Texte de la prédication : Eglise sans magie – par Dominique Hernandez

Lecture : Actes 8, 5-25

Lecture biblique

Actes 8, 5-25

5 Philippe, qui était descendu dans la ville de Samarie, y proclama le Christ.
6 Les foules, d’un commun accord, s’attachaient à ce que disait Philippe, en apprenant et en voyant les signes qu’il produisait.
7 Car des esprits impurs sortaient de beaucoup en poussant de grands cris, et beaucoup de paralytiques et d’infirmes furent guéris.
8 Il y eut une grande joie dans cette ville.

9 Un nommé Simon, qui se trouvait déjà auparavant dans la ville, y exerçait la magie ; il stupéfiait le peuple de Samarie et se disait quelqu’un de grand.
10 Tous, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, s’attachaient à lui et disaient : Cet homme-là est la puissance de Dieu, celle qui s’appelle la Grande.
11 Ils s’attachaient à lui parce qu’il les avait longtemps stupéfiés par sa magie.
12 Mais quand ils eurent cru Philippe, qui leur annonçait la bonne nouvelle du règne de Dieu et du nom de Jésus-Christ, ils reçurent le baptême, hommes et femmes.
13 Simon lui-même devint croyant et reçut le baptême ; il était assidu auprès de Philippe et voyait avec stupéfaction les signes et les grands miracles qui se produisaient.

14 Quand les apôtres qui étaient à Jérusalem apprirent que la Samarie avait accueilli la parole de Dieu, ils leur envoyèrent Pierre et Jean.
15 Ceux-ci, une fois descendus chez eux, prièrent pour eux afin qu’ils reçoivent l’Esprit saint.
16 — Car celui-ci n’était encore tombé sur aucun d’eux ; ils avaient seulement reçu le baptême pour le nom du Seigneur Jésus. —
17 Alors Pierre et Jean posèrent les mains sur eux, et ils reçurent l’Esprit saint.

18 Lorsque Simon vit que l’Esprit était donné par l’imposition des mains des apôtres, il leur apporta de l’argent et dit :
19 Donnez-moi aussi cette autorité ; que celui à qui j’imposerai les mains reçoive l’Esprit saint.
20 Mais Pierre lui dit : Que ton argent se perde avec toi, puisque tu as pensé acquérir le don de Dieu à prix d’argent !
21 Il n’y a pour toi ni part ni lot dans cette affaire, car ton cœur n’est pas droit devant Dieu.
22 Reviens donc de ta pensée mauvaise, et prie le Seigneur pour que l’intention de ton cœur te soit pardonnée, si cela est possible ;
23 car je vois que tu es en proie à l’amertume du fiel et aux liens de l’injustice.
24 Simon répondit : Priez vous-mêmes le Seigneur pour moi, afin qu’il ne m’arrive rien de ce que vous avez dit.

25 Après avoir rendu témoignage et dit la parole du Seigneur, ils retournèrent à Jérusalem, en annonçant la bonne nouvelle dans de nombreux villages des Samaritains.

