la femme, il dit à Simon : « Tu vois cette femme ? ». » [4]

Et après l’enseignement théorique, Jésus passe aux travaux pratiques si je puis dire. Par le « tu vois cette femme ? », Jésus invite le pharisien à voir la femme autrement que comme pécheresse. Il l’invite à voir une nouvelle dimension où ses repères sont totalement renversés.

Nous avons toutes et tous tendance à mettre rapidement les gens dans des cases, leur coller des étiquettes, et à faire une hiérarchie entre eux. Qui a le plus péché ? Qui est le meilleur croyant et pratiquant ? Qui est plus proche de Dieu ? Qui prie le plus ? Même en notre for intérieur, nous cédons régulièrement à de telles pensées. Cependant, le Christ, comme pour le Pharisien, nous invite à voir les choses autrement : nous sommes toutes et tous le pharisien d’un autre mais nous sommes aussi la pécheresse de quelqu’un d’autre. Il nous invite à considérer notre prochain comme notre égal en Christ et nous pousse ainsi à l’humilité la plus profonde.

C’est une belle invitation mais c’est un défi bien dur à relever, je vous l’accorde. Nous n’avons pas trop d’une vie entière pour arriver à vivre quotidiennement en toute humilité envers les autres et envers Dieu. Nous ne sommes pas infaillibles et, malgré tout le chemin parcouru, nous pouvons toujours trébucher dans nos convictions et nos ouvertures … et nous le ferons. Nous aurons beau être ouverts et tolérant, nous ne sommes pas à l’abri d’une pensée excluante ; nous avons beau penser à la planète et aux générations à venir, nous ne sommes pas à l’abri de mettre de côté notre conscience écologique juste le temps d’un instant. Quoique l’on fasse, nous pourrions finalement jamais nous sentir à la hauteur de l’amour de Dieu.

Cependant, reconnaître que oui, nous ne sommes pas infaillibles ; que oui, quoique nous fassions, nous serons toujours pécheurs ; même en nous même, c’est le début du chemin. Nous ne sommes pas si éloignés de la psychanalyse sur ce point : ce n’est qu’en formulant les choses que nous en prenons conscience, que nous les assumons et que nous pouvons travailler dessus.

Le Christ lui-même nous le rappelle et nous rassure en montrant qu’il l’accepte. Lorsqu’il a annoncé à Pierre qu’il le reniera, Pierre a refusé d’envisager les choses. C’est finalement en le formulant qu’il en prend conscience. Dans les lectures du jour, nous retrouvons la même chose au psaume 32 :

« Tant que je me taisais, mon corps s’épuisait à grogner tous les jours,
[…]
Je t’ai avoué mon péché, je n’ai pas couvert ma faute.
J’ai dit : « Je confesserai mes offenses au Seigneur »,
et toi, tu as enlevé le poids de mon péché. ». » [5]
En reconnaissant et en formulant à nous même cette faiblesse, nous pouvons la travailler et œuvrer pour en faire une force. Oui, une force. Le Christ renverse tous les repères : ce que l’on considère comme nous rendant faible devient une force.

Formuler donc, que ce soit en parole ou en acte, c’est commencer son chemin sur le pardon vis à vis de soi, le pardon des autres et l’amour de Dieu. Mais formuler c’est aussi s’exposer, se dévoiler et se mettre en danger.

Dans ce passage de l’Évangile de Luc, nous ne savons pas grand-chose de la femme dont il est mention. C’est une femme « de la ville » donc du monde. C’est « une pécheresse » mais nous ne savons ce qu’elle a fait pour mériter ce titre. Par contre, tous les membres du banquet semblent d’accord pour lui accorder ce titre, tous sans exception.

Elle aurait très bien pu ne pas venir ou partir mais pourtant, elle a osé faire face à toutes ces étiquettes pour faire acte d’humilité envers le Christ et lui montrer son attachement par des gestes d’amour, et non uniquement par sa foi. Sa certitude de faire une chose juste lui a permis de trouver le courage de faire le premier pas vers le Christ, devant un groupe aussi hostile.

Une chose m’a frappée la première fois que j’ai lu ce texte pour préparer ma prédication. Tout le long du récit, cette femme ne dit rien. Tout le monde sait qui elle est, même le Christ qui pourtant est de passage : elle n’a pas à le dire. Tout débute lors de son premier geste envers le Christ, lorsqu’elle mouille ses pieds par ses larmes. Elle a approché, a fait un geste et le Christ l’a accueilli.

Cela me rappelle la parabole du fils prodigue qui, alors qu’il a dilapidé son héritage, manqué de respect envers son père, alors même qu’il a préparé un beau discours pour demander pardon, il est accueilli par son père, les bras grands ouverts. Il n’a pas eu un seul mot à dire, il n’a eu qu’à revenir vers son père.

