Prédication du 15 mars 2020
Culte annulé suite aux mesures décidées par le gouvernement dans le cadre de la pandémie de COVID-19
de Philippe Vollot
Il s’est fait serviteur
Lectures : 1 Rois 19, 9-15 ; Luc 18, 18-19 ; Philippiens 2, 3-11
Lecture
1 Rois 19, 9-15
9 Là-bas, il entra dans la grotte et y passa la nuit. Soudain la parole du SEIGNEUR lui parvint, qui lui disait : Que fais-tu ici, Elie ?
10 Il répondit : J’ai montré une passion jalouse pour le SEIGNEUR, le Dieu des Armées ; car les Israélites ont abandonné ton alliance, ils ont rasé tes autels, ils ont tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis resté, seul, et ils cherchent à me prendre la vie !
11 Il reprit : Sors et tiens-toi dans la montagne, devant le SEIGNEUR. Or le SEIGNEUR passait. Un grand vent, violent, arrachait les montagnes et brisait les rochers devant le SEIGNEUR : le SEIGNEUR n’était pas dans le vent. Après le vent, ce fut un tremblement de terre : le SEIGNEUR n’était pas dans le tremblement de terre.
12 Après le tremblement de terre, un feu : le SEIGNEUR n’était pas dans le feu. Enfin, après le feu, un calme, une voix ténue.
13 Quand Elie l’entendit, il s’enveloppa le visage de son manteau, sortit et se tint à l’entrée de la grotte. Soudain une voix lui dit : Que fais-tu ici, Elie ?
14 Il répondit : J’ai montré une passion jalouse pour le SEIGNEUR, le Dieu des Armées ; car les Israélites ont abandonné ton alliance, ils ont rasé tes autels, ils ont tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis resté, seul, et ils cherchent à me prendre la vie !
15 Le SEIGNEUR lui dit : Va, reprends ton chemin par le désert jusqu’à Damas ; quand tu seras arrivé, tu conféreras l’onction à Hazaël pour qu’il soit roi sur Aram.
Luc 18, 18-19
18 Un chef lui demanda : Bon maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?
19 Jésus lui dit : Pourquoi me dis-tu bon ? Personne n’est bon, sinon Dieu seul.
Philippiens 2, 3-11
3 ne faites rien par ambition personnelle ni par vanité ; avec humilité, au contraire, estimez les autres supérieurs à vous-mêmes.
4 Que chacun, au lieu de regarder à ce qui lui est propre, s’intéresse plutôt aux autres.
5 Ayez entre vous les dispositions qui sont en Jésus-Christ :
6 lui qui était vraiment divin, il ne s’est pas prévalu d’un rang d’égalité avec Dieu,
7 mais il s’est vidé de lui-même en se faisant vraiment esclave, en devenant semblable aux humains ; reconnu à son aspect comme humain,
8 il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort — la mort sur la croix.
9 C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a accordé le nom qui est au-dessus de tout nom,
10 pour qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre,
11 et que toute langue reconnaisse que Jésus-Christ est le Seigneur à la gloire de Dieu, le Père.
Prédication
Le calendrier de nos vies est infiniment varié. Il y a des jours qui passent tranquillement, sans qu’on y pense trop : ce sont des journées simples, que nous vivons avec une certaine insouciance, sans trop réfléchir, et c’est très bien ainsi.
Il y a aussi des jours de grâce, de purs moments de bonheur, où nous nous sentons portés par une puissance de vie extraordinaire.
Et puis il y a des jours qui ne passent pas, des jours que nous n’oublierons jamais parce que nous y avons perdu trop de choses, un être cher, l’envie d’aimer, peut-être même l’envie de vivre. Nous avons alors perdu au moins provisoirement tout ce qui pouvait nous raccrocher à quelque chose, l’amour d’un autre, voire la foi en Dieu.
Et puis il y a aussi ces jours où tout est mélangé, chaotique, ces jours de tiraillement entre guerre et paix, entre désir de vie et angoisse devant les écueils de l’existence.
Dans ces jours de désordre et d’obscurité, qu’est-ce qui pourrait nous ramener à la Foi, nous permettre de dire « je crois », nous permettre de dire « oui », oui à la vie, oui à soi-même, oui à Dieu, de dire oui quand tout semble nous dire « non » ?