Prédication

Quel étrange récit ! Ce n’est quand même pas si fréquent de croiser des mages au fil des pages de la Bible. Celui-ci a un nom : Simon. Simon n’est pas un prestidigitateur qui fait apparaître les colombes ou disparaître des lapins. Il ne devine pas quelle est la carte tirée du jeu qu’il a présenté et il ne découpe pas les gens en morceau pour les reconstituer ensuite.
Simon est un mage qui sert de médiateur entre les humains et des puissances auxquelles des gens font appel pour résoudre leurs problèmes. Il a appris quels sont les formules, les gestes et les rites à accomplir pour maîtriser ces puissances soumises, comme les humains et comme la nature, à des lois invariables. Simon est donc certainement compétent en astrologie, en interprétation des rêves, en prédiction et même en guérison. Car les gens sont attachés à lui, tout le monde, écrit Luc, tout le monde lui attribue un réel pouvoir. Cela conforte Simon dans sa certitude d’être grand, un grand mage, un grand homme et cela lui plaît beaucoup.
Dans cette ville de Samarie, peut-être la capitale de la province, les gens cherchent des réponses à leurs questions, des solutions à leur problèmes. Ils veulent que leur vie soit meilleure, ils veulent recouvrer la santé quand ils sont malades, ou s’inquiètent de celle de leurs proches ; ils veulent être heureux dans leur quotidien, trouver un travail ; ils veulent que les malheurs soient écartés et que la pluie tombe au bon moment pour les récoltes mais pas trop quand même. Les gens de Samarie sont comme les gens d’ailleurs et d’aujourd’hui.
Simon le grand mage représente pour eux un espoir pour leur présent ou pour leurs rêves.
Rien ne permet de penser que Simon est un manipulateur ou un profiteur en dépit de son ego surdimensionné. Dans sa conception du monde, il est un médiateur indispensable entre les personnes et les puissances agissantes. Il aide ceux qui ont besoin de lui, ils sont contents, il est content, sincèrement.

Et puis dans cette même ville de Samarie, survient Philippe. Un des sept désignés par les apôtres pour aider au service des tables et au soutien des démunis à Jérusalem. Philippe n’est jamais mis en scène dans ce service de diaconie. Il prêche, il guérit, il fait des signes qui témoignent de l’Évangile. L’Esprit saint est tout à fait libre des décisions et des choix des humains, même de ceux des apôtres !
Les gens de la ville se tournent alors vers Philippe et s’attachent à ses paroles, ils écoutent la Bonne Nouvelle, ils se réjouissent aussi des guérisons. Simon également qui reconnaît en Philippe un homme dont la parole et l’action sont plus puissantes que les siennes.
Simon est convaincu, Simon croit, vraiment, il ne fait pas semblant, et Simon est baptisé.
Puis arrivent Pierre et Jean, encore plus puissants que Philippe aux yeux de Simon : lorsqu’ils imposent les mains aux baptisés, ceux-ci reçoivent l’Esprit Saint… Alors Simon veut ce pouvoir. Comme cela il pourra encore agir pour le réconfort des gens de la ville. Comme cela il continuera à être grand. Tout cela très sincèrement.
Dans la représentation du monde de Simon, la progression de la connaissance implique la progression du pouvoir. Et pour progresser dans la connaissance, donc dans le pouvoir, il faut être choisi par ceux qui ont déjà atteint un niveau de pouvoir supérieur. Être choisi sur un critère qui peut être le prix payé pour le supplément de connaissance ou de pouvoir.
Cela signifie aussi que dans cette représentation du monde, la progression dans la connaissance et le pouvoir est réservée à ceux qui sont choisis, ceux qui peuvent payer, et qui représentent ainsi une élite, supérieure aux autres.

C’est que la représentation du monde de Simon n’a pas changée depuis sa conversion et son baptême, il a gardé le même système de pensée, et du coup, Simon se trompe sur l’Église, sur la foi, sur l’Esprit, au moins sur quatre points.

Premièrement, il croit qu’il y a dans l’Église des pouvoirs particuliers, il croit qu’il y a des enseignements cachés au plus grand nombre, une vérité destinée à seulement quelques esprits supérieurs. Vous savez, on ne nous dit pas tout… combien de manière de penser s’appuie sur ce soupçon, d’autant plus qu’il y a parfois des manipulations qui justifient le soupçon.
Simon croit qu’il faut dans le monde et dans l’Église des hommes forts et puissants vers lesquels les autres, qui ne sont ni forts ni puissants, se tourneront pour obtenir ce dont ils ont besoin. Des hommes forts et puissant auxquels remettre le l’avenir, et soi-même.
L’Église n’est pas une société initiatique dans laquelle les croyants peuvent progresser, s’ils sont choisis, s’ils remplissent les critères, en grimpant des échelons au fur et à mesure desquels ils reçoivent de manière très contrôlée des connaissances nécessaires à l’acquisition d’une compétence supplémentaires. Jésus n’a pas confié de secrets aux disciples, ou à quelques disciples, même pas à Marie-Madeleine. Même si le rayon Ésotérisme des librairies sont remplis de ces hypothèses.
Ce qui est annoncé l’est à tous, entièrement, clairement, avec franchise, sincérité. Rien n’est dissimulé de la Bonne Nouvelle. La parole est alors une parole fiable, libre, et c’est une parole de confiance. Celui ou celle qui parle est entièrement dans ce qu’il dit, sans réserve. Lorsque l’Église vit cela, c’est un témoignage dans le monde, une ressource importante pour le monde qui est, celui qui sera demain.