Tout comme l’a fait la pécheresse, se montrer tels que nous sommes, formuler en parole ou en acte, oui, c’est accepter que l’on puisse poser des étiquettes sur nous mais c’est pour mieux les dépasser, les subvertir. L’amour de Dieu est tellement grand qu’il n’y a pas besoin de grands discours, de grandes actions : il suffit de revenir vers lui, de faire la démarche de se tourner vers lui pour être accueilli, quoi que nous ayons fait, qui que nous soyons, quel que soit la grandeur ou la petitesse de la faute.

« Si je te déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés, c’est parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. » Il dit à la femme : « Tes péchés ont été pardonnés. »

Les convives se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est cet homme qui va jusqu’à pardonner les péchés ? » Jésus dit à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix. ». » [6]

Sans ces versets, nous aurions pu lire le passage comme juste une interrogation autour de l’accueil, de qui est digne d’être accueilli auprès du Christ. D’ailleurs Jésus a finalement clôt le sujet avec le Pharisien en lui montrant que, parce que la pécheresse avait beaucoup aimé, elle devait être accueillie. Mais c’est l’interrogation des autres convives qui rappelle le doute sur l’identité de Jésus et met la question du pardon au centre de l’événement.

« On pardonne à celui qu’on aime et on aime parce qu’on est pardonné »

Jésus présente le pardon comme étant circulaire : l’amour de la pécheresse précède et atteste son pardon. Nous sommes pardonnés parce que Dieu nous aime et en même temps, nous aimons Dieu parce que nous sommes pardonnés. Le pardon implique deux parties (le « pardonné » et Dieu) dans un acte de réconciliation, il n’y a pas d’amour sans réciprocité. Les gestes mutuels sont indices et causes du pardon.

Cela me rappelle les disputes de ma famille du sud de la France. Nous avons beau nous disputer, lorsque la colère est passée et que l’amour reprend le dessus, nous nous retrouvons et sans un mot mais avec complicité, nous reprenons le chemin ensemble et réconciliés.

Enfin, à la fin du récit, j’aimerai relever que c’est la plus petite d’entre tous les convives, celle qui est rejetée de tous qui a droit à la dernière parole du Christ dans ce récit et surtout à sa bénédiction :

« Ta foi t’a sauvée, va en paix. » [7]

Du péché, il est question de son salut et de son salut, le « va en paix » la pousse à retourner dans le monde, pardonnée mais surtout bénie.

Le Christ ne fut pas un nouveau Moïse apportant une meilleure loi ou une meilleure religion. Il n’a pas transformé ses disciples en super héros. Il fut tout le contraire. : il a systématiquement enfreint la loi et a toujours refusé les clichés et les étiquettes. Il a mangé avec les païens et les collecteurs d’impôts, il a parlé librement avec les femmes et mêmes les prostituées. Il a transgressé les lois du sabbat et j’en passe … Pour quelqu’un qui a assuré qu’il n’était pas là pour changer un seul iota de la loi, il a fait fort !

La Christ a renversé tout les repères que nous avions. Il fut avec les plus petits, ceux qui sont considérés comme les plus misérables et les plus marginaux : il fut et reste une figure subversive.

Et encore aujourd’hui, nous aurions bien besoin de nous en souvenir, à l’heure d’une société où il faut être le meilleur, de véritables super héros et héroïnes ayant une éthique irréprochable. Aujourd’hui, celui ou celle qui est trop facilement rejeté et se voit refuser le banquet est celui qui est malade, qui fait un burn-out, celui qui perd son travail, qui divorce, celui a fait de la prison, celui qui vit dans la rue … et pourtant c’est tout autant de vies et d’expériences humaines importantes et qui peuvent nous enseigner tout autant que les autres.

Nous disons souvent que le Christ est venu pour nous sauver mais je trouve tout aussi important de dire que le Christ est une rencontre qui nous permet de voir le monde autrement, de voir les autres autrement mais aussi de nous découvrir. Il fait table rase pour nous relancer et nous accompagner.

Lorsque l’on découvre une réalité nouvelle, cela fait très souvent peur. On se renferme, on refuse de voir autrement qu’à notre habitude. Et pourtant le Christ est un compagnon de route, une lumière dans les ténèbres, un roc qui nous aide à dépasser nos peurs, à pardonner à l’autre, à pardonner à soi-même. Il nous aide à passer outre nos préjugés pour nous ouvrir à l’Autre qui est notre égal en Christ, à celui qui est différent mais qui est tout autant complémentaire et plein de découvertes.

Osons croire en cette espérance et aller dans le monde, sereins, en paix et en communion.

Amen

[1] Luc 7:36-37a

[2] Luc 7:39

[3] Luc 7:40

[4] Luc 7 :41-44a

[5] Psaume 32:1-5

[6] Luc 7 :47-50

[7] Luc 7 :50