Quand tout va bien, c’est plutôt facile de croire en l’Eternel. On sait alors que Dieu, c’est l’Amour, la Vie, la nouveauté, le possible ouvert sur l’infini. Mais comment croire en Dieu lorsque plus rien n’est vraiment possible, lorsque la vie elle-même semble nous échapper ?
C’est dans ce type de situation où nous sommes au bord du gouffre que notre foi est vraiment mise à l’épreuve parce que, pendant ces jours sombres, nous ne pouvons plus nous réfugier tranquillement derrière des certitudes et des formules pieuses.
Or c’est précisément là que revient à la surface ce texte de l’apôtre Paul aux Philippiens, un texte absolument incroyable – j’oserais dire théologiquement libéral – qui vient nous dire que Jésus-Christ, c’est l’image d’un Dieu dépouillé.
En effet, Jésus de Nazareth aurait pu prétendre à tout, il aurait pu laisser croire qu’il était le Seigneur en personne, totalement différent de nous, pouvant tout, voyant tout, sachant tout.
Mais déjà, dans l’Evangile selon Luc, Jésus ne disait-il pas, avec une immense humilité, cette phrase étonnante « Dieu seul est bon » ?
Ainsi, ce Jésus-Christ qui nous donne l’image de Dieu, ce Christ ne prétend à rien, et surtout pas à la toute puissance, mais exprime un Dieu qui ne veut pas être souverain.
La Bonne Nouvelle, c’est donc un Dieu sans les prétendus pouvoirs matériels des dieux païens, c’est un Dieu dont le fils naît misérablement dans une crèche et meurt sur une croix, comme un esclave.
Ainsi, à travers ce texte, l’apôtre Paul fait preuve d’une audace incroyable en affirmant que Dieu, c’est l’inverse de ce que l’on croit.
Notre Dieu n’est pas Jupiter, il n’est plus non plus celui au nom duquel Elie avait crû devoir égorger les 450 prophètes de Baal, mais il est Celui qui est devenu le murmure doux et léger qu’a entendu ce même prophète totalement métamorphosé au sortir de sa caverne.
Non plus dans le Ciel, mais dans le Monde, avec nous, tout auprès de nous. Dieu est justement là où on le l’attend pas, dans l’ordinaire, et dans la banalité des choses humaines.
Certes, on peut toujours rêver d’un Dieu tout-puissant, qui nous prendrait en charge toute notre vie, laquelle serait entièrement sous son contrôle, et où il suffirait de se laisser porter confortablement.
N’est-ce pas d’ailleurs le rêve des intégristes de tous bords, évangéliques et catholiques, qui prient et processionnent à longueur de temps, comme au Moyen-Âge, pour que Dieu stoppe ce fléau qu’est le Coronavirus comme s’il s’agissait d’un châtiment qu’Il nous avait infligé? On est bien loin du Dieu d’Amour quand on pense que celui-ci n’arrêterait le Mal que si on le lui demandait ! Ce Dieu-là ne serait qu’un sadique !
Remarquons d’ailleurs que cette formulation de « Dieu tout-puissant », mal comprise, mais qui a connu le succès que l’on sait dans les liturgies de toutes les églises chrétiennes, ne se trouve qu’une seule fois dans le Nouveau testament, au chapitre IV, verset 8, du Livre de l’Apocalypse.
Et bien Jésus-Christ nous montre un visage de Dieu très différent, celui d’un Dieu proche des êtres humains et partageant leurs souffrances et leurs espoirs. Rien d’extraordinaire donc, ou plutôt si : c’est que la vie ordinaire devient l’espace même dans lequel le Seigneur agit par une toute-puissance qui n’est pas matérielle, mais par une toute-puissance qui est celle de l’Amour.
C’est désormais à travers nous que Dieu se montre et se laisse reconnaître. Croire en Dieu, c’est donc aussi croire en l’Homme à travers qui Dieu se révèle. Croire en l’Homme, c’est aussi croire en ce Dieu qui le reconnaît dans sa personne et lui donne une âme.
Le fondateur de cette paroisse, le pasteur Charles Wagner, n’écrivait-il pas au début du siècle dernier contre tous les préjugés de l’époque, « L’Homme est une espérance de Dieu » ?