Le second point d’erreur de Simon, c’est qu’il n’y a pas dans l’Église de caste ou d’élite, ni d’échelle sur laquelle classer les croyants. Sinon il faudrait croire que l’Esprit ne souffle pas comme il veut et où il veut, mais qu’il serait obligé de souffler en respectant les critères et les décisions d’humains. Or Philippe, qui prêche et accomplit des miracles en Samarie, n’avait-il pas été choisi et institué par les apôtres eux-mêmes comme diacre au service des tables et des démunis ? Un Esprit bien facétieux qui pousse Philippe à évangéliser la Samarie ! Les apôtres n’ont plus qu’à ratifier l’œuvre missionnaire de Philippe en priant et en imposant les mains aux samaritains baptisés.
L’Église n’est pas une structure de pouvoir ; cela n’empêche pas une organisation, mais il n’y a pas à attendre d’hommes forts ou de femmes puissantes. La grâce est offerte à tous, l’Esprit est à destination de tous, sans privilège, sans favoritisme. Nous savons bien que cela est difficile à tenir, et l’a toujours été. Le livre des Actes présente bien Pierre, Jean et les autres apôtres occupant une place éminente dans la première Église, et il montre bien comment les apôtres ont mis du temps à reconnaître Paul qui n’avait pas connu Jésus-Christ. Mais il ne peut y avoir dans l’Église des croyants de base et d’autres qui seraient supérieurs, il n’y a pas de grands frères et de petits frères, ni des sœurs favorisées par rapport à d’autres. Il y a l’inconditionnalité de la grâce et l’extrême et égale dignité de chacun et de tous.
Lorsque l’Église vit cela, c’est un témoignage dans le monde, une ressource importante pour le monde qui est, celui qui sera demain.

Troisièmement, l’Esprit qui souffle librement n’est pas à vendre. Personne n’en est possesseur ni propriétaire ; personne ne peut le maîtriser, le dispenser ou le retenir. L’Esprit ne se gagne pas ni avec de l’argent ni par des rites ou des sacrifices, ni par des œuvres. Il passe, il traverse et l’Église en est seulement témoin, et cela suffit. Quand l’Église a voulu plus, elle s’est fourvoyée dans des compromissions de pouvoir. Il en va de la liberté de Dieu.
Autrement dit, ce qui tient l’Église, ce qui la fait Église est hors tout système marchand, d’échange, de rétribution, d’équivalence, de loi du plus fort. Simon n’est pas capable d’imaginer cela, lui qui est façonné par un monde où justement ce qui importe (connaissance et pouvoir) se monnaye d’argent ou d’autre chose. Il veut acheter l’Esprit, et c’est ainsi qu’il passera à la postérité puisque son nom désignera une pratique condamnée dans l’Église catholique, la vente des actes ecclésiastiques : la simonie.
Gratuité, don, générosité, partage : ces mots sont-ils ceux d’une belle illusion, de contes pour enfants, de mirages dont on peut rêver mais impossible à inscrire dans la réalité ? Ce sont des mots qui parlent de l’Évangile, du Dieu de Jésus-Christ. Ce qui fait vivre, le sens de l’existence, le salut, ne sont pas déposés dans un système marchand qui lui, doit être maintenu délibérément en place seconde et secondaire. L’Église s’efforce de vivre ainsi et quand elle y parvient, c’est un témoignage dans le monde, une ressource importante pour le monde qui est, celui qui sera demain.

Quatrième point, Simon croit qu’il peut sauver les autres avec ce pouvoir formidable de l’Esprit. Et il y a du travail à faire ! Il y en a tant des malheureux, des désespérés, des sans feu ni lieu, des errants, des souffrants. Simon veut être assez grand pour en sauver le plus possible, un grand nombre. Mais la foi ne fait pas des sauveurs. Elle fait des témoins, qui agissent d’une certaine manière dans leur vie quotidienne, qui font des choix, qui parlent, qui militent, en cohérence avec ce qu’ils croient et qui peuvent en rendre compte. Le salut de Dieu n’est pas déposé dans l’Église ou en ceux qui constituent l’Église. Le salut vient de Dieu seul.
Même si le livre des Actes est rempli de miracles : guérisons, résurrections, libérations, la foi ne fait pas non plus des croyants des faiseurs de miracles. Il ne pleut pas toujours où et quand il faut, des femmes sont battues, des enfants meurent, une maladie ne guérit pas et ne disparaît pas sans traitement, sans vaccin et sans mesures préventives. La foi fait des personnes vivantes, d’une vie en abondance une vie en plénitude, vie éternelle selon l’évangile de Jean. L’Esprit de Dieu ne se possède pas, la foi ne rend propriétaire de rien, ni de l’Esprit, ni de la prière, ni de la Bible ni de son interprétation, ni de la grâce. La foi n’est pas une performance, elle est traversée de doutes, de questions et face aux fragilités et aux limites de l’existence humaine, elle conduit à les assumer et pas à les surpasser. L’Église, les croyants ne prétendent pas sauver qui que ce soit, vivre en aimant, en apaisant, vivre en rendant grâce, c’est suffisant et c’est déjà beaucoup.
Quand l’Église vit ainsi, c’est un témoignage dans le monde, une ressource importante pour le monde qui est, celui qui sera demain.

Ce que Simon croit est resté dépendant de sa vision de mage : homme fort doté d’un pouvoir qui s’achète et intermédiaire obligé. Simon fait fausse route et Pierre le lui signifie sévèrement. Alors Simon quitte la scène sur une remarque dont le sens n’est pas univoque : priez vous-mêmes le Seigneur pour moi… Est-ce de la peur ? de la tristesse ? de la repentance ? de l’humilité ?
On ne sait pas ce qu’il advient de Simon, sinon à travers les écrits des Pères de l’Église qui en font un des pères des hérésies. Méritait-il cela lui qui a encore du chemin devant lui, comme chacun de nous, comme tous ?
La grâce met en chemin. La gratuité et le don mettent en mouvement. Peu importe d’où l’on part. Chacun peut suivre son chemin vers demain, dans la paix et le salut de Dieu, et le suivre en compagnie d’autres, et ce chemin en commun, c’est l’Église, témoignage et ressource pour le monde qui est et pour celui qui sera demain.

Amen

Prière de louange

Pour tous ceux qui te donnent un visage,
En répandant ton amour dans le monde,
Éternel, nous te louons.

Pour tous ceux qui te donnent des mains,
En luttant contre la souffrance, la faim, la pauvreté et l’isolement,
Éternel, nous te louons.

Pour tous ceux qui te donnent une bouche,
En dénonçant la guerre et toutes les violences faites aux hommes,
Éternel, nous te louons.

Pour tous ceux qui te donnent des yeux,
En admirant chaque preuve d’amour dans le cœur de l’homme,
Éternel, nous te louons.

Pour tous ceux qui te donnent un cœur,
En accueillants les pauvres, les faibles, les exclus et les opprimés,
Éternel, nous te louons.

Amen