Il ne s’agit donc plus de chercher Dieu dans le Ciel, mais il s’agit très simplement de regarder et scruter la vie, le monde, toutes celles et tous ceux qui nous entourent, car c’est là que Dieu nous rejoint et se laisse rencontrer.
Jésus-Christ, c’est le « oui » que Dieu prononce sur la vie de chacun d’entre nous, c’est la Parole incarnée, c’est Dieu s’insérant dans le monde pour emprunter ses chemins. C’est la manière pour Dieu de dire à chacun oui, il est bon que tu sois là, oui il est bon que tu existes.
Et cela, c’est peut-être la seule lueur d’espérance quand les jours sont devenus vraiment trop sombres et qu’il semble qu’il n’y ait plus d’espoir. C’est la certitude que pour le Seigneur, chacun de nous est important.
Il nous faut toujours avoir présente à l’esprit cette affirmation centrale de l’apôtre Paul selon laquelle le Christ ne s’est pas prévalu de son égalité avec Dieu, mais s’est fait Serviteur. Ainsi, le Dieu de l’Antiquité est bien mort en Jésus-Christ pour que nous vivions, pour que naisse une humanité nouvelle.
Comme l’a dit si bien le philosophe Paul Ricoeur : « La communauté chrétienne n’a pas d’autre chose à offrir aux hommes que cette affirmation du Dieu qui se vide de sa toute puissance pour l’homme, et qui permet le nouvel homme et ouvre une espérance où chacun est responsable, chacun à l’égard de tous ».
Dieu est donc proche, il ne se présente pas sous la forme d’un souverain tout puissant, mais sous celle d’un Serviteur. C’est un Dieu qui s’est immergé au coeur de l’humanité, qui s’y est engagé, et qui marche avec nous, qui marche à nos côtés.
* * *
Le grand théologien protestant allemand Dietrich Bonhoeffer écrivait très justement : « La religion a pensé à un Dieu tout-puissant et à un homme très faible, et l’Evangile nous parle de la possibilité que l’homme soit fort dans toute la faiblesse de Dieu. Seul un Dieu faible peut nous aider : c’est le Dieu de Jésus-Christ »
Oui, le pasteur Dietrich Bonhoeffer avait raison, lui qui savait de quoi il parlait pour avoir été emprisonné par les Nazis en 1943 puis déporté à Büchenwald où il mourra assassiné en 1945, seul un Dieu faible peut nous venir en aide, et ceci pour 3 raisons :
– La première, c’est qu’un Dieu faible, c’est un Dieu qui nous libère de l’image la plus stéréotypée que nous ayons de Lui, celle d’un dieu omnipotent. Ce Dieu-là nous tiendrait sous sa coupe, ne nous laisserait aucune autonomie, aucune liberté. Tout serait voulu, pensé, décidé par Lui.
N’est-ce pas précisément le contraire qui est écrit dans le vieux Livre du Deutéronome (chapitre 30, versets 11 à 20) que nous avons entendu tout à l’heure ? Dieu nous laisse le choix en toute liberté entre le Bien et le Mal, entre la bénédiction et la malédiction, tout en nous recommandant bien sûr de choisir le camp du Bien.
Dans ce prolongement, le Dieu dont nous parle l’apôtre Paul, c’est un Dieu qui n’écrase pas l’homme, qui fait tout pour qu’il ne soit plus prisonnier d’un destin qui le dépasse, c’est un dieu qui nous aime bien que nous soyons des êtres compliqués, faits d’ombres et de lumières, à la fois pécheurs mais possiblement justes à ses yeux.
– La deuxième raison, c’est qu’un Dieu faible, c’est un Dieu qui nous aide à exister par nous-mêmes, à vivre pleinement. C’est là que réside la grande autorité de Jésus-Christ qui ne cesse d’aller vers les uns et les autres pour les aider sans conditions, les valoriser, les prendre en considération, qu’ils soient pauvres, riches, aveugles, paralysés, prostituées, collaborateurs de l’occupant romain, etc…
Nous avons tous besoin de nous aimer pour pouvoir vivre. Nous avons tous besoin de nous sentir en paix avec nous-mêmes pour pouvoir nous lier aux autres. S’accepter, c’est s’accepter avec ses propres limites, dans ses propres finitudes. Accepter que tout n’ait pas de sens, que tout ne soit pas possible, s’autoriser à dire « je ne sais pas » ou « je ne sais plus ».
– Enfin, la troisième raison, c’est qu’un Dieu faible nous vient en aide parce qu’il nous libère pour les autres. Le Christ, nous dit l’apôtre Paul, se fait semblable à nous. Il dit oui à notre humanité, il valorise ainsi chacun d’entre nous et nous encourage à suivre son exemple fait d’une bienveillance permanente : un regard attentif, un sourire, une parole aimable, un geste de soutien, rendre le bien pour le mal, on pourrait multiplier les exemples à l’infini.
C’est à travers tous ces petits et grands gestes quotidiens que l’Evangile devient une parole – la Parole de Dieu – en actes. Le Christ ne nous renvoie pas à un Dieu de l’au-delà, souverain et dominateur. Le Christ, sa seule souveraineté est celle de la main tendue vers chacun d’entre nous, celle qui nous invite à toujours tendre nos mains vers les autres.
* * *
Paul : « Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de Serviteur, en devenant semblable aux hommes ; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort sur la croix.
C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. »
La conclusion de cette magnifique confession de foi de l’apôtre, c’est que le monde entier sera un jour uni dans une confession commune . Un jour, la langue de la Foi, de l’Espérance et de l’Amour dont il parle au chapitre 13 de sa 1ère Epître aux Corinthien, ne sera plus une langue lointaine, car ce sera celle de tous et de tous les jours.
Et remarquons d’ailleurs que Paul, de manière inouïe, place la Foi non pas en premier, mais derrière l’Amour : « Maintenant demeurent, la Foi, l’Espérance et l’Amour, mais l’Amour est le plus grand ».
Avec une audace incroyable, l’apôtre nous montre que ce Jésus-Christ glorieux que tous célébreront, c’est précisément cette figure du Serviteur proche de tous. Jésus de Nazareth devient alors une manière de dire le service rendu et le secours possible.
C’est cela que j’ai souhaité partager avec vous ce matin, l’image d’un Dieu qui nous encourage à consentir à nous-même, aux autres et au monde. La Bonne Nouvelle de ce consentement nécessaire au monde, non pour l’accepter tel qu’il est mais pour le transformer pour le rendre meilleur, nous pouvons tous la recevoir comme un appel à vivre, à revivre.
Dans nos jours les plus sombres, dans la nuit du doute, lorsque plus rien ne semble vraiment crédible, le Seigneur vient nous rappeler cette évidence joyeuse des Evangiles : la véritable grâce, c’est juste d’être là, unique aux yeux de Dieu et aimé par Lui, non pas simplement tels que nous sommes, mais tels que nous pouvons devenir.
Amen
Psaume 138 : « Que tout mon coeur soit dans mon chant »
Cantique 252 : « Grand Dieu nous Te bénissons »
Cantique 216 246 : « Saint Esprit Dieu de lumière »
Prière d’intercession
Pour tous ceux qui sont confrontés à la douleur et à la mort comme tu l’as été, Seigneur Jésus, nous te prions.
Pour tous ceux qui te donnent un visage, Seigneur,
En répandant ton amour dans le monde entier, nous te prions.
Pour tous ceux qui te donnent des mains, Seigneur,
En faisant le bien à l’égard de leurs frères et soeurs, nous te prions.
Pour tous ceux qui te donnent une bouche, Seigneur,
En prenant la défense du faible et de l’opprimé, nous te prions.
Pour tous ceux qui te donnent un cœur, Seigneur,
En préférant les faibles aux puissants, nous te prions.
Pour tous ceux qui donnent à ta pauvreté, Seigneur,
Le visage de l’espérance du Royaume qui vient, nous te prions.
Pour tous ceux qui souffrent en France et dans le monde de cette épidémie si inquiétante, Seigneur, nous te prions.
Que nous trouvions en Toi tout l’amour et le courage nécessaires, non pas pour nous protéger des autres en nous repliant sur nous-mêmes, mais pour protéger les autres, pour aider les malades et leurs familles, pour ne pas les laisser sans assistance ou dans la solitude, coupés de toutes relations sociales.